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Stomatologie

Publié le 13 mai 2025Lecture 12 min

Prise en charge du bruxisme lié au sommeil

Emmanuel D’INCAU(A), Maria CLOTILDE CARRA(B), Paul GALVEZ(C), Jacques TAILLARD(D), Jean-Arthur MICOULAUD-FRANCHI(E)*

Le bruxisme lié au sommeil se manifeste par une activité des muscles masticateurs, typiquement caractérisée par des grincements ou des serrements de dents durant le sommeil. Cet article a pour objectif de faire le point sur l’état actuel des connaissances concernant sa définition, ses mécanismes physiopathologiques, les méthodes de diagnostic disponibles, ainsi que les options de prise en charge.

DÉFINITION   Le bruxisme lié au sommeil (BS) est une activité des muscles masticateurs (AMM) au cours du sommeil, qui est caractérisée par des épisodes de contractions rythmiques (phasiques) et/ou non rythmiques (toniques) et qui n’est pas un trouble du mouvement ou un trouble du sommeil chez des personnes par ailleurs en bonne santé(1). Cette AMM, qui peut être un trouble du sommeil, un facteur de risque et/ou un comportement, n’est que rarement définie et évaluée telle que le préconise l’International Classification of Sleep Disorders (ICSD-3)(2,3) (figure 1). En effet, selon le concept « harmful dysfunction analysis - HDA » de Wakefield(4), le BS peut être considéré comme un trouble du sommeil s’il représente un « dysfonctionnement » lié au sommeil qui entraîne un « préjudice », soit une « détresse » liée aux symptômes du sommeil ou un « handicap » lié aux conséquences du dysfonctionnement du sommeil. Aussi, le BS doit être considéré comme un trouble dans le domaine du sommeil, si, par exemple, il diminue l’efficacité du sommeil ou s’il entraîne une plainte d’insomnie ou encore s’il est responsable d’une somnolence diurne excessive. Or à ce jour, peu d’études ont spécifiquement évalué le BS sous cet aspect et leurs résultats sont contradictoires. Figure 1. Différents statuts du bruxisme lié au sommeil (BS).   D’autre part, selon le concept « risk-based diseases » de Schwartz(5), le BS peut être considéré comme un facteur de risque si l’augmentation de sa fréquence ou de son intensité augmente la probabilité de développer un trouble médical, une association statistiquement significative entre le risque et le trouble médical étant considérée comme une condition minimale. Aussi, le BS doit être considéré comme un facteur de risque dans le domaine orofacial si, par exemple, il induit des douleurs musculo-squelettiques (myalgies, arthralgies), des céphalées matinales et/ou une usure dentaire pathologique (i.e. une usure susceptible de provoquer des douleurs dentaires, de perturber les fonctions manducatrices, de détériorer l’esthétique dento-faciale et/ou lorsqu’elle n’est pas corrélée à l’âge des individus) (figure 2). Figure 2. Usure dentaire pathologique attribuée à un « probable » bruxisme lié au sommeil.   Finalement le BS peut être considéré comme un comportement potentiellement bénéfique pour le maintien de l’homéostasie, si, par exemple, il favorise la lubrification oroœsophagienne après un épisode de Reflux gastro-œsophagien (RGO) au cours du sommeil et/ou la perméabilité des voies aériennes supérieures après un évènement respiratoire anormal au cours du sommeil (e.g. hypopnée obstructive)(6).  Un biomarqueur usuel du BS est nommé « Activité rythmique des muscles masticateurs » (ARMM)(7). Cette ARMM peut être évaluée grâce à des enregistrements électromyographiques (EMG) de certains muscles (masséters, temporaux, mentonniers) et des critères diagnostiques de recherche (Sleep Bruxism Research Diagnostic Criteria – SB/RDC) ont été proposés puis réévalués par G. Lavigne et collaborateurs afin de scorer les épisodes de BS(8). Cette ARMM est essentiellement phasique (discontinue et répétée avec une fréquence de 1 Hz), mais elle peut également être tonique (continue pendant au moins 2 secondes) ou mixte (phasique et tonique dans un même épisode) (figure 3)(8). Elle est retrouvée chez la plupart (60 %) des jeunes individus en bonne santé qui ne présentent pas de BS (au regard des SB/RDC), ce qui laisse supposer qu’elle est physiologique(9). Chez les individus qui présentent un BS, cette manifestation est plus intense : l’ARMM est en moyenne trois fois plus fréquente (5,8 épisodes/h), l’amplitude des contractions musculaires (EMG bursts) est 30 % plus importante et elle est typiquement associée à des grincements dentaires(9). Cette AMM est par ailleurs variable dans le temps et elle est cooccurrente avec de nombreux troubles du sommeil, dont le syndrome d’apnées hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS), le syndrome des jambes sans repos, les mouvements périodiques des membres, le trouble insomnie, le RGO lié au sommeil, et de manière moins fréquente, le trouble comportemental en sommeil paradoxal et l’épilepsie liée au sommeil(10). Figure 3. L’activité rhythmique des muscles masticateurs (ARMM) caractéristique du bruxisme lié au sommeil est essentiellement phasique mais elle peut également être tonique ou mixte (enregistrement réalisé au Service Universitaire de Médecine du Sommeil – SUMS du CHU de Bordeaux).   