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Allergologie

Publié le 10 déc 2021Lecture 10 min

La noix de cajou - Un allergène en expansion constante

Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse

Les noix d’arbres (angl. : tree nuts) sont souvent désignées sous le vocable large de « fruits secs à coque » qui regroupe les amandes, les noisettes, les pistaches, les noix, les diverses noix exotiques habituellement présentées dans les apéritifs (noix de cajou, noix du Brésil, noix de Macadamia, noix de Nangaille, noix de coco, pignon de pin). Elles sont présentées de façon individuelle, mais aussi, de plus en plus souvent, sous forme de mélanges. Les allergologues observent régulièrement des allergies alimentaires (AA) souvent sévères à ces fruits. Avec l’AA à l’arachide qui fait partie d’une autre famille botanique — les légumineuses — les AA aux fruits à coque ont suscité de nombreuses études au cours des quinze dernières années. Si toutes sont responsables d’AA, la noix de cajou y occupe une place très importante. Les allergies à ces noix participent aux « nouvelles allergies alimentaires », favorisées par la rapidité des transports et par la mondialisation des repas et des desserts(1). Les pays produisant et exportant la noix de cajou sont surtout le Vietnam, le Nigéria, l'Inde et le Brésil. La production mondiale(a) était d'un peu plus de 4 millions de tonnes en 2016, en augmentation d'un demi-million de tonnes par rapport à 2012(2).

(a) https://fr.wikipedia.org/wiki/Noix_de_cajou (consulté le 28 août 2021).

