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Allergologie

Publié le 14 sep 2021Lecture 21 min

L’allergie aux escargots

Guy DUTAU, allergologue, pneumologue, pédiatre, CHU de Toulouse

Par rapport aux allergies alimentaires (AA) classiques au lait de vache, à l’œuf, aux poissons et fruits de mer, ou à l’arachide, les AA à l’escargot sont de description récente (1980-1990). Même assez peu fréquente, l’AA à l’escargot doit être connue car ses symptômes peuvent être sévères (anaphylaxie), mettant la vie en danger. En dehors de son diagnostic, cette AA soulève plusieurs problèmes : I) elle est souvent associée à un asthme aux acariens ; II) l’immunothérapie aux acariens est considérée par certains comme un facteur de risque d’apparition d’une AA à l’escargot en raison, en particulier, des homologies (communautés) antigéniques entre la tropomyosine des escargots (leur allergène majeur) et la tropomyosine des acariens.

Classification des mollusques gastéropodes Les escargots ou colimaçons sont des mollusques gastéropodes à coquille, le plus souvent terrestres (angl. : snail). Il existe aussi plusieurs espèces d’escargots de mer, terme vernaculaire regroupant plusieurs sortes d’escargots à coquille parmi lesquels : les bigorneaux (Littorina littorea), les bulots ou buccins (Buccinum undatum), le murex épineux (Balinus brandaris ou « pointu »), le poivre (Hexaplex trunculus), les strobes et les Cassidae (Cassis madagascariensis), les patelles ou berniques (diverses espèces dont Patella intermedia, angl. : limpet). Certains escargots de mer ne sont pas comestibles comme les turritelles (Turritella communis) et les cérithes (Cerithium vulgaris). Les limaces sont aussi des mollusques, mais elles sont dépourvues de coquille par opposition aux escargots terrestres. À notre connaissance, aucun peuple n’a consommé de limaces. En effet, si elles ne contiennent pas de substances vénéneuses par leur constitution propre, certaines limaces se nourrissent de cadavres ou de plantes toxiques comme la ciguë(a). Les gastéropodes sont une classe de mollusques dont la masse viscérale se singularise par une torsion adaptée aux formes de leurs coquilles d’une seule pièce. Les mollusques gastéropodes s’opposent aux mollusques bivalves (Bivalvia) que l’on trouve en eau douce ou surtout en eau de mer comme les palourdes, les huîtres, les moules, les pétoncles (etc.). Leur coquille présente deux parties distinctes pouvant s’ouvrir. Les mollusques bivalves sont également appelés Pelecypoda (pélécypodes) ou Lamellibranchia (lamellibranches)(b). Les escargots au sein des mollusques  Les escargots terrestres (Helix spp., angl. : snails), aussi appelés limaçons (ou colimaçons) par opposition aux limaces, appartiennent à un très grand nombre d’espèces, peut-être plusieurs millions dont beaucoup sont inconnues. Parmi les 700 espèces connues en France(c), il faut citer l’escargot de Bourgogne (ou de Champagne) ou encore gros-blanc (Helix pomatia), l’escargot des jardins (Cepaea hortensis), le petit-gris (Helix aspersa aspersa), le grosgris (Helix aspersa maxima), etc. Plusieurs de ces espèces et sousespèces peuvent être élevées selon diverses techniques, totalement en extérieur, totalement en intérieur, ou de façon mixte. La masse charnue de l’escargot, utilisée pour ramper ou nager, s’appelle le pied. La tête possède deux tentacules et deux yeux portés par des pédoncules(d). Pour mémoire, le groupe des mollusques comporte 7 classes traditionnelles : aplacophores (mollusques vermiformes), polyplacophores (chitons ou « mollusques brouteurs »), monoplacophores (mollusques marins patelliformes), scaphopodes (voisins des bivalves), pélécypodes (bivalves ou lamellibranches), gastéropodes et céphalopodes. Les trois principales sont les céphalopodes (pieuvres, calmars, seiches), les gastéropodes (à coquille simple comme la patelle ou spiralée comme les escargots ou les bigorneaux) et les bivalves (moules, huîtres, clams). Les gastéropodes comportent trois sous-classes : I) les Pulmonés où l’on trouve en particulier les divers escargots (Helix); II) les Prosobranches dont les plus connus sont les ormeaux (angl. : abalone), les patelles (angl. : limpet), les