En termes de prévalence, l’étude de cohorte brésilienne EPISONO basée sur des auto-rapports et des enregistrements polysomnographiques (PSG) montre chez l’adulte des prévalences respectivement égales à 12,5 et 7,4 %(11). De manière surprenante, lorsque les deux méthodes sont combinées, la prévalence est égale à 5,5 %. Chez l’enfant, une revue systématique basée sur des rapports parentaux montre des prévalences de BS très variables, comprises entre 3,5 et 40,6 %(12).   PHYSIOPATHOLOGIE   La physiopathologie du BS n’est pas encore totalement élucidée. Son aspect multifactoriel et l’implication du système nerveux central sont cependant admis (activation brève et intense du système moteur masticatoire parallèlement à celle du système nerveux autonome-cardiaque, au niveau du tronc cérébral)(13). D’un autre côté, l’implication du système nerveux périphérique (e.g. rôle de l’occlusion dentaire et/ou de la typologie dento-squelettique) a quasiment été abandonnée. La survenue fréquente d’ARMM lors d’épisodes de micro-éveils est également démontrée, même si ces derniers ne constituent qu’une fenêtre temporelle permissive(6-9) (figure 4). Ces micro-éveils font généralement suite à une séquence physiologique type qui est retrouvée chez la majorité des individus et qui est typiquement accompagnée d’épisodes de grincements et/ou de serrements dentaires chez les individus avec BS(13). Figure 4. L’activité rhythmique des muscles masticateurs (ARMM) caractéristique du bruxisme lié au sommeil se produit essentiellement lors des micro-éveils (EV), induits dans le cas présent par des hypopnées obstructives (HO) (enregistrement réalisé au Service Universitaire de Médecine du Sommeil – SUMS du CHU de Bordeaux).   En complément de ces hypothèses neurophysiologiques, de nombreuses études rétrospectives uni- et/ou multi-variées ont permis de mettre en évidence des potentiels facteurs de risque du BS(8,13). Ceux-ci incluent des facteurs génétiques et neurologiques (dysrégulation de certaines voies neuromodulatrices associées à la sérotonine et à la dopamine), psychologiques et comportementaux (stress, anxiété), ainsi que l’utilisation de substances psychoactives comme la caféine, le tabac, l’alcool et certaines drogues récréatives.   DIAGNOSTIC   Le diagnostic du BS est graduel. Il s’effectue selon trois niveaux qui dépendent de la méthode utilisée(1). Il est dit : – « possible » lorsqu’il ne repose que sur des auto-rapports et/ou sur des rapports de grincements dentaires faits par le partenaire de chambre ou par les parents (pour les enfants). Le recueil des données se fait lors de l’anamnèse et/ou à l’aide de questionnaires (e.g. Oral Behaviors Checklist, Bruxscale, BruxScreen-Q) ; – « probable » lorsqu’il repose sur des auto-rapports et/ou sur la présence de signes et symptômes oro-faciaux évalués lors d’un examen clinique extra- et intra-buccal. Certains d’entre eux sont préconisés dans l’ICSD-3 TR (tableau 1)(2) ; – « défini » lorsqu’il repose sur une évaluation instrumentale positive (avec/sans rapport de grincement dentaire positif, avec/sans évaluation clinique positive). Des EMG sont classiquement utilisées pour mettre en évidence le biomarqueur considéré comme la référence (i.e. l’ARMM), même si la dichotomie « présence/absence de BS » selon une valeur seuil (≥ 2 épisodes d’ARMM/h pour un diagnostic positif chez l’adulte et ≥ 1 épisode chez l’enfant) est de plus en plus débattue et que d’autres biomarqueurs sont parfois utilisés(14,15). Les EMG doivent idéalement se faire au cours d’une PSG de type I avec systèmes audio et vidéo afin de discriminer l’ARMM des autres activités orofaciales au cours du sommeil (déglutition, toux, grognement, somniloquie, etc.). Cet examen paraclinique est complexe, chronophage et onéreux si bien qu’il n’est envisagé que lorsqu’une comorbidité du BS est recherchée (e.g. SAHOS, mouvements périodiques des membres), lorsque certains signes et symptômes d’une pathologie ou d’un trouble lui sont attribués (i.e. lorsque le BS est suspecté d’être un facteur de risque) ou éventuellement pour évaluer son impact sur la qualité de l’éveil et/ou du sommeil (i.e. lorsque le BS est suspecté d’être un trouble du sommeil). Afin de limiter les coûts, des systèmes d’enregistrement ambulatoires (e.g. Bruxoff®, GrindCare3®, BiteStrip®) sont proposés, mais leur validité reste faible à modérée lorsque la PSG est considérée comme l’examen « gold-standard » et l’ARMM le biomarqueur de référence pour le BS(16).   