BOTANIQUE La noix de cajou (noix d’acajou ou anacarde, fruit de l’anacardier,angl. : cashew nut) est le fruit d’un arbre d’Amérique tropicale (Est du Brésil) ou Anacardium occidendale. C'est un fruit à drupe(b) dont la coque contient une résine caustique et allergisante, avec à l'intérieur une amande comestible. Après plusieurs opérations (séchage, chauffage, décorticage et torréfaction), la noix possède ses diverses qualités gustatives. Elle est alors consommée telle quelle ou servie en cuisine comme l’arachide. En Europe, elle est surtout consommée grillée et salée, au cours des apéritifs, en amuse-bouche comme l’arachide. Il existe des « mélanges de fruits à coque » contenant surtout de l’arachide, de la noix de cajou, et d’autres noix, ce qui pose des problèmes d’identification de l’allergène responsable au cours du diagnostic des AA. En effet, l’individu ayant consommé un mélange est souvent incapable de nommer l’aliment en cause. De plus, des difficultés peuvent survenir des contacts/contaminations allergéniques entre les divers fruits secs voisins, constitutifs du mélange. Ces contaminations posent les problèmes habituels, déjà connus, des AA par procuration(c). Bien que la pollinisation de l’anacardier soit plus entomophile qu’anémophile, ses pollens pourraient provoquer des allergies polliniques, surtout chez les ouvriers qui travaillent dans les plantations ou chez les personnes qui vivent à leur proximité(3). Anacardier. b. Fruit charnu à noyau comme la pêche, la cerise, la prune et bien d’autres. Issu de la paroi interne de l’épicarpe, le noyau contient la graine ou amande. http://www.larousse.fr/dictionnaire/français/drupe/26893 (consulté le 28 août 2021). c. Nous avons observé une première consommation fortuite de noix de cajou dans un mélange de fruits secs pour apéritifs chez une fillette de 2 ans qui avait des antécédents de dermatite atopique modérée et une sensibilisation à l’œuf. In Le Dictionnaire des Allergènes, Phase V Édit., Paris, 2002, 3e édition, 2002, p. 135-67. ALLERGÈNES Comme la pistache ou la mangue, la noix de cajou contient des oléosines qui sont présentes dans les oléosomes, participant au stockage des lipides des graines des oléagineux. Elles sont responsables de dermites de contact dont l’aspect très particulier est celui d’une éruption rouge et violacée des régions génitales, des fesses, de la face interne des cuisses, dénommée le « syndrome du babouin »(4). Les allergènes majeurs sont au nombre de trois : Ana o 1 (protéine vicilline-like de PM 50kDa résistant à la chaleur et à la protéolyse), Ana o 2 (protéine légumine-like de PM 33 kDa) et Ana o 3 (albumine 2S de PM 13 c kDa). Ces allergènes sont des protéines de stockage des graines, et existent sous forme d’allergènes recombinants (rAna o 1, rAna o2 et rAna o3). Un facteur prédictif de la gravité de l’AA à la noix de cajou est la présence d’IgE sériques spécifiques (IgEs) dirigées contre le recombinant rAna o 3. En effet, il existe des IgEs chez 62 à 80 % des patients ayant une AA à la noix de cajou(5). Les allergènes de la noix  de cajou affectent des réactions croisées in vitro avec les allergènes des autres Anacardiacées que sont la pistache (Pistacia vera, angl. : pistachio) et la mangue (Mangifera indica, angl. : mango). Ces réactions croisées sont importantes avec les allergènes de la pistache (Pis v1, Pis v2 et Pis v 3). Elles peuvent avoir une expression clinique, en particulier pour la mangue, les graines de mangue et aussi la pistache(in 2). L’étude de Tarik et coll.(6) confirme que la dermatite atopique (odds ratio 9,9 [IC95% : 2,1-47,9]) et l’allergie/sensibilisation à l’œuf (odds ratio 7,3 [IC95% : 2,2-26,1]) sont aussi des facteurs prédictifs de l’AA à la noix de cajou. Noix de cajou prêtes à la consommation. SYMPTÔMES ET ÉTUDES CLINIQUES La noix de cajou peut être responsable d’anaphylaxies alimentaires graves, prélétales ou létales. Historiquement 2 des 6 patients décrits par Sampson et coll.(7) décédés d’anaphylaxie par AA avaient consommé des noix de cajou, l’un dans un sandwich, l’autre dans des friandises. En 2001, Hourinane et coll(8) étudiant 29 patients âgés en moyenne 7,5 ans, dont 26 (89 %) de moins de 16 ans (89 %), la quantité d’allergènes provoquant les symtômes était minime(6). Certaines études suggèrent que les individus allergiques au pollen de cajou ont un risque élevé de développer une AA à la noix. Il existe des spécificités géographiques concernant les allergies aux fruits à coque(8,9). L'AA à la noisette est globalement l’une des plus fréquentes des allergies aux nuts en Europe, entre 1,3 % en Islande et 17,8  % en Suisse(in 9). Si l’allergie à la noisette est la plus fréquente de ces allergies en Europe, les AA aux noix (fruit du noyer) et à la noix de cajou sont les plus fréquentes aux États-Unis, tandis que les allergies aux noix du Brésil, à l’amande et la noix sont les plus fréquentes au Royaume-Uni(10). Les âges comparatifs d’apparition des AA à l’arachide et à la noix de cajou sont variables(11-13). Aux États-Unis, l’AA à l’arachide (cacahuète) débute précocement (avant l’âge de 1 an), plus tardivement en Europe(11). Il existe une différence entre Israël et le Royaume-Uni : en Israël, l’AA à l’arachide est rare, car les protéines d’arachide sont introduites de façon précoce dans l’alimentation du nourrisson, ce qui entraîne une acquisition de tolérance, alors que l’inverse est constaté au Royaume-Uni(12,13). Les symptômes cliniques de toutes ces AA vont du syndrome d’allergie orale (SAO) à l’anaphylaxie. L’exposition aux pollens, variable selon les régions, explique les différences de prévalence de ces AA. Les SAO sont liées à l’homologie entre les pollens responsables et les protéines PR10 (pour protein related 10). Les symptômes sévères sont liés aux protéines de stockage des graines. La notion la plus importante acquise au cours des dernières années est que les symptômes de l’AA à la noix de cajou peuvent être au moins aussi graves que ceux de l’AA à l’arachide. Les premières grandes séries d’allergie à la noix de cajou ont été publiées entre 2001 et 2007(8,14,15). L’étude de Rancé et coll.