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Allergologie

Publié le 15 déc 2022Lecture 10 min

Le sarrasin - Allergène émergent à la fin du XXe siècle, puis allergène commun aujourd’hui…

Guy DUTAU, Pédiatre, pneumologue, allergologue, Toulouse

Le sarrasin (Fagopyrum esculentum, angl. : buckwheat), également appelé « blé noir », ne fait pas partie des céréales même s’il leur ressemble. En effet, c’est une plante à fleurs (figure 1) qui fait partie de la famille des polygonacées comme le Rumex (Rumex obtusifolius L.) ou patience à feuilles obtuses(a). Le sarrasin est cultivé pour ses graines destinées à l’alimentation du bétail et de l’homme (figure 2). Il ne comporte pas de gluten ce qui rend sa panification difficile. Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le mot « sarrasin » est issu du bas latin : « nom d’un peuple de l’Arabie, étendu par les Byzantins à tous les peuples soumis au calife » (1080). Mais il désigne aussi une céréale, introduite au XVe siècle : le nom vient de la couleur du grain que l’on compare à celle de la peau des Sarrasins(1).


Figure 1.  Plante de sarrasin (Fagopyrum esculentum).


Figure 2.  Graines de sarrasin.

Historique L’un des premiers cas d’allergie alimentaire au sarrasin semble avoir été rapporté dès 1992, par Davidson et coll.(2) qui décrivaient le cas d’un patient ayant développé une urticaire généralisée et une chute tensionnelle après la consommation de crêpes de sarrasin(b). Ses prick-tests (PT) étaient fortement positifs au sarrasin (papule de grade 3+) avec des réactions négatives à d’autres aliments, notamment le blé, le blanc d’œuf et le lait. Le dosage des IgE sériques spécifiques vis-à-vis du sarrasin par la technique du RAST® était fortement positif. À l’époque, Davidson et coll.(2) ajoutaient qu’il ne semblait pas exister de réactivité croisée entre le sarrasin et le blé et, surtout ; que l’ingestion de sarrasin était une cause potentielle d’anaphylaxie d’origine alimentaire. La suite leur donna raison. : de nombreuses observations et séries ont été publiées, comportant un grand nombre d’anaphylaxies et des cas mortels. Autrefois, le sarrasin fut très cultivé dans les régions à sols pauvres, tels que les steppes de Mongolie, en Russie, en Amérique du Nord ainsi qu’en France (Auvergne, Bretagne, Limousin, Normandie, Pyrénées, Rouergue), le sarrasin est aujourd’hui une culture en voie de disparition en France(c), même si, avec la vogue du bio quelques parcelles ont été ensemencées en sarrasin(d). Toutefois, il demeure l’un des ingrédients préférés dans les pays d’Europe de l’Est et du Nord. Il est consommé bouilli, exactement comme le riz. Il entre dans la composition de crêpes, appelées aussi galettes de sarrasin selon les régions(e).   Épidémiologie En 1998, Takahashi et coll.(3) ont effectué une enquête par questionnaire auprès de 341 infirmières responsables d’écoles primaires de Yokohama pour estimer la fréquence de l’allergie au sarrasin. L’enquête, portant sur 92 680 enfants, a donné une prévalence de l’allergie au sarrasin de 2,2 p. 1000 chez les enfants. Elle affectait 140 garçons et 54 filles (sex-ratio : 2,59). Les symptômes étaient les suivants : urticaire (37,3 %), prurit (33,3 %), wheezing (26,5 %). Quatre enfants (3,9 %) avaient présenté un choc anaphylactique nécessitant une admission en Unité de soins intensifs, ce qui représentait une incidence plus élevée que celle des chocs anaphylactiques à l’oeuf de poule et au lait de vache(3)! En Asie, le sarrasin est un allergène très important, à la fois pneumallergène et trophallergène. En 2009, Kusonoki et coll.