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CONGRÈS

Publié le 08 avr 2021Lecture 7 min

Genèse de la pandémie Covid-19

Michèle DEKER, Paris

Même s’il est trop tôt pour tirer des leçons de la crise sanitaire, la première de ces leçons concerne la gestion des informations. Nous vivons une période de médiatisation inégalée où tout le monde sait tout en temps réel, avec un rythme de publication effréné (95 000 publications en 10 mois). Les crises sanitaires sont nées avec la sédentarisation des humains ; elles se sont succédé régulièrement tout au long de notre histoire, favorisées par la croissance et la densification des populations, et connaissent une accélération avec le développement des échanges. Nous sommes dans la cinquième crise sanitaire dans un monde très international, interdépendant, où les niveaux sanitaires sont très variables d’une région à l’autre.

Certains virus sont sous surveillance, d’autres non. Le XXe siècle a été marqué par deux pandémies majeures. La première est la pandémie grippale survenue en 1918, qui a fait 20 à 30 millions de décès, liée à l’émergence du virus influenza A H1N1 d’origine aviaire, responsable d’une infection respiratoire aiguë. Cette pandémie a été à l’origine de la mise en place du système de surveillance mondiale de la grippe. La deuxième est la pandémie VIH, en 1980, responsable d’une infection virale chronique avec intégration du virus, et qui a donné lieu à un effort sans précédent de la virologie et de développement des traitements antiviraux. Le XXIe siècle a débuté avec l’émergence de 7 virus à ARN, qui pour la plupart sont restés relativement localisés (ZIKA, Ebola, Chikungunia, grippe H1N1v en 2009). Toutefois, même si nous disposons de vaccins efficaces pour certains virus, une résurgence massive est possible, comme c’est le cas de la rougeole. Au début des années 2000 est apparu le concept « One health », à visée préventive : une meilleure connaissance des virus circulant dans la faune sauvage et chez les espèces animales au contact des hommes permettrait de réagir plus efficacement devant l’émergence d’un virus et de mieux contrôler sa diffusion. La connaissance des modalités de franchissement des barrières d’espèce serait plus accessible. Ce concept n’est malheureusement pas encore appliqué. Trois coronavirus émergents en 20 ans  Il y a eu trois émergences de coronavirus en 20 ans : le SARS-CoV 2003-2004 qui a essentiellement circulé en Chine avec 8 000 cas déclarés et 800 morts ; le MERS-CoV en 2012, virus qui circule essentiellement dans la péninsule arabique, ne diffuse pas dans la population générale mais très bien dans les milieux de soin, et toujours sous surveillance ; le SARS-CoV-2 en 2019. Ces trois émergences laissent supposer que les coronavirus ont une certaine dynamique d’émergence. Le SARS-CoV-2 est aujourd’hui ubiquitaire. Sa circulation n’a pas été freinée par une immunité protectrice croisée avec les autres coronavirus et n’a été contrainte que par les mesures de confinement et par les conditions climatiques variables selon les régions du globe. Il s’agit d’un virus à transmission respiratoire directe et indirecte, avec un R0 très supérieur à 1, certains individus étant super propagateurs. Il est très difficile de modéliser la propagation du virus, dans la mesure où des charges virales équivalentes sont retrouvées, que le sujet soit asymptomatique ou symptomatique ; en outre, chez les sujets symptomatiques, le virus est présent avant l’apparition des signes cliniques. Ce scénario est proche de celui de la grippe et diffère de celui du SARS-CoV. La Covid-19 est essentiellement une infection respiratoire aiguë. Cependant, le récepteur cellulaire du virus est largement distribué dans l’organisme. La présence du virus en dehors des voies respiratoires est probable, d’autant que l’on a découvert des lésions de très nombreux organes, essentiellement d’origine inflammatoire. Un ARN de très grande taille  Les coronavirus sont des virus anciens, appartenant à 4 genres : alpha, bêta, gamma et delta. Ils ont un très large spectre d’hôtes et affectent un grand nombre d’espèces aviaires et de mammifères, dont l’homme. Ils sont responsables de pathologies res- piratoires et entériques, ou entériques. C’est le groupe des bêtacoronavirus qui est le plus dynamique en termes d’émergence. Le SARS-CoV-2 appartient au clade Sarbecovirus. Le virus le plus proche sur le plan génétique est un virus de chiroptère (RatG13). Le SARS-CoV-2 possède un ARN de très grande taille, dont les deux tiers (20 000 nucléotides) sont constitués de gènes codant pour des enzymes qui régulent la multiplication virale. L’intérêt s’est porté sur la protéine de surface spike qui comporte à sa partie glomérulaire le site de fixation du récepteur, au détriment du reste du génome. Le fait d’être un grand ARN viral suppose des contraintes puisque le virus est multiplié par une ARN polymérase qui ne corrige pas les