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Tabacologie

Publié le 21 mar 2024Lecture 9 min

Tabac chauffé (HNB), puff, snus, pouche : nouvelles présentations de la nicotine ?

Bertrand DAUTZENBERG, pneumologue, tabacologue, Institut Arthur Vernes, Paris

La cigarette reste de très loin le leader du marché du tabac, mais est en perte rapide de vitesse, aussi l’industrie du tabac est à la recherche de nouveaux produits pour dissuader les fumeurs qui veulent quitter le tabac et recruter de nouveaux consommateurs. Petit éclairage technique et stratégique.

LE RÉJOUISSANT CONSTAT DE LA LENTE FIN DE VIE DU MARCHÉ DE LA CIGARETTE   Il existe une baisse de la vente et de la consommation de cigarettes depuis les décennies. Jusqu’en 1940, les cigarettes étaient en France principalement roulées, mais depuis la Seconde Guerre mondiale, les cigarettes industrielles ont pris le dessus représentant plus de 95 % du marché du tabac en France, du fait de l’énergie dépensée par l’industrie du tabac pour changer artificiellement l’image des cigarettes blondes à filtre afin de mieux les vendre. Les cigarettes blondes ont été présentées comme moins dangereuses alors que les données sont claires : elles sont théoriquement moins irritantes, mais la fumée est inhalée plus profondément et provoque une atteinte plus distale du poumon que les brunes (emphysème et adénocarcinome périphérique au lieu de bronchite chronique et cancer épidermoïde). Les données épidémiologiques accumulées depuis la Seconde Guerre mondiale montrent que la moitié des fumeurs de toute une vie meurent d’une maladie liée au tabac et perdent alors 20 années de vie en bonne santé. L’apparition des premiers avertissements sanitaires en France en 1976 avec la loi Veil, la privatisation de la SEITA qui était auparavant gérée directement par le ministère des Finances, l’interdiction des publicités, la directive sur les produits du tabac ont conduit à ce que la consommation de cigarettes traditionnelles s’effondre. La France est sur la trajectoire de la fin du tabac qui globalement durera un demi-siècle. La consommation de tabac roulé dépend surtout des prix. Quand l’augmentation des prix est importante, certains fumeurs passent de la cigarette industrielle au tabac roulé. La cigarette roulée est un produit plus dangereux que la cigarette, car le tabac y est moins bien tassé et donc la combustion plus incomplète, ce qui produit 2 à 4 fois plus d’imbrûlés toxiques et cancérogènes dans la fumée. Ce funeste constat est partagé par les scientifiques, les acteurs de terrain et l’industrie du tabac, mais la réaction face à ce constat de la régression rapide de la cigarette (industrielle et roulée) qui réjouit les acteurs de la santé, conduit les industries à proposer de nouveaux produits pour freiner la chute des profits liés à la cigarette.   LE TABAC CHAUFFÉ PRÉSENTÉ DE FAÇON TROMPEUSE PAR L’INDUSTRIE DU TABAC COMME UN PRODUIT PLUS SÛR QUE LA CIGARETTE   Le tabac chauffé avait été conçu et développé par 3 des 4 majors du tabac dans les années quatre-vingt, avant d’être abandonné à la fin de siècle, car il n’apportait que peu de bénéfices sur la réduction des toxiques dans les émissions et ne plaisait pas aux consommateurs. Le tabac chauffé a été repensé depuis 15 ans. Le succès de la cigarette électronique (vape) et l’accentuation de la mauvaise image de la cigarette ont conduit l’industrie à tenter à nouveau sa commercialisation. Elle y voit en particulier la possibilité de surfer sur le succès de la vape pour semer la confusion (une stratégie très ancrée dans les stratégies de développement de l’industrie du tabac). Le tabac chauffé est utilisé dans un dispositif qui porte un nom différent des mini-cigarettes qu’il accueille (afin de jouer sur la législation dans certains pays où la publicité n’est contrôlée que pour le tabac lui-même et d’exclure les dispositifs des droits d’accise du tabac). Les mini-cigarettes de tabac chauffé sont spécifiques de chaque appareillage. Elles sont constituées de tabac profondément modifié et intègrent de très nombreux additifs. Le filtre est fait de 3 compartiments pour la forme la plus courante. Les tabacs sont chauffés jusqu’à 350 °C pour la marque qui est la plus vendue (180 °C pour la moins vendue). Le tabac chauffé ne produisant pas de chaleur exogène est donc « sans combustion ». Il n’est pas brulé mais « toasté », « grillé », « pyrolysé » selon la qualification qu’on veut lui donner. Le produit est souvent désigné par son sigle HNB (Heat Not Burn). Les données sur les émissions du tabac chauffé montrent que non brûlé ne veut pas qu’il n’y a pas de production de « fumée ». La principale marque a essayé de faire croire que son produit était sans fumée, mais a été obligée de faire marche arrière devant les évidences : les émissions du tabac chauffé contiennent des particules fines de « black carbone », un peu de monoxyde de carbone et de nombreux autres produits se déposant sur les filtres des machines à fumer. Ce dépôt sur les filtres Cambridge dans le cas de la cigarette traditionnelle est qualifié de « goudron », mais pour le tabac chauffé par un tour de passe-passe, les particules ont été renommées « NFDPM » (Nicotine Free Dry Particule Mater) de façon à rayer le mot « goudron » du langage associé au tabac chauffé ! De façon assez habile, l’industrie du tabac lors de la discussion de la Directive européenne 2014/40 sur les produits du tabac a réussi à introduire une catégorie « nouveaux produits du tabac » très peu réglementée, puis a conduit un lobbying forcené afin qu’il ne soit pas taxé, ce qui permet dans certains pays de multiplier par 10 la marge sur la vente des mini-cigarettes pour tabac chauffé par rapport aux cigarettes. En France, la taxation est actuellement encore celle du tabac roulé. Les données scientifiques montrent que les émissions du tabac chauffé dans les machines à fumer réglées selon la norme canadienne de haute intensité libèrent moins de toxiques que les cigarettes traditionnelles, mais aussi un peu moins de nicotine. Cependant, on connaît mal le profil des bouffées des utilisateurs en vie réelle. On sait que dans le cas des cigarettes les émissions de toxiques et de nicotine varient de 1 à 6 selon la façon de fumer. Aussi longtemps que l’on n’a pas de données en vie réelle sur l’utilisation du produit, on ne peut affirmer qu’il y a réduction du risque. En absence de données réelles, la législation européenne interdit aux fabricants de dire qu’un produit du tabac est moins toxique qu’un autre. Ce qui est en revanche certain, c’est que les dispositifs de tabac chauffé ont été conçus pour délivrer la nicotine en pic (shoot), car elle sait que ce sont les shoots de nicotine qui apportent un excès de nicotine au contact des neurones dépassant les capacités maximums de saturation des récepteurs déclenchant le phénomène d’up regulation qui conduit à désensibiliser les récepteurs et à augmenter leur nombre, ce qui est l’objectif de l’industrie, car cela accroche physiquement de plus en plus les jeunes consommateurs et maintient les fumeurs dans la dépendance nicotinique. Une des marques de tabac chauffé vend un dispositif dont le pic de nicotine apparaît très précoce et détrône la cigarette de tabac qui était à la première place pour son potentiel à créer et maintenir une dépendance à la nicotine. Les données sur les consommations sont très parcellaires. Elles sont globalement faibles, mais en constante augmentation en France. Le tabac chauffé dans certaines études apparaît comme un produit très utilisé pour l’entrée en tabagisme dans le cadre d’un usage ou d’un usage mixte et très peu pour la sortie du tabac. Le tabac chauffé est très apprécié dans certains pays comme le Japon ou son utilisation est autorisée dans certains lieux où il est interdit de fumer, ce qui n’est pas le cas en Europe.   