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Allergologie

Publié le 06 avr 2022Lecture 11 min

Des allergènes et des allergies rares et insolites – Partie I

Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse

« Un moine employé à la démolition des bâtiments devint asthmatique : les accès d’asthme se reproduisaient avec force dans les endroits empoussiérés. Les mêmes crises se répétaient aussi quand il mangeait du poisson frit. » (Jean-Baptiste Van Helmont, 1577-1644)

Il ne se passe pas de mois sans que les revues d’allergologie nous apportent des nouveautés sous la forme de cas cliniques bizarres ou d’allergènes dont nous ne soupçonnions pas l’existence. Il en est ainsi des « pollinoses de proximité », de la « rhinite de la lune de miel », du syndrome auriculo-temporal, des anaphylaxies associées à la pratique de la luge d’été, etc. En cette période où sur les listes de discussion, médicales et autres, il n’est question que de la Covid-19, cette affection due au SARS-CoV-2 dont nous subissons « les effets pandémiques », il nous a semblé utile – et stimulant pour l’esprit ! – d’aborder d’autres sujets. Nous aurions tort de considérer les « faits cliniques insolites » comme des « moutons à cinq pattes », car ils débouchent presque systématiquement sur des conduites de portée générale. Si, à titre d’exemple, nous prenons le cas des allergènes de proximité, la somme de leurs possibilités cliniques est très importante, car ces allergènes sont nombreux. Cela est encore plus vrai pour les allergènes alimentaires « rares » ou « nouveaux » dont l’ensemble représente un impressionnant thésaurus, que chacun devrait « s’astreindre à connaître » pour ne pas passer à côté d’un diagnostic facile, souvent clinique ou accessible à un interrogatoire simple.