bulots et les buccins ; III) les Opistobranches, dépourvus de coquille ou à coquille réduite sont représentés par un grand nombre d’ordres avec des représentants de formes très diverses et colorées, souvent à type de limaces(e). Il existe donc une multitude de mollusques gastéropodes, de formes et de tailles très variées, mais leur constitution présente des similitudes, en particulier sur le plan anatomique et fonctionnel avec la tropomyosine(f) comme allergène commun, mais pas seulement. Historique Les premières observations d’allergie alimentaire (AA) ont été publiées autour des années 1980-1990. En 1992, Banzet et coll.(1) ont rapporté 12 observations de patients, allergiques aux acariens, qui avaient développé des symptômes d’allergie après la consommation d’escargots : crises d’asthme (5 fois), gêne respiratoire (3 fois), anaphylaxie (2 fois), rhinites ou rhinoconjonctivites avec ou sans asthme (7 fois). Dans cet article, le tableau(1) qui résumait ces observations montrait que le diagnostic du premier cas avait été porté beaucoup plus tôt, en 1984. Il s’agissait d’une infirmière, asthmatique connue depuis 1981 et allergique aux acariens, sous immunothérapie allergénique (ITA) par injections sous-cutanées d’extraits d’acariens. Elle consulta 3 ans plus tard pour une crise d’asthme associée à un prurit des bras et à des indurations sensibles au niveau de tous les sites d’injection de désensibilisation par voie souscutanée. On apprenait alors que cet épisode était survenu au cours d’un repas de fête (Noël 1984) qui comportait des escargots en persillade. L’AA aux escargots fut confirmée par les tests de provocation par voie orale (TPO) réalistes, positifs pour les escargots avec ou sans persillade, et négatifs pour la persillade seule. Par la suite, de 1989 à 1991, 11 nouveaux cas furent réunis par les allergologues de l’AMEFORCAL (Association de formation médicale continue en allergologie), tous comportant des symptômes d’AA IgE-dépendante aux escargots chez des personnes allergiques aux acariens, 3 hommes et 9 femmes, âgés de 11 à 50 ans. Il y avait 4 enfants de 11 à 15 ans dans cette série(1). Tous les cas décrits comportaient un plat d’escargots diversement cuisinés. L’un des enfants avait antérieurement présenté deux crises sévères d’asthme, associées à un œdème des paupières, après deux repas de fête comportant des escargots. En fait, l’analyse de la littérature montre que la première observation semble bien avoir été décrite en 1985 par Palma Carlos et coll.(2) sous le titre « Asthme par ingestion d’escargots ». En 1989, après la série de Banzet et coll.(1), De La Cuesta et coll.(3) rapportaient des cas similaires, puis venaient d’autres cas ou de courtes séries(3-7). Épidémiologie  Les sources documentaires sont pauvres par comparaison aux allergènes alimentaires classiques (lait, œuf, poisson, fruits de mer, arachide) : l’escargot est surtout consommé dans certaines régions ou pays… Population générale • Requêtes sur PubMed Une requête sur PubMed avec l’item « Allergy to snail » fournit 136 références. Une requête plus précise avec « Food allergy to snails » donne 32 publications. Le nombre annuel des publications pour ces deux requêtes n’augmente pas nettement avec les années : pour la première, le nombre annuel des publications passe de 2 (1961) à 9 (2018), voire 11 (1970) ; pour la seconde, plus précise, ce nombre est stable, plus souvent 1 par an, sauf 3 par an (1995, 1997, 2002) et 1 par an (1996). L’AA aux escargots est rare car l’escargot est assez peu consommé, ce qui explique la méconnaissance de cette AA, et aussi la gravité de son ignorance ! • Relevés de réseaux de surveillance En 2002, parmi 107 cas graves d’AA signalées au réseau d’allergo - vigilance (RAV), il y avait 30 cas imputables à l’arachide (14 cas) et à divers fruits à coque (16 cas), 9 cas d’allergies croisées latexfruits, 9 aux crustacés, 7 au blé, 5 au céleri, 5 aux escargots, 3 au sésame, 3 au lait de vache, 3 au blé noir, 3 au poisson (dont une allergie à Anisakis simplex), 2 à la pêche, 2 à la volaille(8). Cela donne une fréquence de 2,80 % pour les AA sévères à l’escargot(8). Une revue de la littérature montre cependant