LES E-CIGARETTES JETABLES DE TYPE PUFFS OU AUTRES   La puff (bientôt interdite à la vente) est réellement apparue en octobre 2021 en France initialement chez les collégiens. Brutalement, ceux qui vendaient les capsules de protoxyde d’azote (gaz hilarant) à la sortie des collèges se sont mis à vendre des puffs, produits colorés, produits aromatisés, produits attrayants qui libèrent de la nicotine de façon assez efficace (bien que peu contrôlée) et qui sont très simples d’utilisation. Malheureusement, beaucoup des produits vendus à la sauvette ne répondent pas aux standards européens et contiennent plus que 20 mg/ml de nicotine (c’est-à-dire > 1,7 % de nicotine quand elle est affichée en rapport masse/masse). Ces produits ne portent le plus souvent pas les avertissements sanitaires obligatoires, mais surtout ces produits sont à usage unique. À une époque où l’on interdit les couverts et les pailles en plastique à usage unique, de l’aveu même des utilisateurs, ils jettent leur vape terminée au sol comme ils jettent leurs mégots ! La puff n’est pas ou presque pas recyclée, contrairement à ce que certains affirment, si vous rapportez une puff usagée à celui qui vous l’a vendu, il la prend parfois, mais il avoue souvent qu’il va la mettre à la poubelle ordinaire. La puff n’est pas biodégradable : les plastiques, les métaux ordinaires ou spéciaux de la résistance persistent des dizaines d’années. Les piles en lithium qu’elles contiennent sont rejetées au sol par dizaines de milliers et sont une source de pollution ; voire d’accident si les enfants étaient amenés à jouer avec et à les avaler. La vente de ces produits est libre aux plus de 18 ans, mais se fait beaucoup à la sortie des écoles ou via les réseaux sociaux, après une commande sur TikTok, Instagram ou Snapchat un livreur vient vous apporter à domicile le produit comme il vous apporterait une pizza. La puff est ainsi infiniment plus d’inconvénients que d’avantages, même si chez certains fumeurs la puff est utilisée en dépannage, en complément des substituts nicotiniques et de la vape classique pour faire face à des imprévus lors du sevrage tabagique.   LE SNUS   Le snus est un produit du tabac oral qui est interdit en Europe sauf en Suède qui avait exigé qu’elle reste autorisée lors de son adhésion à l’Union européenne. Ce produit est un produit du tabac, mais il est vrai que si les données épidémiologiques montrent que les effets néfastes sur la santé existent, même s’ils sont moins importants que ceux du tabac fumé. La Suède est ainsi le pays européen où l’incidence du cancer du poumon est le plus faible ! Les snus sont vendus en Suède sous forme pâteuse ou en petits sachets à mettre entre dents et gencives. Le snus vendu en Suède est dénitrosaminé ce qui libère moins de cancérogènes. Ces produits du tabac restent interdits à la vente en France, mais le rachat de Swedish Tobacco par le cigarettier PMI s’accompagne actuellement d’un fort lobbying pour le produit, mais aussi d’un marketing pour semer la confusion auprès des autorités, des consommateurs et des professionnels de santé. Les sachets de nicotine en poudre ou « pouche » ou « nicopouche » sont réglementés actuellement comme un produit de consommation courante et non taxé comme les produits du tabac. Il a la forme et la présentation du snus et est sur-étiqueté chez certains vendeurs comme « snuss, snuff », ce qui sème la confusion. (NB : le snuff est une poudre destinée à mettre dans le nez, donc à priser.). Ces produits pourraient être utilisés comme les substituts nicotiniques ou l’e-cigarette pour quitter le tabac fumé, mais la cible du marketing est clairement les jeunes. Les réseaux sociaux sont actifs pour promouvoir la vente de ces produits et sont à contrôler.   CONCLUSION   • Aucun de ces nouveaux produits n’est plus dangereux que la cigarette. • Pour préserver la planète et accélérer la fin de l’e-cigarette et du tabagisme : – non à la puff(e-cigarette non réutilisable), oui aux vapes réutilisables ; – vigilance sur le fort pouvoir addictif du tabac chauffé (HNB); – urgence d’une analyse risque/bénéfice des pouches (sachet de nicotine). Figure 1. Évolution de la vente de tabac dans le circuit légal : un siècle de croissance jusqu’en 1976 et la première loi contre le tabac en France et un demi-siècle l’épidémie devrait être contrôlée. Figure 2. Le tabac chauffé. Figure 3. Boîte de pouches : sachet de nicotine.   • Liens d’intérêt : aucun. Pour en savoir plus : • Dautzenberg B et al. Le tabac chauffé : revue systématique de la littérature. Rev Mal Respir 2019 ; 36 : 82-103. • Lunell E et al. Pharmacokinetic comparison of a novel non-tobacco-based nicotine pouch (ZYN) with conventional, tobacco-based Swedish snus and American moist snuff. Nicotine Tob Res 2020 ; 22 : 1757-63.

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