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COVID-19

Publié le 07 avr 2020Lecture 5 min

Publications scientifiques : y aura-t-il un avant et un après ?

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La crise du COVID-19 suscite une avalanche d’articles scientifiques souvent mis en ligne sans avoir été évalués par des pairs. Retour sur des nouvelles pratiques de publications qui modifient les usages du genre.

Depuis le début de l’épidémie de COVID-19, un torrent continu d’études a été publié par des journaux internationaux reconnus, mais aussi et surtout sous forme de « preprint », ces articles mis en ligne sans qu’ils aient été revus par un comité de lecture d’une revue scientifique selon les canons du peer-review. Deux principaux serveurs biomédicaux créés en 2013, bioRxiv (https://www.biorxiv.org/) et medRxiv (https://www.medrxiv.org/), tous deux hébergés par le Cold Spring Harbor Laboratory Press, diffusent ces preprints à flux tendu. À l’heure où nous écrivons (31/03 à 17 h), une simple recherche de l’occurrence « COVID-19 » fournit 158 résultats pour le premier et 720 pour le second. En première analyse nous avons toutes les raisons de nous réjouir de cet accès rapide et sans limite à l’information scientifique dans un contexte d’urgence sanitaire où les chercheurs doivent échanger leurs résultats au plus vite. Les partisans de l’open access à l’ensemble de la littérature scientifique ne peuvent que se féliciter de l’attitude des revues prestigieuses, pour reprendre la terminologie consacrée, jusqu’à présent très jalouses de leur contenu (NEJM, Lancet, JAMA, Science, etc.) qui mettent à disposition de tous les lecteurs, abonnés ou non, les articles concernant le COVID-19 en full text(1). Certaines d’entre elles font tout pour évaluer les études reçues le plus rapidement possible, parfois en 48 h ou moins, une technique connue sous le nom de fast-track habituellement réservée aux publications d’exception. Mais passé ce premier élan, l’afflux de résultats non évalués doit aussi éveiller notre vigilance car il révèle la tension entre rapidité et qualité. D’autant que ces articles sont susceptibles d’influencer les politiques publiques au décours de la crise comme l’a reconnu l’OMS qui a décidé d’inclure certaines de ces études parmi celles jugées pertinentes(2). Quant à Olivier Véran, ministre de la Santé, et Frédéric Vidal, ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ils demandent, dans un communiqué de presse en date du 30 mars, « l’ouverture complète des publications et données scientifiques de la recherche française sur le COVID-19 » et la diffusion « de manière précoce » des résultats. Grandeurs et limites du preprint Inspirons-nous d’abord des leçons du passé. Les preprints publiés au cours des épidémies de Zika (2015-16) et d’Ébola (2014-16) ont été accessibles aux scientifiques en moyenne 100 jours avant leur publication dans un journal à comité de lecture. Le problème est que moins de 5 % des études acceptés par ces journaux avaient été diffusés auparavant en preprints(3). Dans la séquence actuelle deux incidents ont révélé la fragilité des publications en urgence. Le 31 janvier une étude de virologie publiée sur bioRxiv affirmait des homologies structurales entre la protéine S (pour Spike) du SARS-CoV-2 et les protéines gp120 et Gag du VIH. Suite à la prompte réaction d’une poignée de scientifiques et la réception de 90 critiques en 48 h, également relayées sur Twitter, ce travail a été rapidement rétracté. Autre exemple, celui d’un article paru le 2 février sur bioRxiv qui sous-entendait que le SARS-CoV-2 aurait pu être conçu en laboratoire, une porte ouverte aux rumeurs les plus folles(4). Là aussi la publication a été retirée suite aux protestations de plusieurs chercheurs. D’ailleurs, les organisateurs de la plateforme ont établi un nouveau circuit de vérification des textes concernant le COVID-19 par des experts de différentes spécialités, dans le but d’établir le sérieux des travaux proposés sans réellement les évaluer qualitativement. Ces exemples peuvent être interprétés de deux manières : soit on considère qu’ils pointent les dangers du système, soit ils témoignent de sa force, l’évaluation des publications étant livrée à la communauté scientifique dont on peut mesurer les saines réactions. D’autant que les revues à comité de lecture ne sont pas à l’abri de faux pas. Le 30 janvier, figurait dans les colonnes du NEJM une lettre(5) suggérant qu’une femme d’origine chinoise asymptomatique avait transmis le virus à plusieurs personnes en Allemagne. Il s’avéra que les signataires de la missive n’avaient jamais rencontré cette personne qui, de surcroît, présentait des symptômes(6). Mais à l’inverse, quel lecteur de ces articles sera capable d’une évaluation aussi précise que celle des rédacteurs du JAMA, qui ont retrouvé les mêmes malades dans différentes publications, ce qui ne devrait pas être le cas ? Compter sur la « communauté scientifique » — qu’il reste par ailleurs à définir — pour réviser les articles, c’est ignorer ses possibles divisions, passer outre ses passions et ses egos, avec le risque de s’exposer à des débats sur les réseaux sociaux qui n’en donneront pas image positive. Quel avenir pour les preprints ? Face à l’actuelle crise sanitaire les scientifiques se mobilisent, échangent et collaborent à une échelle internationale. Publier les études le plus rapidement possible participe de cette mobilisation sans précédent, mais peut aussi brouiller les vues par des résultats contradictoires dont il n’est pas facile de faire une synthèse en temps réel, qui plus est dans un contexte d’urgence. Il n’en reste pas moins que la question de l’open access et des preprints se posera avec plus d’acuité demain qu’avant la crise du COVID-19. G. L. Références 1. Maisonneuve H. Covid-19, vitesse et précipitation dans le domaine des publications ne sont pas un indicateur de qualité des publications. Rédaction médicale et scientifique, 27 mars 2020, https://www.redactionmedicale.fr/2020/03/covid-19-comment-suivre-la-bonne-litt%C3%A9rature-.html 2. Majumber MS, Mandl KD. Early in epidemic: impact of preprints on global discourse about COVID-19 transmissibility. Lancet 2020 ; 24 mars, https://doi.org/10.1016/S2214-109X(20)30113-3 3. Johansson MA et al. Preprints, an underutilized mechanism to accelerate outbreak science. PloS Med 3 avril 2018, https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1002549 4. Flier JS. Covid-19 is reshaping the world of bioscience publishing. STAT, 23 mars 2020, https://www.statnews.com/2020/03/23/bioscience-publishing-reshaped-covid-19/ 5. Rothe C et al. Transmission of 2019-nCov infection from an asymptomatic contact in Germany. N Engl J Med 2020, DOI: 10.1056/NEJMc2001468 6. Kupferschmidt K. A completely new culture of doing research ; Coronavirus outbreak changes how scientists communicate. Science, 26 février, doi:10.1126/science.abb4761   Avec le soutien institutionnel du laboratoire 

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