que la fréquence des réactions allergiques aux aliments, toutes formes confondues, sévères ou non, est étroitement associée aux habitudes alimentaires et culturelles(g)(9) . Les cas d’AA à l’escargot sont souvent associés à des repas de fête, particuliers à certaines régions (en Bourgogne ou en Catalogne) ou à des pays comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal(4) . Populations à risques potentiels Il est utile de connaître le pourcentage des individus ayant une sensibilisation et/ou une allergie aux escargots dans la population des individus sensibilisés et/ou allergiques aux acariens qui auraient un risque élevé de développer une AA aux escargots. • Population sensibilisée et/ou allergique aux acariens Didier et coll.(10) ont étudié 312 patients successifs en consultation d’allergologie qui présentaient des symptômes respiratoires nécessitant la réalisation de prick-tests (PT). Parmi ces 312 consultants, 239 (77 %) avaient au moins un PT positif (induration ≥ 4 mm) à un pneumallergène usuel et 163 (52 %) étaient sensibilisés aux acariens. Le PT à l’escargot était positif (induration ≥4 mm) chez 14 patients (4,5 %) de l’ensemble du groupe. La proportion de patients sensibilisés à l’escargot était de 13/163 (8 %). Six de ces 14 patients (43 %) avaient déjà consommé des escargots au moins une fois et 4 d’entre eux (28,6 %) avaient présenté des symptômes d’anaphylaxie quelques minutes après cette consommation : bronchospasme (2 fois), œdème de Quincke (1 fois), choc anaphylactique (1 fois). Toutefois, l’association « allergie aux acariens/sensibilisation aux acariens » est à la limite du seuil de signification (p = 0,042)(10). À notre connaissance, cette étude est la seule qui donne la fréquence de l’AA à l’escargot chez des consultants tout-venant. La prévalence de l’AA à l’escargot était donc de 1,28 % (4/312) pour l’ensemble de la population, et de 2,45 % (4/163) chez les sujets sensibilisés aux acariens(10). L’AA à l’escargot peut donc être observée en dehors de toute sensibilisation ou allergie aux acariens (1/76, soit 1,3 %)(10). Cela a été montré par d’autres auteurs(11,12), dans 5 % des cas pour Lourenço Martins et coll.(12). • Patients recevant une immunothérapie aux acariens La question se pose aussi de savoir si une ITA aux acariens peut entraîner soit une sensibilisation aux escargots (appréciée par le dosage des IgEs [IgE spécifiques]), soit une aggravation d’une telle sensibilisation préexistante, estimée par l’augmentation des valeurs des IgEs. • En 1996, Van Ree et coll.(13) ont vu apparaître ou augmenter des IgEs dirigées contre les escargots, la crevette et la tropomyosine (qui est un pan-allergène commun à ces divers allergènes alimentaires). Dix-sept patients ont reçu une ITS par voie injectable souscutanée (ITS-SC) dont la durée variait de 14 à 20 mois et les résultats ont été comparés à ceux de 23 patients qui recevaient une ITSSC aux pollens de pariétaire. Globalement, tandis que la réponse IgE aux allergènes des acariens Der p 1 et Der p 2 ne variait pas de façon significative, la réponse IgE moyenne à l’escargot augmentait significativement, incluant des conversions (dosages négatifs passant à fortement positif), en particulier chez 2 patients. Cependant, pris individuellement, certains patients avaient une réponse identique ou même diminuée à la fin de l’ITS-SC. Cette étude montrait également que les deux tiers des sérums positifs pour escargots/crevette avaient une IgEréactivité contre la tropomyosine provenant des acariens. Pour Van Ree et coll.(13,14), la quantité de tropomyosine contenue dans les extraits injectables utilisés pour désensibiliser les patients par voie sous-cutanée était suffisante pour induire une sensibilisation et ensuite une AA aux aliments tels que les escargots ou les crevettes mais, selon ces auteurs, il ne serait pas impossible que l’emploi d’allergènes hautement purifiés ou recombinants n’expose pas à ces risques. • En 2010, Rossi et coll.