POLLINOSES DE PROXIMITÉ Les pollinoses de proximité sont dues à des pollens rares, moins anémophiles et moins dispersibles que les pollens habituellement recueillis dans l’atmosphère par les appareils de comptage pollinique(1,2). Les responsables sont des espèces végétales qui émettent leurs pollens dans un périmètre limité, n’affectant que les patients qui s’y trouvent, du fait de leur résidence ou de leur profession, en particulier les fleuristes, les jardiniers et les horticulteurs. Ces allergies polliniques peuvent être méconnues. De plus, considérées dans leur ensemble, elles représentent un chapitre de l’allergologie qu’il ne faut pas négliger. Parmi les plantes en cause se trouvent le plantain, le mimosa, le pissenlit, broussonetia, etc. (figures 1 et 2). Figure 1. Mimosa (coll. G. Dutau). Figure 2. Mimosa : inflorescences (coll. G. Dutau). En 2006-2007, Lavaud et coll.(1,2) ont rapporté 5 observations de pollinoses de proximité concernant le pissenlit (2 fois), le lupin (1 fois), le cyclamen (1 fois) et le mimosa (1 fois). Les principales caractéristiques de ces observations sont résumées sur le tableau 1. Dans chacune d’elles, le diagnostic a pu être évoqué à la suite d’un interrogatoire minutieux comme le contact avec des cyclamens dans une serre où travaillait un fleuriste, l’entretien d’une pelouse envahie de pissenlit, les jeux d’un jeune enfant vivant à la campagne en contact en particulier avec le pissenlit et la marguerite(2). À partir de cette étude index, nous avons découvert d’autres cas de pollinoses de proximité, mais cette recherche n’est pas exhaustive. En 2000, Bolhaar et van Ginkel(3) ont décrit deux cas d’allergie au cyclamen chez deux membres d’une même famille de floriculteurs, exposés à de fortes quantités de pollens de cette fleur. Après 10 ans d’exposition, la première patiente âgée de 44 ans, non atopique, développa une rhino-conjonctivite sévère et un asthme qui devait la contraindre à arrêter son activité professionnelle. Son fils âgé de 17 ans, atopique, allergique aux chats, présenta seulement une rhino-conjonctivite. Les prick-tests cutanés d’allergie (PT) étaient fortement positifs au pollen de cyclamen chez la patiente, et, à un degré moindre, les dosages d’IgE sériques spécifiques respectivement à 0,4 kU/l chez la mère et 4,8 kU/l chez le fils. Dans ces métiers, l’exposition aux pollens est permanente et massive, ce qui explique l’apparition des symptômes même en population générale(3). En 2004, Donguy et coll.(4) ont rapporté une observation d’allergie au mimosa se traduisant par une rhino-conjonctivite et un asthme par allergie au mimosa chez un fleuriste qui préparait des bouquets pour le Carnaval de Nice. Plus généralement, plusieurs auteurs ont rapporté diverses allergies aux plantes d’ornement comme les Astéracées (camomille)(a) (encadré 1) et les Composées (chrysanthèmes). Une grande étude de Goldberg et coll.(5) a porté sur 3 groupes de sujets : 292 consultants d’une clinique d’allergologie ; 75 fleuristes ; 44 étudiants en biologie de Tel-Aviv. Des PT à plusieurs espèces de plantes ornementales ont été réalisés : Astéracées et Composées (chrysanthème, tournesol, séneçon, bouton d’or), Renonculacées (anémone), Liliacées (lilas), Scrofulariacées (muflier), Gentianacées (lys). Le pourcentage de sensibilisations aux aéroallergènes usuels était le même dans les 3 groupes. En revanche, la fréquence des sensibilisations aux plantes d’ornement était significativement plus élevée (p < 0,005) chez les floriculteurs (52 %), que chez les consultants atopiques (17 %), ou les étudiants (23 %). Si aucune des personnes qui avaient des PT positifs n’était symptomatique en présence des plantes correspondantes (groupes I et III), par contre 45 % des floriculteurs présentaient des symptômes vis-à- vis des plantes dont ils avaient à s’occuper (rhinite, conjonctivite, asthme)(5). Ce type d’exposition professionnelle définit pleinement les « pollinoses de proximité ». Elles impactaient la vie de ces travailleurs puisque 15 % furent contraints de changer de profession(5). Les allergologues sont souvent gênés dans leur pratique, ne disposant pas toujours des réactifs destinés aux tests cutanés. Plus récemment, Swierczyniska-Machura et coll.