(4) ont mené une grande enquête par questionnaire chez les parents de 14 669 écoliers âgés de 7 à 15 ans dans 30 écoles de Kyoto (Japon). Le taux de réponse à cette enquête a été de 90,1 %. Le taux d’enfants de 7 ans qui évitaient les aliments pendant la petite enfance était de 5,4 %. Ce taux diminuait ensuite au fur et à mesure que l’âge des enfants augmentait, passant à 3 % chez les enfants de 15 ans, ce qui traduisait l’acquisition à l’âge scolaire d’une tolérance aux aliments évités dans la petite enfance. Toutefois, bien que plus de 80 % soient devenus tolérants à ces aliments à l’âge scolaire, les prévalences de l’asthme bronchique, de la dermatite atopique, de la rhinoconjonctivite allergique étaient significativement plus élevées dans ce groupe. Cette étude a également montré une augmentation de l’éviction d’autres aliments tels que le sarrasin et les crustacés (OR ajusté : 7,7 [IC95 % : 5,9-10,2])(4).   Aspects cliniques Plusieurs cas et séries méritent d’être résumés pour témoigner des circonstances de diagnostic et de la gravité de l’allergie alimentaire au sarrasin. En 1995, Wüthrich(5) a rapporté le cas d’une femme de 40 ans qui, atteinte d’allergie respiratoire professionnelle au sarrasin, développa un choc après l’ingestion d’un petit morceau de sandwich contenant des traces de sarrasin masqué. De fait, le sarrasin est le prototype de l’allergène masqué comme en témoignent une nouvelle observation de Wüthrich et Trojan(6) et surtout celle de Heffler(7). Cette dernière concernait une femme de 20 ans qui avait développé une anaphylaxie après avoir consommé de la pizza à 4 reprises dans 2 restaurants. Les deux restaurants fabriquaient leur pâte à pizza avec un mélange de farines de blé et de sarrasin. Le prick plus prick avec de la farine de sarrasin était positif. Les tests cutanés et les dosages des immunoglobulines E spécifiques (IgEs) au soja et à l’arachide étaient faiblement positifs, tandis que la réponse au sarrasin était négative. Après avoir exclu la responsabilité de l’arachide et du soja que la patiente consommait régulièrement sans le moindre incident, les tests de provocation par voie orale (TPO) en double aveugle et contrôlés par placebo étaient positifs avec la farine de sarrasin après l’administration d’une dose cumulée de 2,3 g de la farine en cause. À l’époque, il s’agissait du premier cas d’anaphylaxie après ingestion de farine de sarrasin comme allergène caché inclus dans une pâte à pizza(7). D’autres observations d’allergies alimentaires graves ont été récemment publiées(8,9) dont un cas d’anaphylaxie après consommation d’un muesli au sarrasin(9) et, surtout, un cas mortel d’anaphylaxie dépendante de l’ingestion de sarrasin et de l’exercice physique(10,11)(f) a été rapporté au Japon par Noma et coll.(11). Il s’agissait d’une fillette âgée de 8 ans qui, après avoir consommé des nouilles au sarrasin (un plat appelé « zaru soba »), se mit immédiatement après à nager vigoureusement. Trente minutes plus tard, elle développa des symptômes d’anaphylaxie (douleurs abdominales, vomissements, toux, oppression thoracique) puis, rapidement, perdit connaissance et présenta un arrêt cardiorespiratoire. Après réanimation, le coeur se remit à battre, mais elle ne reprit pas connaissance et décéda d’un second arrêt cardiorespiratoire 13 jours plus tard. Elle avait une hyper-IgE (2840 UI/ml) et un RAST de grade 3 pour le sarrasin. Elle était également sensibilisée au soja, au blé et au riz(11). À notre connaissance, il n’existe pas d’autre cas de décès rapporté, mais il existe plusieurs observations d’anaphylaxies prélétales. En Asie, surtout, et même en France, des allergies professionnelles au sarrasin ont été rapportées dans plusieurs circonstances. En Corée, le cas de Parks et Nahm(12) concernait un patient atteint d’asthme et de rhinite IgEdépendants par exposition à la farine de sarrasin dans une fabrique de nouilles. Huit protéines de PM comprises entre 9 et 55 kDa furent identifiées dans un échantillon de la farine de sarrasin utilisée, vis-à-vis desquels sérum de la patiente présentait une IgEréactivité. En France, Choudat et coll.