(15) ont dosé les IgEs dirigées contre des acariens et l’allergène recombinant de la crevette Penæus aztecus (rPen a 1) dans deux groupes de patients consécutifs recevant une immunothérapie par voie sublinguale (ITS-SL), avant et à la fin de celle-ci. Le groupe 1 était constitué par 134 sujets recevant une ITS-SL aux acariens avec un extrait ALKAbelló® comportant des allergènes d’acariens du groupe 10 (tropomyosine) et les témoins (groupe 2) étaient représentés par 155 individus désensibilisés à plusieurs pollens (ALK-Abelló®) par la même technique d’ITS-SL. Les caractéristiques cliniques et démographiques des deux groupes n’étaient pas différentes. Résultat principal : I) au début de l’ITA, les IgEs contre rPen a 1 étaient indétectables chez les 288 patients et les PT à l’extrait commercial de crevette étaient négatifs(15); II) après 3 ans d’ITS-SL, il n’était pas apparu de sensibilisations à Pen a 1 évaluées par CAP-RAST, les mêmes constatations étant faites dans le groupe témoin(15) ; III) chez les 6 individus ayant des PT positifs à la crevette et qui avaient consommé des crustacés, incluant des crevettes pendant l’immunothérapie, il ne fut pas observé d’accident allergique alimentaire(15). Conclusions : Dans cette large étude, les auteurs concluent qu’une immunothérapie à des extraits d’acariens contenant des allergènes du groupe 10 (tropomyosine) n’a pas entraîné de nouvelle sensibilisation à la tropomyosine(15). • En 2005 et 2014, des résultats identiques aux précédents ont été obtenus au moins par deux équipes(16,17). • En 2005, Asero(16) n’a pas observé de sensibilisations à la tropomyosine ni de symptômes allergiques après l’ingestion de crustacés et/ou de mollusques. L’effectif étudié était moins important que dans l’étude précédente : 31 recevant une ITS-SC aux acariens pendant 3 ans et 39 témoins également allergiques aux acariens non désensibilisés. • En 2014, Pevec et coll.(17), utilisant un dosage plus précis (IgEs dirigées contre rDer p 10, n’ont pas observé d’induction de sensibilisations à la tropomyosine chez 56 patients allergiques aux acariens, âgés de 14 à 48 ans, recevant une ITS-SC associant D. pteronyssinus et D. farinae pendant au moins 3 ans (Novo-Helisen Depot, Allergopharma®). Dans cette étude qui ne comportait pas de groupe témoin, des IgEs contre la tropomyosine n’ont été détectées que chez 5 patients, tandis qu’aucune sensibilisation à Pen a 1 n’était observée à l’issue de l’immunothérapie. De plus, aucun symptôme d’AA aux crustacés et/ou aux mollusques ne fut observé. Les auteurs ont pu suivre la cinétique des IgEs contre la tropomyosine : non significatives chez 3 patients, les valeurs des IgEs étaient élevées chez deux autres au début de l’immunothérapie, puis diminuèrent par la suite, suivant la cinétique des IgEs-Der p 10, devenant même négatives chez un patient. Pour ces auteurs, les dosages des IgEs dirigées contre rDer p 10 et rPen a 1 doivent être considérés comme des marqueurs utiles pour suivre l’évolution du risque d’allergie aux crustacés et/ou mollusques chez les sujets désensibilisés aux acariens(17). • Mais toutes les études n’étaient pas concordantes puisque, en 2002, Meglio et coll.(18) avaient observé que l’ITS-SC aux acariens pouvaient, au contraire, protéger vis-à-vis du développement d’une AA à l ‘escargot ! Dans cette étude, les auteurs se demandaient si les résultats obtenus ne venaient pas du fait que la tropomyosine (si elle est l’allergène impliqué dans le syndrome « acariens-escargots ») appartient au groupe 10 des allergènes des acariens, alors que les allergènes qu’ils avaient utilisés pour l’immunothérapie appartenaient au groupe 1 des allergènes d’acariens. Il existe probablement un lien entre l’allergie aux acariens et l’AA aux escargots, mais il vaut mieux préciser : quels sont les allergènes communs entre les acariens et les escargots ; pourquoi l’allergie aux escargots semble plus associée à l’immunothérapie aux acariens qu’à une sensibilisation naturelle ; les effets de l’immunothérapie : les mêmes chez les enfants et les adultes ; l’influence des méthodes d’extraction des allergènes pour tropomyosine ou les autres allergènes sur l’induction ou non d’une AA à l’escargot. Cette question a ainsi fait l’objet d’une controverse en 2013 au Congrès francophone d’allergologie (encadré 1). Allergènes candidats et réactions croisées  Certaines des études déjà citées