(6) ont insisté sur les risques allergisants de diverses plantes d’ornement telles que les chrysanthèmes et diverses Liliacées comme les tulipes, les jacinthes, les crocus (etc.) : les symptômes décrits — rhino-conjonctivites, asthme, mais aussi urticaire et dermites de contact — obligent ces travailleurs (jardiniers, personnels d’entretien des espaces verts, fleuristes) à changer de métier(6). Plusieurs autres études sont disponibles sur ce thème(7,8). L’évolution du nombre d’articles indexés sur PubMed entre 1912 et 2021 montre que ce sujet, totalement inconnu jusqu’au début des années 1950, a commencé à émerger par la suite avec un pic important d’études en 2008-2012. La famille des Moracées comporte des milliers d’espèces parmi lesquelles le mûrier à papier (Broussonetia papyrifera) et le mûrier du Japon (Morus kagayamae) qui peuvent provoquer des pollinoses de proximité lorsqu’ils sont plantés près des habitations, en particulier en Provence et en Italie(9,10). Dans les collines qui entourent la ville de Padoue, le mûrier à papier (Broussonetia papyrifera ; angl. : China mulberry-tree) est fortement représenté : Zanforlin et Incorvaia(10) y ont décrit le cas d’une femme de 52 ans qui, depuis 2 ans, souffrait de symptômes de rhinite modérée persistante qui augmentaient en avril et mai, avec apparition de crises d’asthme. Elle était sensibilisée aux acariens et au chat, mais non aux pollens usuels. Par contre elle était fortement allergique aux feuilles de Broussonetia papyrifera (prick plus prick(b) à ++++) et au pollen de cet arbre. Pour l’instant, faute d’extrait commercial, ce diagnostic ne peut être porté qu’en effectuant des PT avec du matériel allergénique frais(10). En 2019, le pollen de Broussonetia papyrifera est considéré comme un allergène émergent à Taiwan. Lin et coll.(11) ont corrélé les symptômes et les PT de 30 volontaires d’un collège de médecine avec les comptes polliniques de B. papyrifera recueillis pendant 7 jours. Dix d’entre eux étaient sensibilisés aux extraits de B. papyrifera et, pendant les 3 jours d’exposition maximale à ce pollen, ils avaient une augmentation du risque relatif d’avoir à consulter pour des symptômes d’asthme et de rhinite allergique. Le plantain, grand plantain (Plantago major) ou le plantain lancéolé (Plantago lanceolata) plante herbacée de la famille des Plantaginacées, est de plus en plus présent dans l’environnement(12). Il pousse dans les champs, les terrains vagues, le bord des chemins, les lieux incultes. Le pollen de plantain présente un risque allergisant élevé et sa dissémination se fait pendant 3 mois ou plus, de début de juin jusqu’à fin août(9). Il en existe plusieurs sortes, dont trois principales : le plantain maritima (P. maritima) sur les littoraux ainsi que dans le Massif central ; le plantain corne de bœuf ou pied de corbeau (P. coronopus) ; et divers plantains communs comme P. major, P. lanceolata et P. media dans le Midi(12). Comme pour le pissenlit, l’expérience professionnelle de nombreux allergologues montre la possibilité d’allergies au plantain lors d’expositions importantes. L’allergie au plantain risque même de devenir plus qu’une pollinose de proximité. En effet, au Japon (Sapporo), 12,8 % des patients atteints de rhinite allergique sont sensibilisés au plantain dont la période de pollinisation est longue, de mi-mai à début septembre(13). On remarquera que ce pourcentage de sensibilisation est voisin de celui de l’ambroisie, allergène fréquent et exposant à des symptômes majeurs tels que l’asthme et des rhino-conjonctivites invalidantes(13). De nombreux autres végétaux seront à rajouter à cette liste. Les pollinoses de proximité touchent les professionnels (horticulteurs, fleuristes, arboriculteurs, techniciens d’espaces verts) et les personnes qui vivent ou travaillent à proximité de pollens lourds, moins anémophiles et moins dispersibles que les pollens classiques, arbres et surtout graminées. Références 1. Lavaud F et al. Pollinoses de proximité : à propos de cinq observations. Rev Fr Allergol Immunol Clin 2006 ; 46(3) : 358 (affiche 043). 2. Lavaud F et al. Les pollinoses de proximité ne sont-elles que des cas cliniques ? Rev Fr Allergol Immunol Clin 2007 ; 47(3) : 51-6. 3. Bolhaar ST, Van Ginkel CJ. Occupational allergy to cyclamen. Allergy 2000 ; 55(4) : 411-2. 4. Donguy FL. When the flower battles make tears... Allergy Immunol (Paris) 2004 ; 66(3) : 346-7. 5. Goldberg A, Confino-Cohen R, Waisel Y. Allergic responses to pollen of ornamental plants. High incidence in general atopic population and especially among flowers grovers. J Allergy Clin Immunol 1998 ; 102(2) : 210-4. 6. Swierczy.iska-Machura Q et al. Occupational allergy caused by ornamental plants. Med Pr 2006 ; 57(4) : 359-64. 7. Patiwael JA et al. Occupational allergy in strawberry teenhouse workers. Int Arch Allergy Immunol 2010 ; 152(1) : 58-65. 8. Paulsen E et al. Occupational dermatitis in Danish gardeners and greenhouse workers (III). Compositae related symptoms. Contact Dermatitis 1998 ; 38(3) : 140-6. 9. Thibaudon M, Sulmont G, Navarro-Rouimi R. Pneumallergènes polliniques. In: Vervloet D et Magnan A. Traité d’Allergologie. Flammarion Médecine Sciences, Paris, 2003 : 409-40. 10. Zanforlin M, Incorvaia C. A case of pollinosis to Broussonetia papyrifera. Allergy 2004 ; 59 (10) : 1136-7. 11. Wu PC et al. Pollen of Broussonetia papyrifera: an emerging aeroallergen associated with allergic illness in Taiwan. Sci Total Environ 2019 ; 657 : 804-10. doi:10.1016/j.scitotenv.2018.11.324. 