erreurs, contrairement aux petits virus ARN (grippe, hépatite C). Dans le cas d’un très grand ARN, une trop forte accumulation de mutations peut conduire au « seuil catastrophe », si bien qu’au cours de son évolution, le virus a inclus dans son équipement enzymatique une exonucléase qui lui permet de corriger de façon partielle ses erreurs. Par conséquent, même si les coronavirus ont un taux de mutation moindre que celui de la grippe ou du HIV, ce taux est néanmoins important et les mutations intéressent toute la longueur du génome. Ces virus évoluent par mutations qui peuvent entraîner des changements d’acides aminés dans des régions clés du virus. Cette grosse molécule supporte les insertions et les délétions, par recombinaison génétique (de haut niveau), d’où un haut potentiel adaptatif avec une grande facilité de franchissement d’espèces. Une surveillance virologique est donc nécessaire. À la recherche de l'hôte intermédiaire Il existait déjà 4 coronavirus circulant dans notre population, responsables d’infections respiratoires aiguës peu sévères sai sonnières, donnant des réinfections fréquentes tout au long de la vie. Deux coronavirus humains ont émergé au XIIIe siècle et à la fin du XIXe siècle, sans que l’on ait gardé le souvenir de ces émergences, bien qu’elles aient probablement été meurtrières. La plupart de ces virus ont un réservoir naturel chez les chiroptères et généralement le virus a un hôte intermédiaire, souvent un animal d’élevage (bovins pour le HCoV-OC43 à une époque où l’élevage des bovins a débuté) ; le coronavirus a aussi utilisé le dromadaire, depuis l’intensification des élevages il y a 30-40 ans ; le SARS-CoV a utilisé la civette dont les élevages ont connu un important développement depuis 1980 en Chine, en phase avec l’augmentation du niveau de vie des Chinois. Du fait d’une proximité du RBD (domaine de liaison du récepteur) avec un virus de pangolin, des auteurs ont fait l’hypothèse que l’animal intermédiaire serait le pangolin, une espèce relativement peu abondante et qui ne peut pas être élevée en raison d’un régime alimentaire très contraint. Toutefois, il n’existe pas de données chez l’hôte animal intermédiaire puisque la Chine a fermé ses frontières et n’a pas publié de données chez les animaux d’élevage. La divergence entre le SARS-CoV-2 et le virus des chiroptères est de 40-70 ans. Il existe une très grande base phylogénique sur le plan évolutif, permettant d’identifier 4 clades et 3 sous-clades diversement distribués géographiquement. Les variations d’intérêt concernent la région ORF8 qui code pour une protéine non structurale dont le rôle est méconnu ; elle interviendrait dans l’immunité innée et a joué un rôle important dans l’adaptation du virus SARSCoV dans son passage de la civette à l’homme. Une première mutation significative est survenue avec le variant D614G, qui est devenu largement répandu et qui, in vitro, confère une meilleure efficacité de pénétration des virus dans les cellules et facilite le clivage entre la partie tige et la partie glomérulaire de la protéine spike. Des auteurs ont fait l’hypothèse que la faible diversité génétique du coronavirus SARS-CoV-2 sera son talon d’Achille quand la vaccination sera largement implémentée (Rausch JW et al. PNAS 2020). Toutefois il paraît normal que le SARS-CoV-2 diverge peu car il subit peu de pression immunitaire et vaccinale. Il existe deux forces évolutives pour les virus : la dérive génétique et la pression de sélection. Lorsque le virus est transmis par un individu à un autre, seule une partie de la population virale est transférée et il existe une dérive génétique aléatoire non modélisable. Les variants génétiques sont sélectionnés quand l’infection se multiplie beaucoup, qu’il y a des super propagateurs (sans compter le rôle des médicaments qu’il faudra étudier) et qu’il existe un début d’immunité collective, même en l’absence de pression vaccinale. Cela explique l’émergence de variants qui sont de plus en plus contraints et vont s’adapter. C’est ainsi qu’est arrivé le variant « anglais » en septembre, qui a rapidement diffusé au Royaume-Uni. Les études de modélisation épidémiologique suggèrent qu’il est plus transmissible, mais il y a peu de données virologiques. Ce variant est défini par diverses mutations tout au long du génome et deviendra probablement majoritaire en remplaçant le virus ancestral. Il existe aussi d’autres variants, sudafricain, brésilien, japonais, californien, etc. comportant des mutations qui pourraient les rendre plus résistants à l’immunité mise en place. Le risque pandémique est constant, il faut s’y préparer. Il est fondamental de comprendre les circonstances d’émergence. La surveillance virologique et clinique est plus que jamais nécessaire et doit se poursuivre dans le temps. Il faut s’intéresser à l’immunité protectrice au-delà de l’immunité cellulaire et de la seule protéine S.

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