Allergologie
Publié le 12 mai 2025Lecture 10 min
Anne DES ROCHES, Professeur agrégé de clinique, université de Montréal ; Département de pédiatrie, section allergie, CHU Sainte-Justine, Montréal, Québec, Canada

Les récentes épidémies, que ce soit celles de la rougeole, du H1N1 ou de la Covid-19, ont mis en lumière l’importance de la vaccination tant pour la protection de l’individu que celle de la communauté. Une absence de vaccination pour une personne et un faible taux de vaccination communautaire impliquent des risques élevés d’infection, avec le lot de complications qui s’enchaînent par la suite, tant au niveau des hospita- lisations que des décès. Malgré les appréhensions diverses d’une partie de la population face à la vaccination, il faut savoir que l’allergie au vaccin demeure une réalité clinique concrète, mais heureusement très peu fréquente.
LA CRAINTE ENVERS LES VACCINS, UN PHÉNOMÈNE QUI N’EST PAS RÉCENT
Bien que les bénéfices à la vaccination semblent évidents, un nombre de plus en plus grand d’individus refuse la vaccination pour diverses raisons. Et ce phénomène ne date pas d’hier. Lors des grandes épidémies de variole en 1885 au Québec, une grande partie de la population boudait la vaccination, bien que disponible. Le taux de mortalité étant catastrophique et afin de protéger la population, le maire de la ville de Montréal de l’époque a exigé la vaccination à tout enfant désirant fréquenter le milieu scolaire(1). Depuis, grâce à la vaccination, la variole est devenue une histoire du passé. Toutefois, ce phénomène de crainte collective se répète aujourd’hui, comme on a pu le constater lors de l’épidémie de Covid-19. Et dans ce dernier cas, la survenue précoce de réaction allergique au vaccin est venue attiser la flamme anti-vaccin, d’où l’importance de bien comprendre et savoir comment investiguer et prendre en charge ces situations cliniques.
CLASSIFICATION DES RÉACTIONS VACCINALES
Toute réaction vaccinale n’est pas de nature allergique. On classifie d’abord les réactions vaccinales selon leur délai d’apparition. On parle de réaction immédiate lorsque la réaction survient dans un délai inférieur à 4 heures après la vaccination et de réaction retardée pour celles apparaissant entre 4 heures et plusieurs jours post-vaccination. Dans cet article, nous ciblerons les allergies médiées par les IgE et donc les réactions immédiates post-vaccination. Par définition, ces réactions surviennent très rapidement après la vaccination, le plus souvent dans les minutes suivant la vaccination, mais rarement plus d’une heure post-vaccination. Toutefois, les apparences peuvent être trompeuses et des réactions n’impliquant pas la présence d’IgE, et donc de nature non allergique, peuvent se présenter.
Réaction vaccinale immédiate : quelle est la place de l’IgE ?
D’autres mécanismes immunologiques que la réaction d’hyper- sensibilité type 1, qui implique l’IgE, peuvent entraîner une dégranulation rapide du mastocyte et ainsi causer un tableau similaire à une réaction allergique. L’activation du complément ou du récepteur MRGPRX2 (récepteur X2 associé à la protéine G ou Mas-Related G Protein-Coupled Receptor-X2) par de petites molécules ou peptides peut entraîner la libération de médiateurs inflammatoires par le mastocyte et entraîner un tableau clinique suspect d’allergie au vaccin qui peut être sévère, notamment dans le CARPA (pseudo-allergie reliée à l’activation du complément ou Complement Activation Related Pseudo Allergy). D’ailleurs, dans les réactions présentées lors de la vaccination anti-Covid-19, la présence d’anti-polyéthylène glycol (PEG) (principalement des IgM) ayant activé le système du complément et la dégranulation mastocytaire, peut expliquer une partie des réactions immédiates rapportées. De plus, des prédispositions individuelles à la dégranulation mastocytaire peuvent être présentes et expliquer la survenue de réaction d’allure allergique, notamment chez les individus souffrant d’urticaire chronique ou de dermographisme. De plus, il a été montré que le seuil de réaction des récepteurs du mastocyte pouvait être abaissé par différents facteurs, tels que les œstrogènes, les neurotensines, la substance P et la corticotropin-releasing hormone. Finalement, des désordres du mastocyte, telle la mastocy-ose, l’alpha-tryptasémie et le syndrome d’activation du mastocyte peuvent entraîner des tableaux cliniques suspects de réaction allergique(2).