(14) portait sur 41 enfants âgés en moyenne de 2,7 ans non atteints d’AA associée à l’arachide. L’âge moyen lors de la première réaction était de 2 ans. Seul un enfant sur 5 avait été exposé auparavant à la noix de cajou. Les symptômes étaient cutanés (56 %), respiratoires (25 %) et digestifs (17 %). Près d’un enfant sur deux (44 %) avait des AA associées, en particulier à la pistache. Le diamètre moyen des prick-tests (PT) était de 7 mm et la moyenne de la concentration des IgE sériques spécifiques (IgEs) était de 3,1kUA/l(14). L’étude de Clark et coll.(15) comparait 47 enfants ayant une AA à la noix de cajou et 94 enfants atteints d’AA à l’arachide. Les symptômes d’appel étaient les mêmes dans les deux groupes (mis à part une fréquence plus élevée de l’asthme chez les allergiques à l’arachide). En revanche, des symptômes sévères comme le wheezing (OR 8,4 [IC95% : 3,2- 20]) et les troubles cardiovasculaires (OR 13,6 [IC95% : 5,6- 32,8]) étaient très nettement plus fréquents chez les allergiques à la noix de cajou, suggérant que l’AA à la noix de cajou était plus grave que l’allergie à l’arachide. En effet, le risque de réaction sévère (dyspnée importante et/ou collapsus) évalué par la méthode des odds ratio (OR) était très fortement augmenté dans le groupe « cajou » (OR 25,1 [IC95% : 3,1-203,5])(15). Dès 2005, Davoren et coll.(16) avaient insisté sur le fait que l’AA à la noix de cajou était associée à un haut risque d’anaphylaxie puisque l’incidence de cette dernière était de 74,1 % contre 30,5 % pour l’AA à l’arachide. L’étude de Delahaye et coll.(17) précisé les facteurs prédictifs de sévérité de l’AA à la noix de cajou : I) absence de réaction allergique antérieure à la noix de cajou (OR 2,8 [IC95% : 1,1-7,3]) ; II) existence d’un asthme (OR 8,4 [IC95% : 1,2-6,6]) ; III) sexe féminin (OR 7,5 [IC95% : 2- 27,9]) ; IV) taille du PT à la noix de cajou supérieure ou égale à 8 mm (OR 11,6 [IC95% : 2,6- 52,2]). Le facteur prédictif statistiquement le plus important était la taille du PT(16) (figure 1). Figure 1. Prick-test cutané nettement positif à la noix de cajou (induration 10 mm), chez une patiente sensibilisée à l’œuf (3 mm), réactive au témoin positif (histamine) (coll. G. Dutau). Une autre nouveauté concerne les modalités de diagnostic de l’allergie alimentaire à la noix de cajou. Un score prédictif de diagnostic est basé sur le dosage des IgEs dirigées contre la noix de cajou. Maynadié et coll.(18) ont proposé un score combinant le taux des IgEs, la mesure des PT et le sexe des patients. Selon les auteurs, le test de provocation par voie orale (TPO) pourrait être évité chez les patients ayant un score égal ou supérieur à 8, alors qu’il deviendrait nécessaire si le score était inférieur à 4(18). Au Japon, pour Inoue et coll.(19), le TPO est nécessaire chez les patients ayant des antécédents de réactions immédiates à la noix de cajou et chez les patients sans antécédents, mais dont des IgEs sont supérieures à 66,1 kUA/l(19). En 2018, Bourcier et Bourrier(20) ont tiré les conclusions d’une série de 36 TPO à la noix de cajou et, plus récemment, des dosages d’IgEs contre rAna o 3. Cette étude rétrospective (2007- 2016) portait sur 36 enfants (28 garçons et 8 filles), âgés en moyenne de 3 ans lors du premier bilan allergologique et de 8 ans 1 mois au moment du TPO. Le dosage des IgEs contre rAna o 3 (f443), seulement disponible depuis septembre 2013, n’a pu être effectué que chez 15 enfants. Le TPO a été effectué avec des noix de cajou non grillées, administrées toutes les 30 minutes jusqu’à une dernière dose de 2 500 mg, ce qui correspond à une dose cumulée de 4 441 mg (équivalent à 3 ou 4 graines de cajou) pour un TPO complet(20). Parmi les 36 enfants, 14 avaient des PT comparables avant et après le TPO, 18 des réactions moins importantes (négatives pour 5 d’entre eux), et 4 des tests plus fortement positifs après le TPO. Au cours du TPO, la dose cumulée prévue (4 441 mg) fut atteinte par 25 enfants (69,5 %), 15 sans symptôme clinique (41,7 %) et 21 avec des réactions cliniques nécessitant 11 fois l’arrêt du TPO(20). Globalement, 36 % des enfants ont développé une réaction anaphylactique au cours du TPO, 8 d’entre eux ayant dû recevoir de l’adrénaline IM. En revanche, près de la moitié des enfants (41,6 %) n’a présenté aucune réaction clinique pendant le TPO et les 4 heures dc surveillance après le TPO, ce qui démontre la possibilité d’acquisition d’une tolérance orale spontanée à la noix de cajou(20). En pratique, contrairement à une opinion qui considérait que l’AA à la noix de cajou était durable, cette étude montre qu’elle peut guérir, avec acquisition d’une tolérance orale spontanée(20). Néanmoins des études supplémentaires sont nécessaires pour : I) valider les scores cliniques prédictifs (dont celui de Maynadié qui semble le plus prometteur) ; II) préciser la valeur du dosage des IgEs contre rAna o 3 et les critères d’indication des TPO ; III) déterminer les phénotypes pré- dictifs de l’évolution de l’AA à la noix de cajou.

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