ont montré l’existence de réactions croisées entre les escargots ainsi que d’autres mollusques). La tropomyosine commune à ces espèces est le plus souvent incriminée, mais il existe d’autres allergènes candidats. Tropomyosine • Homologies variables entre les diverses tropomyosines La fréquence des réactions croisées acariens/mollusques/ crustacés est mal évaluée et se situerait entre 8 et 17 %. Ces réactions sont imputées à une homologie de la tropomyosine, protéine musculaire des acariens (Der p 10), et celle des crustacés Pen a 1 (Pen a pour Penæus aztecus). Ces réactions croisées concernent les acariens et de nombreux gastéropodes (escargots, calmars, patelles), les Lamellibranches (moules, huîtres), les crustacés (homard, crabe, crevette), les insectes (blattes, chironomes, sauterelles)(1,5,7,13,14,19). La tropomyosine est un composant des cellules musculaires et non musculaires(20). Elle est largement distribuée parmi les vertébrés où elle est considérée comme une protéine non allergisante, alors qu’elle est un allergène très important chez de nombreux invertébrés. La forte homologie des séquences d’acides aminés entre les tropomyosines provenant de différentes espèces, fait de ces molécules un pan-allergène responsable d’allergies croisées chez les invertébrés(20). La tropomyosine est un allergène majeur pour les crustacés, mais seulement un allergène mineur pour les acariens, les blattes et les escargots(20). Le pourcentage des homologies varie de 54,4 % à 66,9 % entre certaines espèces de crustacés et d’insectes, alors qu’il n’est que de 20,4 % avec les mollusques(21). Cette étude suggère l’existence d’importantes variations de la fréquence des réactions croisées entre les acariens de la poussière de maison, les crustacés, certaines espèces d’insectes et de mollusques(21). • Implication variable de la tropomyosine Pour Boquette et coll.(22), la tropomyosine de crevette est peu impliquée dans les syndromes d’allergie « crustacés mollusques-acariens » se manifestant par des symptômes légers à modérés de type syndrome d’allergie orale (SAO) après consommation de crustacés/ mollusques. En revanche, elle est impliquée dans les formes sévères de ces syndromes. Pour ces auteurs, la sensibilisation primaire se fait vis-à-vis des acariens et la tropomyosine ne serait donc pas le seul allergène incriminable pour expliquer la sensibilisation aux crustacés chez les patients sensibilisés aux acariens(22). Autres allergènes candidats D’autres allergènes ont été incriminés au cours des réactions croisées acariens/escargots, en particulier l’hémocyanine et un acarien parasite des escargots, Riccardoella limacum. • Hémocyanine L’hémocyanine (Hc) est présente dans l’hémolymphe des arthropodes et des mollusques. C’est un pigment respiratoire qui contient des métalloprotéines du cuivre permettant de transporter l’oxygène. Elle est constituée de plusieurs sous-unités (poids moléculaire [PM] : 75 kilodaltons [kDa]) contenant chacune une paire de cations de cuivre pouvant se lier à une molécule d’oxygène. Ces sous-unités, identiques ou non, forment des dimères ou des hexamères, qui s’organisent en grappes de PM pouvant aller jusqu’à 1 500 kDa ou davantage. L’Hc est le plus souvent libre dans l’hémolymphe(h). Vuitton et coll.(23) ont comparé leurs patients allergiques aux escargots et une population de 169 enfants allergiques, tous bénéficiant de PT vis-à-vis de l’hémolymphe de 4 espèces différentes d’escargots et d’extraits de Riccardoella limacum qui est un parasite des escargots. Tous les patients allergiques aux escargots avaient des PT positifs aux extraits d’escargots, principalement les escargots de Bourgogne (Helix pomatia), et aucun PT n’était positif pour R. limacum. Parmi les 169 enfants allergiques, 38 (22,5 %) avaient des PT positifs aux extraits d’escargots, 30 (79 %) de ces enfants sensibilisés aux escargots étaient également sensibilisés aux acariens, et 9 (31 %) étaient sensibilisés aux escargots. Pour Vuitton et coll.(23), ces résultats montrent que les composants des escargots et non de R. limacum sont responsables de la sensibilisation aux escargots. Dans une seconde étude, Guilloux et coll.