Des réactions non immunologiques peuvent aussi provoquer des réactions suspectes d’allergie, notamment les réponses reliées au stress (ou Immunization Stress Related Responses (ISSR)) qui incluent les réactions vagales, les réactions d’anxiété et les réactions psychologiques de masse, de même que les désordres neurologiques fonctionnels. Les réponses reliées au stress lors des vaccinations sont plus souvent rapportées lorsqu’il s’agit d’un nouveau vaccin (ex. : vaccin anti-Covid-19), que la vaccination est douloureuse (ex. : vaccin VPH) et dans les vaccins oraux, lorsque ce dernier a mauvais goût (ex. : vaccin du choléra). La présence de trouble d’anxiété, de dépression, d’allergies médicamenteuses multiples ou d’autres maladies allergiques semble également augmenter le risque de réactions reliées au stress dans cette population(2,3) (tableau 1).
QUEL EST LE RISQUE RÉEL D’UNE ALLERGIE AU VACCIN ?
Fort heureusement, l’incidence d’allergie au vaccin médiée par les IgE est très faible. Une étude réalisée aux États-Unis, regroupant 9 millions d’individus et plus de 25 millions de vaccins administrés, a rapporté un risque d’anaphylaxie post-vaccinal de 1,31 cas/million de doses. Les risques varient selon le vaccin, avec des taux de 0,51 par million de doses pour le vaccin diphtérie-tétanos-coqueluche (Tdap), 1,35 pour le vaccin antigrippal trivalent et 2,48 pour le vaccin anti- pneumocoque (PPSSV23), pour donner quelques exemples(4).
Quels sont les différents types d’allergènes retrouvés dans un vaccin ?
La survenue d’une réaction allergique au vaccin implique une exposition antérieure à l’allergène. Cette exposition peut se produire lors d’une vaccination antérieure ou au contact de cet allergène dans d’autres produits, qu’ils soient de nature médicamenteuse, cosmétique ou alimentaire. De façon générale, on retrouve davantage l’allergène responsable au niveau de l’excipient du vaccin que dans l’antigène vaccinal lui-même. Plu- sieurs produits figurent parmi les allergènes vaccinaux identifiés (figure 1). Les protéines animales retrouvées à l’intérieur des vaccins ont été très souvent incriminées comme source de réaction allergique au vaccin. Effectivement, on retrouve des taux très élevés de gélatine à l’intérieur de certains vaccins, notamment les vaccins contre la rougeole- oreillon-rubéole, le varicella-zoster et celui de la varicelle, qui contiennent approximativement entre 11 et 15 mg de protéine de gélatine par vaccin. La gélatine est utilisée comme agent stabilisateur pour le vaccin. D’ailleurs, plusieurs fabricants ont retiré la gélatine de leurs vaccins, bien que le changement de gélatine de bœuf pour celle de porc ait permis de réduire significativement la survenue de réaction allergique. En ce qui concerne les vaccins préparés sur base d’œuf embryonné utilisé pour permettre la réplication virale, le taux de protéines d’œuf retrouvé dans ces vaccins est très faible, de l’ordre du nanogramme pour le vaccin rougeole-oreillon-rubéole et du microgramme pour les vaccins antigrippaux. L’épidémie de virus H1N1 en 2009 a d’ailleurs mis en évidence que cette faible quantité de protéines d’œuf n’augmentait pas le risque de réaction allergique chez les individus allergiques aux œufs(5).
Figure 1. Étiologies des réactions vaccinales immédiates.
*MRGPRX2 : Mas-Related G Protein-Coupled Receptor-X2.
Depuis, l’allergie aux œufs n’est plus une contre-indication à la vaccination anti-grippale. En ce qui concerne le vaccin de la fièvre jaune, bien que son contenu en œuf soit également de l’ordre du microgramme, l’allergie à l’œuf demeure une contre-indication partielle(6). Une investigation allergologique demeure indiquée pour ce vaccin. Une série de cas publiée récemment semble montrer qu’il soit également bien toléré chez les patients allergiques à l’œuf(3). Certaines protéines du lait, telles que la caséine, peuvent être retrouvées dans certains vaccins, comme ceux contre la diphtérie, le téta- nos et la coqueluche. Toutefois, la quantité de protéines de lait retrouvée est de l’ordre du nanogramme et le lien avec des réactions allergiques n’a pas été confirmé. L’allergie au lait n’est donc pas une contre-indication à la vaccination avec ces produits. La présence de levures, notamment le Saccharomyces cerevisiae, utilisées dans les milieux de culture de certains vaccins, notamment ceux de l’hépatite B, l’Haemophilus influenzae type B, le pneumocoque et la typhoïde, ont été très rarement la source de réaction allergique au vaccin(3).
D’autres produits, notamment le latex, qui peut être retrouvé dans le bouchon du vial de vaccin ou dans le protecteur de la seringue pour les vaccins déjà prédosés, peuvent être une cause de réaction allergique au vaccin, même si non retrouvés dans le vaccin lui-même. Des précautions sont de mises avant de vacciner une personne connue pour réaction d’hypersensibilité type 1 au latex. Des alternatives utilisant des fioles sans latex existent pour la très grande majorité des vaccins.
