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Allergologie

Publié le 21 avr 2013Lecture 10 min

Conduite d’un bilan d’allergie médicamenteuse

P. DEMOLY, CHU Hôpital Arnaud-de-Villeneuve, Montpellier
Les allergies médicamenteuses restent un domaine de l’allergologie et de l’immunologie clinique très insuffisamment exploré. Les réactions d’hypersensibilité médicamenteuses peuvent être allergiques ou non allergiques. Si les urticaires et éruptions maculo-papuleuses sont plus fréquentes, les formes cliniques sont variées. La confirmation du diagnostic est importante, car la plupart des cas ne sont pas démontrés par un bilan allergologique complet basé sur la réalisation de tests cutanés à lecture immédiate ou retardée et de tests de provocation. Ces tests ne sont pas dénués de risque, d’où la place prépondérante de l’histoire clinique et des précautions strictes à leur usage permettant un diagnostic de certitude et la recherche d’alternatives.
Les manifestations cliniques des hypersensibilités médicamenteuses sont multiples, allant de l’éruption maculo-papuleuse ou urticarienne à l’oedème laryngé, au choc anaphylactique, aux atteintes muqueuses extensives avec ou sans décollement cutané (syndromes de Stevens-Johnson et de Lyell) et aux atteintes d’organes, par exemple foie ou rein).   Savoir de quoi l'on parle L’allergie médicamenteuse est toujours associée à un mécanisme immunologique où peuvent être mis en évidence des anticorps et/ou des lymphocytes T activés dirigés contre les médicaments. Les mécanismes sont multiples incluant l’ensemble des réactions de type 1 à 4 de la classification de Gell et Coombs(1). On qualifie d’hypersensibilité non allergique tout effet secondaire dont la symptomatologie évoque une allergie, mais dont la nature immunologique de la réaction ne peut pas être prouvée(2-4). Ces réactions sont le plus souvent imprévisibles. Elles peuvent évoquer un effet pharmacologique du médicament. Elles sont très nombreuses et d’étiologies polymorphes(2-4) : une histamino-libération non spécifique (aux opiacés, aux produits de contraste iodés et à la vancomycine) ; une accumulation de bradykinine (par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion) ; une activation du complément (par les produits de contraste iodés, la protamine) ; une activation de la synthèse des leucotriènes (par l’aspirine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens) ; un spasme du muscle lisse bronchique (par libération de dioxyde de soufre, SO2, lors des traitements contenant des sulfites) ou par blocage des récepteurs β-adrénergiques, même lorsque le médicament est administré par voie oculaire. Les suspicions non confirmées amènent à des évictions larges; elles entraînent pour le patient une modification de prescription aux conséquences parfois néfastes : induction de résistances antibiotiques, contrainte d’une attention constante, source d’angoisse aux substances prescrites, absence de prise immédiate d’un traitement de première ligne et surcoût possible du choix permanent d’alternatives. Les outils cliniques et biologiques diagnostiques sont rares, mais souvent suffisants pour affirmer ou infirmer la responsabilité d’un médicament dans une réaction. Seul un diagnostic formel permet de mettre en place les mesures adaptées de prévention et de traitement(2-4). Méthodes de diagnostic   La démarche diagnostique est stéréotypée Il est nécessaire de connaître la littérature scientifique (introduisant la notion d’« imputabilité extrinsèque ») avec, pour les médicaments les plus récemment introduits sur le marché, des contacts fréquents avec les centres régionaux de pharmacovigilance et les départements de pharmacovigilance des laboratoires qui commercialisent le ou les médicaments, un accès Medline facile (du type PubMed sur Internet). L’absence de cas décrits dans la littérature ne permet cependant pas d’innocenter le médicament. • Première étape : l’interrogatoire (apportant seul la notion d’« imputabilité extrinsèque »). Il doit être minutieux et s’attacher à la description précise : de la symptomatologie (compatible avec une allergie ?) ; de la chronologie des symptômes (contacts antérieurs, délai d’apparition après la dernière prise, effet de l’arrêt du médicament) ; de la prise d’autres médicaments (au moment de la réaction et des médicaments de même classe pris depuis) ; des antécédents du patient (notion d’incidents allergiques antérieurs en présence ou en dehors de toute prise médicamenteuse…)(6). Les algorithmes de pharmacovigilance(7), dans le cas de l’allergie médicamenteuse, ne permettent que rarement de porter le diagnostic(8). Le bilan allergologique s’impose dans la plupart des cas. Une symptomatologie même suggestive est rarement spécifique, l’effet de l’arrêt du médicament n’est pas toujours concluant (possibilités de rebonds). Ces critères ne différencient pas toutefois les médicaments pris par le patient au cours de l’épisode supposé de nature allergique, contrairement au bilan allergologique. Ainsi, si trois médicaments sont prescrits pour un syndrome grippal et qu’une urticaire apparaît, les trois médicaments seront cotés de la même façon avec les algorithmes et exclus à jamais si le score est suffisamment élevé. Donc, si le médicament est indispensable et/ou fréquemment prescrit (bêtalactamines, paracétamol et anti-inflammatoires non stéroïdiens, par exemple), un diagnostic de certitude doit être porté et des tests réalisés en milieu spécialisé. Seul un diagnostic formel d’hypersensibilité médicamenteuse permet en effet de mettre en place les mesures adaptées de prévention et de traitement. Par conséquent et pour ces médicaments, le principe d’éviction simple n’est plus suffisant. Il reviendrait à éliminer aussi des médicaments pas forcément responsables et forts utiles. La liste en outre s’allonge vite chez ces patients et cette attitude prudente jusqu’aux explorations ne permet pas une prévention optimale (cas des réactions croisées par exemple). • Les tests cutanés (prick-tests et intradermiques) sont particulièrement importants pour les haptènes réactifs, afin de mettre en évidence le mécanisme dépendant des IgE. Ils seront réalisés 4 à 6 semaines après la réaction et en milieu spécialisé (associé à un secteur de réanimation), car ils peuvent induire à eux seuls une réaction anaphylactique(2-4). Leur sensibilité et valeur prédictive varient selon les médicaments: d’excellentes (pénicillines, céfalosporines(8), curares, sérums hétérologues, enzymes et même produits de contraste iodés) à mauvaises ou inconnues (quinolones, opiacés, paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens, sulfamides…). Lors des réactions retardées, des patch-tests avec le médicament suspecté peuvent être réalisés. Leur sensibilité reste inférieure à 70 %(9). Les tests intradermiques à lecture retardée ont une valeur prédictive proche. • Les tests de provocation Parfois, et parce que le médicament n’est pas disponible sous la forme réactive adéquate (ce sont souvent des dérivés métaboliques du médicament qui sont immunogènes), seuls les tests réalistes de provocation permettent de porter le diagnostic. On les pratiquera notamment dans le cas des antiinflammatoires non stéroïdiens (le mécanisme mimant l’allergie est essentiellement pharmacologique), des anesthésiques locaux (il s’agit ici en fait d’éliminer une allergie médicamenteuse), des antibiotiques autres que les pénicillines, ou des pénicillines lorsque les tests cutanés sont négatifs (forme réactive adéquate souvent non disponible). Ils sont réalisés à distance de l’épisode (au moins un mois), utilisent le médicament et la voie d’administration initiale en cause, et ne sont pas pratiqués si le médicament responsable est peu utilisé et/ou si les alternatives sont nombreuses. C’est le test de sensibilité maximum, mais il ne peut être réalisé que sous haute surveillance et donc uniquement dans certains centres spécialisés associés à un secteur de soins intensifs ou de réanimation(10). • Les tests biologiques Il serait hautement souhaitable de disposer de tests biologiques discriminants, mais ils sont peu nombreux et non validés pour la plupart. La recherche des IgE