(13) ont également publié un cas d’allergie à la farine de sarrasin chez un employé d’une crêperie. Le test de provocation bronchique entraîna une chute immédiate du VEMS de 56 % de sa valeur  initiale après l’inhalation d’une très faible dose  de farine de sarrasin (10 microgrammes). En Europe, d’autres cas ont été décrits : rhinite, asthme, urticaire de contact et anaphylaxie en Scandinavie(14) ; asthme et urticaire de contact en Espagne(15). Si la majorité des allergies alimentaires au sarrasin ont été décrites chez des grands enfants, des adolescents et des adultes, les très jeunes enfants n’en sont pas exempts. Baruteau et coll.(16) ont décrit le cas d’un enfant de 4 ans, allergique connu à l’arachide, résidant dans la région niçoise, qui développa une anaphylaxie sévère quelques minutes après avoir consommé un morceau de crêpe au sarrasin lors de vacances chez sa grand-mère en Bretagne ! Son prick-test (4 mm) et son RAST® (48 kUA /L) étaient positifs(16). La farine de sarrasin est également responsable du curieux « syndrome d’asthme induit par l’oreiller » : considérant que c’est « bon pour la santé » beaucoup de Coréens, enfants et adultes, utilisent des oreillers rembourrés avec des gousses de sarrasin. Lee et coll.(17) ont rapporté les cas index et exemplaires de 3 enfants atteints d’asthme dont les tests cutanés étaient négatifs, en particulier vis-à-vis de D. pteronyssinus. Leur asthme, de caractère nocturne, devait disparaître après 7 jours d’éviction de leurs oreillers. L’attention des auteurs avait été attirée par le fait qu’ils ne présentaient pas de symptômes d’asthme lorsqu’ils dormaient chez leurs grands-parents chez lesquels les oreillers n’étaient pas rembourrés avec des gousses de sarrasin ! Le bilan allergologique révéla des tests cutanés et des dosages d’IgEs® positifs pour le sarrasin. L’explication est simple : en dormant, les individus se sensibilisent à la farine de sarrasin qui reste solidaire des gousses. Comme le montre le cas de Choudat et coll.(13) de très faibles quantités de farine sont suffisantes. D’autres cas ont été décrits ailleurs que dans les pays asiatiques où ces oreillers sont conseillés pour des « raisons bio », en Hollande(18) et aux États-Unis(19)(g). Dans le cas de van Ginkel(18), le patient âgé de 19 ans avait aussi une allergie alimentaire aux crêpes au sarrasin. Nous savons qu’un cas semblable aux précédents a été rapporté avec les coussins rembourrés par de l’épeautre, blé rustique à grains adhérents à la balle.   Éléments du diagnostic Le diagnostic est basé sur les arguments sus-indiqués anamnèse consommation de crêpes (bretonnes); notion d’exposition à la farine de sarrasin ; tests cutanés et dosage des IgEs. Aide au diagnostic : chez 28 enfants ayant des symptômes cliniques suggestifs d’allergie alimentaire au sarrasin et des tests cutanés nettement positifs, Sohn et coll.(20) ont montré que le seuil de 1,26 kUA /l constituait une valeur au-dessus de laquelle les TPO avaient toute chance d’être positifs. La sensibilité (93,10 %), la sensibilité (93,33 %), la valeur prédictive positive (79,75 %) et la valeur prédictive négative (97,96 %) sont très satisfaisantes, permettant ainsi d’éviter des TPO faisant courir un risque(20).   Allergènes du sarrasin Plusieurs études ont été consacrées à l’identification des allergènes du sarrasin. Park et coll.