PRISES EN CHARGE   Chez les individus en bonne santé, le BS est le plus souvent assimilable à un comportement oral qui ne nécessite pas de prise en charge particulière, en dehors de simples conseils(1). En revanche, une prise en charge s’impose dans deux circonstances : – lorsque le BS est considéré comme un trouble du sommeil ; – lorsque le BS est considéré comme un facteur de risque.  Dans ces deux cas de figure, deux difficultés compliquent la prise en charge : – l’origine multifactorielle du BS ; – la non-spécificité et la fluctuation au cours du temps des signes et symptômes qui lui sont attribués (i.e. usure dentaire, douleurs musculo-squelettiques, céphalées matinales). Ceci est particulièrement vrai pour l’usure dentaire, qui dépend de nombreux mécanismes complexes, synchrones ou séquentiels, synergiques ou additifs et dont la cinétique d’évolution est difficile à apprécier lors d’un instantané clinique(17). Malgré ces limites, différentes actions visant à gérer les conditions primaires sous-jacentes du BS, ou à améliorer certaines de ses conséquences cliniques peuvent être instaurées. En l’absence de recommandations, ces actions doivent reposer sur des thérapeutiques conservatrices(18). Chez l’adulte, la stratégie des « P multiples » ou « multiple P » strategy, permet de les résumer(19) : – Pep Talk, ou discours d’encouragement. Il s’agit de conseiller les patients en leur donnant des explications sur le BS et la manière de le gérer par eux-mêmes, notamment en améliorant l’hygiène du sommeil et en maîtrisant la consommation de certains produits considérés comme de potentiels facteurs de risques (café, alcool, tabac, drogues illicites, antidépresseurs) ; – Psychology, ou psychologie. Cette approche cognitive et comportementale vise à améliorer la conscience des patients en ayant recours à différentes techniques, telles que le biofeedback, l’hypnose, la méditation, l’hygiène du sommeil, la thérapie cognitivo-comportementale lorsqu’une insomnie chronique cooccurrente est présente ; – Physiotherapy, ou physiothérapie (kinésithérapie). Le traitement est basé sur des exercices actifs et passifs visant à étirer les muscles masticateurs et à améliorer la perception de l’état de relâchement musculaire afin de diminuer l’intensité et l’incapacité liées à d’éventuelles douleurs musculo-squelettiques ; – Plates, ou plaques. Il s’agit d’orthèses de différents types, de la simple « gouttière occlusale » permettant de protéger les dents de l’usure dentaire et de diminuer transitoirement l’ARMM (figure 5) à l’orthèse d’avancée mandibulaire (OAM) indiquée pour la prise en charge du SAHOS et susceptible de diminuer significativement l’ARMM d’un BS secondaire en diminuant les micro-éveils provoqués par les évènements respiratoires anormaux au cours du sommeil (figure 6). Notons que des résultats comparables peuvent être obtenus avec un traitement par ventilation à Pression positive continue (PPC) (20). – Pills, ou médicaments. Différents traitements pharmacologiques sont susceptibles de diminuer l’ARMM (clonazépam, clonidine, Inhibiteurs de la pompe à protons - IPP) ou d’améliorer la symptomatologie (myore-laxant, toxine botulique de type A). La possibilité d’induire d’importants effets secondaires restreint cependant l’usage de ces substances (notamment celles à action centrale) qui, dans tous les cas, doivent être administrées sous contrôle médical strict. Figure 5. Orthèse occlusale permettant de protéger les dents contre l’avancée de l’usure. Ce type de dispositif n’a qu’une action palliative. Figure 6. Orthèse d’avancée mandibulaire permettant potentiellement de diminuer les épisodes d’un bruxisme lié au sommeil (BS) lorsqu’il est comorbide d’un SAHOS. Ce type de dispositif n’est pas recommandé en présence d’un BS isolé. Chez les enfants et les adolescents, la présence de certaines affections ou de certains troubles cooccurrents (affections respiratoires, facteurs liés au sommeil, facteurs comportementaux) a un impact direct sur le diagnostic, mais