(24) ont montré que les allergènes croisants entre les acariens et les escargots étaient plusieurs protéines de PM allant de 21 kDa à 200 kDa correspondant à différents candidats potentiels tels que des allergènes thermostables mineurs de D. pteronyssinus, l’hémocyanine et la tropomyosine. Pour Bessot(25), la tropomyosine serait un allergène mineur au cours de ces réactions croisées. • Riccardoella spp. Des acariens parasites des escargots, visibles à l’œil nu, mesurant environ 1 mm, sont situés sur le pied du gastéropode. Ils se nourrissent de l’hémolymphe, provoquent un retard de croissance des escargots, mais ne sont pas responsables de leur mort(25). La pertinence de ces diverses espèces de parasites au cours des réactions croisées escargotsacariens semble écartée et leur rôle éventuel au cours de l’AA isolée aux escargots n’est pas prise en compte, comme l’est, par exemple, l’allergie à des aliments infestés d’acariens tels que Dermatophagoides spp. et Blomia tropicalis contenus dans des pancakes ou des beignets en particulier(26). Symptômes et diagnostic  Symptômes Si les symptômes de l’AA aux escargots peuvent aller du simple SAO, de l’urticaire généralisée simple et de la crise d’asthme jusqu’à l’anaphylaxie mortelle, ils sont le plus souvent graves à type d’anaphylaxie. Tous les âges sont concernés, mais les enfants et les adolescents développent souvent des formes graves. • Chez les 12 patients de Banzet et coll.(1), il y avait 4 enfants ; 8 patients étaient de sexe féminin. Les symptômes, isolés ou associés étaient un broncho spasme se traduisant par une crise d’asthme ou une gêne respiratoire (7 fois), une anaphylaxie (3 fois) sévère dans 2 cas, et, dans 5 cas, des réactions locales à type de réactivation inflammatoire aux points d’injection d’immunothérapie aux acariens qui survenaient après la consommation des escargots. À notre connaissance, ce type de réaction locale n’a pas été décrit par la suite dans la littérature. Tous les patients sauf un, non allergique aux acariens, étaient en cours d’immunothérapie aux acariens. • Les cas décrits par Pajno et coll.(27) concernaient 4 enfants, 3 filles et 1 garçon, tous atteints d’asthme aux acariens et en cours de désensibilisation. Huit à 25 mois après avoir commencé l’immunothérapie par voie sous-cutanée, ils développèrent une anaphylaxie et une insuffisance respiratoire aiguë après avoir consommé par inadvertance des escargots ! • La série de De La Cuesta(3) comportait 10 patients et l’organe « cible » était le poumon dans 8 cas toujours après la consommation d’escargots du type Helix, mais aussi de « limpets » (Patella vulgata). • De Bernardi et coll.(28) ont rapporté le cas d’un garçon âgé de 9 ans, atteint d’asthme et d’allergie aux acariens, qui développa une crise d’asthme aiguë grave (AAG) après l’ingestion d’escargots. L’anoxie cérébrale liée au choc laissa des séquelles sévères : cécité partielle et spasticité d’un membre inférieur(28). • Un cas singulier concernait une femme de 23 ans qui avait eu un asthme pendant l’enfance et était sensibilisée à plusieurs allergènes (pollens, animaux, acariens)(29). Elle reçut une immunothérapie pendant 2 ans, puis développa un AAG avec pneumothorax et pneumo-médiastin évoluant vers un état gravissime associant une asphyxie, un arrêt cardio-respiratoire et une mydriase bilatérale. Fort heureusement, une réanimation intensive devait améliorer sa situation, lui permettant de rentrer à domicile au bout de quelques jours, miraculeusement sans séquelle ! Cinq heures avant l’épisode d’AAG, elle avait consommé des langoustines et des ormeaux (Haliotis spp., angl. : abalone). La chronologie entre cet AAG par allergie IgE-dépendante aux escargots (ormeaux) n’était pas précisée (pendant l’immunothérapie ou à distance de celle-ci ?)(29). • Longo et coll.