L’antigène vaccinal lui-même est rarement associé à des anaphylaxies, bien qu’un cas d’anaphylaxie sur une toxine diphtérique mutée ait été rapporté. Des réactions retardées, notamment des réactions d’Arthus fréquemment associées à la toxoïde tétanique, sont toutefois rapportées(3).
Les adjuvants, utilisés pour augmenter la réaction immunologique au vaccin, notamment l’aluminium, de même que les agents de conservations, tels le thimérosal, le phénoxyéthanol et les phénols, causent des réactions locales retardées et non des anaphylaxies. Il est intéressant de savoir que l’aluminium est fréquemment associé à la survenue de petits nodules palpables au site de vaccination (0,03-0,8 %), apparaissant typiquement trois mois après la vaccination. Ils peuvent être associés à la présence d’eczéma, d’hypertrichose ou de décoloration localement au site de vaccination et ne constituent pas une contre-indication à la revaccination(3).
COMMENT INVESTIGUER UNE POSSIBLE RÉACTION ALLERGIQUE AU VACCIN ?
La première étape dans l’investigation d’une réaction allergique possible au vaccin est de réaliser un bon questionnaire pour connaître les conditions médicales préexistantes de l’individu (ex. : dermographisme, urticaire chronique), établir l’ensemble des médicaments et vaccins reçus autour de l’événement, le contexte de vaccination (ex. : vaccination en milieu scolaire, vaccination de masse), le délai d’apparition de la réaction investiguée et les symptômes présentés.
Dans un deuxième temps, des tests cutanés d’allergie peuvent être réalisés. On procédera d’abord à des tests de scarifications avec le ou les vaccins suspectés. S’ils s’avèrent négatifs, on poursuivra en réalisant des tests intradermiques avec une dilution 1/100 des vaccins. En parallèle, on pourra également réaliser des tests à d’autres allergènes pouvant avoir été impliqués dans la réaction présentée, notamment le latex, la chlorhexidine utilisée parfois comme désinfectant avant la vaccination, ou des médicaments, des aliments, des aeroallergènes présents au moment ou peu avant la réaction présentée.
Si les tests d’allergie au vaccin s’avèrent négatifs, on pourra pro- céder à une revaccination s’il y a lieu, et ce, sous supervision médicale. On pourra administre le vaccin en une seule dose ou en administrant tout d’abord 1/10 de la dose, puis 20 minutes plus tard, si la première partie de la dose a été bien tolérée, le 9/10 restant du vaccin. On suggère de garder cette personne vaccinée sous observation dans l’heure suivant l’administration de la dose complète du vaccin. Évidemment, cette revaccination doit être réalisée dans un environnement où le personnel et l’équipement requis sont disponibles en cas d’anaphylaxie(2,3).
Prise en charge des individus avec allergie au vaccin confirmée
Dans les rares cas où une allergie médiée par les IgE est confirmée, on recommande évidemment d’éviter une revaccination avec ce produit. Toutefois, il peut arriver des situations où le calendrier d’administration du vaccin ne soit pas complété et qu’il n’y ait pas de vaccin alternatif sans allergène. Dans ces situations, on doit d’abord évaluer le statut vaccinal de l’individu. Si son immunisation a atteint un niveau protecteur, il est alors préférable de ne pas revacciner, de suivre le niveau d’immunisation, de même que la persistance ou résolution de l’allergie dans le temps. Effectivement, il a été documenté que l’allergie au vaccin pouvait disparaître spontanément avec le temps(7). Si la personne n’a pas atteint un niveau d’immunisation protecteur, on peut proposer de procéder à une désensibilisation au vaccin, en l’administrant progressivement, en débutant à une dose de 1/1 000 et en augmentant progressivement la dose toutes les 20 minutes, jusqu’à administration complète de la dose. Évidemment, une désensibilisation au vaccin doit être réalisée uniquement en milieu hospitalier et supervisée par des allergologues(2,3) (figure 2).
Figure 2. Prise en charge de la réaction vaccinale suspecte d’une réaction induite par les IgE.
CONCLUSION
• L’allergie au vaccin est un phénomène rare, survenant approximativement dans un cas par million de doses administrées.
• Plusieurs situations peuvent donner l’apparence d’une allergie au vaccin sans que ce soit le cas, notamment les réactions vagales ou induites par le stress.
• Des tests cutanés d’allergie peuvent être réalisés pour vérifier la présence ou non d’une allergie induite par les IgE.
• Une consultation en allergie est importante pour confirmer la présence d’une allergie au vaccin et émettre les recommandations concernant la poursuite ou non de la vaccination.
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