(21) ont comparé les sérums de 19 patients allergiques au sarrasin et de 14 témoins normaux. Leur étude a montré une fixation de plusieurs protéines de PM 24, 19 16 et 9 kDa aux IgE de plus de 50 % des patients. Cette IgE-réactivité est particulièrement  nette pour la protéine de 19 kDa qui se fixe à 78 % des IgE des individus allergiques au sarrasin. Pour Tanaka et coll.(22), une protéine de 16 kDa résistante à la trypsine serait aussi associée à l’allergie au sarrasin. Pour Wüthrich et coll.(5,6) ce serait une protéine de 25 kDa. Une autre espèce de sarrasin, Fagopyrum tartaricum, pousse en Chine où elle est consommée. Dans la Province de Shanxi, Wieslander et coll.(23) ont étudié 16 agriculteurs exposés au sarrasin (groupe I), 25 travailleurs d’une usine de fabrication de pâtes alimentaires (groupe II), et 20 patients consommant au moins 1 fois par semaine du sarrasin pour des raisons médicales traditionnelles (diabète et affections cardiovasculaires) (groupe III). Malgré une forte exposition, dans l’ensemble des 3 groupes, les auteurs n’ont observé que 1,6 % d’asthmes et 1 seul ouvrier du groupe II avait des prick-tests positifs à F. tartaricum.   Sensibilisations et allergies croisées En 2011, Oppel et coll.(24) ont rapporté le cas d’une jeune fille de 17 ans présentant une réaction évoquant une allergie alimentaire après avoir ingéré un gâteau aux graines de pavot. Le bilan allergologique montra une anaphylaxie aux graines de pavot, ce qui a conduit les auteurs l’identification d’une nouvelle sensibilisation croisée avec le sarrasin(24). Le pavot à opium, Papaver somniferum L. , est la source des graines de pavot et de l’opium. Les graines disponibles dans le commerce sont largement utilisées comme ingrédients pour divers types d’aliments. La sensibilisation médiée par les IgE aux graines de pavot est rare, mais, si elle est présente, les symptômes cliniques sont généralement graves. Des sensibilisations croisées entre les graines de pavot et d’autres allergènes alimentaires ont été décrites avec le sésame, la noisette, le grain de seigle et le kiwi(in 24). En 2011 également, Varga et coll.(25) ont décrit l’observation d’un garçon âgé de 7 ans qui développa une anaphylaxie de grade III après la consommation d’un gâteau contenant de la farine de sarrasin. Avant cet incident, il avait développé plusieurs épisodes d’anaphylaxie aux noisettes et souffrait d’un syndrome d’allergie orale aux graines de pavot. L’analyse de l’IgE- réactivité de ce patient par des techniques d’immunotransfert a révélé qu’il était sensibilisé à l’albumine 2S et à la globuline 11S du sarrasin. De plus, une réactivité croisée a été trouvée entre les globulines 11S du sarrasin, du pavot et de la noisette. Les techniques d’inhibition des IgE ont indiqué que la globuline 11S du sarrasin était la protéine sensibilisante initiale. Varga et coll.(25) concluent que les globulines 11S du sarrasin peuvent induire une réaction croisée et une anaphylaxie avec les globulines 11S avec d’autres aliments botaniquement non apparentés.   CONCLUSION •  Depuis au moins 20 ans le sarrasin, d’abord allergène émergent, est devenu un allergène commun dans le monde. •  Compte tenu de l’allergénicité importante du sarrasin, au vu des réactions graves qui ont été décrites dans la littérature, les chercheurs essayent de trouver des espèces moins allergisantes, sinon hypoallergéniques. • Nair et coll.(26) pensent que L. lineare et E. urophyllum seraient des candidats à la qualification de « sarrasins hypoallergéniques », car ne possédant pas les protéines de PM 22-24 kDa. D’autres possibilités existeraient pour diminuer l’allergénicité du sarrasin telles que le traitement par la chaleur à l’autoclave(27).  

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