anti-médicament (pénicillines, curares, chymopapaïne, thiopenthal, formol, insuline, protamine, toxine tétanique) ne permet pas de porter le diagnostic d’allergie médicamenteuse, mais permet, en revanche, dans un contexte clinique évocateur (symptômes typiques et chronologie rapide), de préciser le mécanisme (dépendant des IgE, surtout si des tests cutanés au médicament sont également positifs), et parfois d’explorer les réactivités croisées entre plusieurs médicaments (par inhibition quantitative). L’absence d’IgE spécifiques circulantes ne permet pas d’éliminer le diagnostic, ce dosage d’ailleurs n’est pas disponible pour tous les médicaments allergisants. La recherche d’IgM ou IgG antimédicaments n’a d’intérêt que dans le cadre des cytopénies médicamenteuses et des allergies aux dextrans(11). • Les tests d’histamino-libération sur sang total en présence du médicament sont bien corrélés avec les tests cutanés et les IgE spécifiques pour l’allergie aux curares, mais ne sont pas assez sensibles pour les autres médicaments(12). • Les tests de dégranulation des basophiles ne sont pas fiables compte tenu du faible nombre de basophiles circulants. • Les tests de libération de sulfidoleucotriènes ne semblent pas suffisamment fiables non plus, à la fois dans l’allergie dépendante des IgE et dans les hypersensibilités par libération de ces médiateurs (comme avec l’aspirine par exemple)(13). Devant une réaction clinique aiguë, les dosages sanguins d’histamine ou de tryptase précisent le rôle des basophiles et mastocytes, quelle que soit la cause de la dégranulation. Ils ont une valeur médico-légale. • Les tests de recherche de marqueurs membranaires d’activation des basophiles humains en présence du médicament et l’étude des lymphocytes T (prolifération, activation, clones) restent du domaine réservé de certains laboratoires(5,14). Pour les réactions de type II et III de la classification de Gell et Coombs, un test de Coombs, un test d’hémolyse in vitro, un dosage du complément et la recherche de complexes immuns circulants peuvent être réalisés(2,3).   Conclusion   Le diagnostic d’hypersensibilité médicamenteuse est avant tout clinique et réservé à certains centres dévolus à cette activité, car les tests ci-dessus connaissent quelques faux positifs et négatifs et sont parfois dangereux. Un test négatif ne permet pas d’exclure la responsabilité d’un médicament tandis qu’un test positif traduit une sensibilisation au médicament, sans affirmer sa responsabilité. L’amélioration de la prise en charge de ces patients qui doit à terme être rendue accessible à tout médecin nécessite le développement d’outils biologiques diagnostiques simples et validés. Si la démarche globale est stéréotypée, il est clair que la succession des examens détaillés cidessus varie d’une classe médicamenteuse à une autre. La complexité physiopathologique de ces affections, la difficulté de leur diagnostic, leur défaut d’enseignement (au cours des études médicales et paramédicales) et la crainte qu’elles inspirent (chez le patient et chez le médecin), sont différentes raisons expliquant la méconnaissance actuelle et un certain degré d’empirisme qui existent souvent dans la prise en charge des allergies médicamenteuses. La recherche en matière d’allergie médicamenteuse a quitté l’âge de bronze ; faisant parties de la iatrogénie médicamenteuse, nous avons un devoir de progresser dans ce domaine. EN PRATIQUE, CE QU’IL FAUT RETENIR  Le diagnostic est certes difficile mais accessible à l’allergologue hyperspécialisé, et le territoire français est relativement bien couvert.  Les outils de diagnostic sont validés, même s’il persiste un besoin d’optimisation pour certains médicaments et les formes sévères T.  Le bilan allergologique médicamenteux peut aider à optimiser le traitement du patient.  Seuls des bilans complets permettent de faire avancer les connaissances scientifiques (mécanismes, facteurs de risque, nouveaux tests biologiques…) avec la constitution de bases de données liées à des bases biologiques.

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