également sur la prise en charge thérapeutique du BS qui s’effectue selon deux modalités(21) : • La gestion des éventuelles conséquences dentaires et orofaciales Pour limiter l’usure des dents, des orthèses occlusales peuvent être portées au cours du sommeil, même si elles ne permettent pas de réduire la fréquence de l’AMM et qu’elles sont susceptibles d’interférer avec la croissance crânio-faciale. Un suivi strict auprès d’un chirurgien-dentiste et d’un orthodontiste est donc requis. En présence de douleur orofaciale, une prise en charge conservatrice est indiquée (antalgiques, kinésithérapie, auto-exercices). • L’évaluation et la prise en charge des potentiels facteurs de risque Chez les enfants qui présentent un trouble respiratoire obstructif du sommeil (e.g. SHRVAS ou SAHOS) et un BS cooccurrent, la diminution de la fréquence des événements respiratoires anormaux (et, par conséquent, des micro-éveils consécutifs) peut entraîner, comme chez l’adulte, une réduction significative de l’AMM. Les effets thérapeutiques de l’expansion maxillaire rapide indiquée pour corriger (à l’aide d’un disjoncteur) l’insuffisance transversale maxillaire, l’ablation des végétations et/ou des amygdales hypertrophiques, ainsi que le port temporaire d’une orthèse d’avancée mandibulaire ont pour cela été démontrés. Un suivi strict auprès d’un médecin oto-rhino-laryngologiste, d’un orthodontiste et d’un chirurgien-dentiste est requis. Finalement, la prise en charge d’un RGO au cours du sommeil visant à réduire les micro-éveils ainsi que les thérapies cognitives et comportementales (relaxation, psychothérapie) visant à prendre en charge certains facteurs comportementaux (e.g. stress, anxiété) peuvent également être instaurées. Notons que l’efficacité de toutes ces thérapeutiques ne repose, chez l’adulte et chez l’enfant, que sur de faibles niveaux de preuve à l’échelle individuelle(18,19,21,22). Aussi, lorsqu’une prise en charge est indiquée, le bon sens consiste à(23) – faire un diagnostic du bruxisme le plus valide possible (basé sur des indicateurs cliniques pour un « possible » ou un « probable » BS et/ou éventuellement sur une PSG pour un BS « défini ») ; – rechercher les facteurs susceptibles de déclencher et/ou d’entretenir l’activité du BS, notamment la présence concomitante d’un trouble respiratoire de type SAHOS ; – instaurer une stratégie individuelle la mieux adaptée au phénotype du patient (figure 7). Figure 7. Organigramme des options de prise en charge (dépistage, diagnostic, et traitement) du bruxisme lié au sommeil (BS) en se basant sur le scorage de l’activité rythmique des muscles masticateurs (ARMM), en présence ou en l’absence de trouble respiratoire du sommeil. RGO : reflux gastro-œsophagien ; IPP : inhibiteurs de la pompe à protons ; TCSP : trouble comportemental en sommeil paradoxal ; ORL : oto-rhino-laryngologique ; PPC : pression positive continue ; SAHOS : syndrome d’apnées hypopnées obstructives du sommeil (d’après(23)).   CONCLUSION   • Le BS est une AMM au cours du sommeil qui, le plus souvent, est un simple comportement moteur ne nécessitant pas de prise en charge particulière chez les individus par ailleurs en bonne santé. • Dans certaines circonstances, parfois difficiles à identifier cliniquement, il peut être considéré comme un trouble du sommeil et/ou un facteur de risque susceptible d’entraîner une usure dentaire pa-hologique et/ou des douleurs orofaciales. • Une prise en charge est alors requise. En l’absence de recommandation quant à la meilleure technique à adopter, les thérapeutiques doivent toujours être non invasives et réversibles (orthèse occlusale de protection, OAM, IPP, TCC, etc.). • Toutes ces actions sont actuellement peu individualisées. Les recherches futures devront donc permettre d’identifier des phénotypes d’individus particuliers afin d’améliorer la précision du diagnostic et de mieux cibler et prédire les résultats de la prise en charge selon des stratégies de gestion personnalisées.   * a. SANPSY, CNRS, UMR 6033, université de Bordeaux ; Service de médecine bucco-dentaire, CHU de Bordeaux b. Département de médecine translationnelle, université de Ferrara (Italie) c. Service universitaire de médecine du sommeil, CHU de Bordeaux d. SANPSY, CNRS, UMR 6033, université de Bordeaux e. SANPSY, CNRS, UMR 6033, université de Bordeaux ; Service universitaire de médecine du sommeil, CHU de Bordeaux Liens d’intérêts L’ensemble des auteurs déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

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