12. https://www.pollens.fr/lereseau/les-pollens/plantain (consulté le 28 avril 2021). 13. Nakamaru Y et al. Plantago lanceolata (English plantain) pollinosis in Japan. Auris Nasus Larynx 2005 ; 32(3) : 251-6. ALLERGIE AU LAIT DE FEMME ! L’observation de Mäkinen-Kiljunen et Plosila(1) est pour l’instant unique. C’est une « observation familiale » puisqu’elle concerne un jeune père de 25 ans, son bébé âgé de 9 mois, la maman, et même la sœur de cette dernière ! Le père consulte pour une urticaire prurigineuse du thorax après avoir embrassé sa femme lorsqu’elle allaitait et, également, lorsqu’il était en contact avec les vomissements du bébé ! Ces symptômes, survenus par conséquent à plusieurs reprises, avaient débuté lorsque le nourrisson avait 3 mois et cessèrent 6 mois plus tard. Le père était atteint d’une dermatite atopique persistante qui avait commencé pendant son enfance. Il avait aussi une rhino-conjonctivite par allergie à certains animaux domestiques, dont le chien. Atteint d’asthme jusqu’à l’âge de 10 ans, il était maintenant devenu asymptomatique. Les prick-tests cutanés (PT) allaient confirmer les manifestations atopiques du jeune père et préciser le mécanisme de son urticaire. Les PT furent positifs (induration ≥ 3 mm) pour le chat, le chien et le cheval, mais négatifs pour les acariens, les pollens, les moisissures et le latex. Les PT avec le lait de son épouse furent très fortement positifs avec une papule de 7 mm pour son lait frais et 10 mm pour son lait congelé. Le PT fut également positif avec le lait de sa belle-sœur qui allaitait aussi à ce moment-là (6 mm) ! À noter que le témoin histamine était à 3 mm et que le témoin négatif (solution glycéro-saline) ne donnait aucune réaction, ce qui validait le résultat des PT. Les IgE sériques totales étaient augmentées à 430 kU/l (normale < 10 kU/l). Il n’avait pas d’IgE sériques spécifiques (IgEs) contre le lait de vache, mais des IgEs anti-alpha-lactalbumine bovine étaient présentes (1,9 PRU/ml). Les immunoblotts montrèrent que les IgE du sérum du patient fixaient deux allergènes de PM 14 et 16 kDa. présents dans le lait de son épouse. Cette fixation était totalement inhibée par l’incubation préalable avec l’alpha-lactalbumine humaine (0,5 g/l), mais pas avec le lait de vache ou l’alpha-lactalbumine bovine. L’ensemble de ces tests, effectués chez 6 témoins atteints d’allergie aux protéines du lait de vache, furent négatifs. L’ensemble de ces résultats montre bien qu’une allergie au lait de femme était la cause de l’urticaire récidivante de ce jeune père et qu’elle était IgE-dépendante. En effet, le sérum du patient contenait des IgE dirigées contre l’alpha-lactalbumine humaine, totalement inhibées par l’alpha-lactalbumine humaine, mais pas par l’alpha-lactalbumine bovine. Le père avait encore des séquelles de dermatite atopique, et cette altération de la fonction barrière de la peau peut expliquer qu’il ait été sensibilisé par les vomissements du bébé jusqu’à l’âge de 3 mois, date où sont apparus les symptômes. La positivité du PT avec le lait de sa belle-sœur rend compte du caractère familial de cette extra-ordinaire observation. La présence de bêta-lactoglobuline bovine ou d’autres allergènes alimentaires dans le lait de femme, prouvée par dosage biologique(2) ou par l’observation clinique, est relativement fréquente, pouvant expliquer l’urticaire, l’eczéma ou des symptômes plus sévères pendant ou au décours de la prise du sein. Cette curieuse observation permet de rappeler qu’un contact cutané direct peut provoquer des allergies sévères, en particulier aux allergènes alimentaires, surtout si la fonction barrière de la peau est diminuée. Tous les allergènes peuvent être concernés, en particulier les végétaux et le poisson(4-6). L’allergie humaine au lait de femme existe, mais elle est exceptionnelle puisque cette observation est pour l’instant unique ! Références 1. Mäkinen-Kiljunen S, Plosila M. A father’s IgE-mediated contact urticaria from mother’s milk. J Allergy Clin Immunol 2004 ; 113(2) : 353-4. 2. Sorva R et al. Beta-lactoglobulin secretion in human milk varies widely after cow’s milk ingestion in mothers of infants with cow’s milk allergy. J Allergy Clin Immunol 1994 ; 93(4) : 787-92. 3. Tan BM et al. Secere food allergies by skin contact. Ann Allergy Ashma Immunol 2001 ; 86(5): 583-6. 4. Dominguez C et al. Allergic reactions following skin contact with fish. Allergy Asthma Proc 1996 ; 17(2) : 83-7. 5. Kalogeromitros D et al. Contact urticaria and systemic anaphylaxis from codfish. Contact Dermatitis 1999 ; 41(3) : 170-1. 6. Akpinar O. Urticaria and anaphylaxis in a child after skin contact with after skin contact with a lentil soup. Indian J Pediatr 2018 ; 85(7) : 575.

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