(30) ont publié le cas d’un garçon de 14 ans qui avait plusieurs fois consommé des escargots sans incident. Après avoir effectué un effort physique (course à pied) une heure après un repas comportant de la viande, des escargots, du pain et de la confiture, il développa un AAG. Cet accident, survenant au bout de 15 minutes après le repas était donc une anaphylaxie induite par l’exercice physique et l’ingestion d’aliments (AIEPIA). En raison de la résistance du bronchospasme aux bêta2-mimétiques et de l’association à une urticaire généralisée, des vertiges et un collapsus, il fut admis en réanimation où il développa des convulsions. Il fut alors intubé et placé sous assistance respiratoire pendant 12 heures. Il était sensibilisé aux acariens (PT positif), au crabe et aux escargots (Cap Rast® de classe 3)(30). Les auteurs ont effectué un test d’effort (seul) et un TPO à l’escargot (seul) qui furent tous négatifs. Heureusement, pour des raisons de prudence et d’éthique, ils n’ont pas réalisé de « test réaliste » associant la consommation d’escargot suivie d’un effort physi que(30)… À notre connaissance, c’est le seul cas décrit d’AIEPIA à l’escargot. • Le cas de Tsapis et coll.(31) est le seul connu d’AA mortelle à l’escargot : un enfant âgé de 10 ans fut victime d’une réaction anaphylactique fatale après la consommation d’escargot, 2 mois après la fin d’une immunothérapie par voie sublinguale aux acariens qui avait 3 ans. Comme cela est indiqué cidessus, la publication de plusieurs études en faveur d’une tolérance alimentaire aux escargots l’immunothérapie aux acariens pourrait suggérer une perte de tolérance puisque l’accident survint 2 mois l’arrêt de l’immunothérapie. Les cas qui viennent d’être décrits illustrent la gravité potentielle de cette AA puis que si un seul cas mortel a été rapporté, de nombreux autres étaient des anaphylaxies gravissimes que l’on peut qualifier de « pré-létales »(27-30). Diagnostic Le diagnostic d’AA à l’escargot est facile, basé sur les éléments suivants, à condition de penser à cette allergie : une histoire clinique comportant la consommation d’escargots ou de fruits de mer apparentés ou voisins ; l’existence d’une sensibilisation/allergie aux acariens, sachant que cette AA peut survenir chez des individus non sensibilisés ou non allergiques aux acariens ; la notion d’une immunothérapie aux acariens (préciser si elle est en cours ou stoppée, et dans ce cas depuis combien de temps ?) ; la positivité des PT aux extraits commerciaux d’escargots ou à l’escargot natif (procédure peu utilisée dans les observations publiées dans la littérature, probablement pour des raisons hygiéniques) ; la positivité du dosage des IgEs dirigées contre l’escargot (Helix aspersa) et ses composants allergéniques : RAST f314, IgEs contre Pen a 1 et rPen a 1 ; étant donné la gravité potentielle des TPO, les publications de la littérature ne comportent pas cet examen trop risqué, en dehors de l’observation de Longo et coll.(30) où les auteurs effectuèrent un test d’effort seul et un TPO à l’escargot seul qui furent négatifs comme cela est le cas au cours de l’AIEPIA où c’est uniquement l’association des deux stimulus (consommation de l’aliment suspect + effort) qui déclenche l’anaphylaxie. Dans la mesure où nous ne disposons pas de données concernant les TPO à l’escargot ou à sa tropomyosine, il n’est pas possible d’avoir une idée du seuil réactogène de cet allergène (quantité minimale qui déclenche les réactions allergiques), mais il est en général faible. Traitement Traitement curatif Connaissant la gravité de l’AA aux escargots, il faut insister sur les recommandations qui font de l’adrénaline le traitement de première intention de l’anaphylaxie(32,33). Traitement préventif • Éviction allergénique L’éviction des escargots et des espèces de gastéropodes, ainsi que des mollusques ou fruits de mer avec lesquels il existe des réactions croisées est recommandée. Il a été parfois observé que certaines espèces pouvaient être consommées sans risque chez des patients atteints d’AA à l’escargot comme c’est aussi le cas pour les patients atteints d’AA au poisson, allergiques à telle espèce et pas à d’autres. Cette recherche ne doit être effectuée que pas des spécialistes des allergies alimentaires. Dans un cas de Banzet et coll.(1), l’utilisation d’Hélicidine® avait été signalée dans les antécédents d’un patient, en dehors de l’épisode d’AA survenu après la consommation d’escargot. Compte tenu de la très faible quantité d’allergènes d’escargots contenus dans le sirop d’Hélicidine®, il paraît improbable que la prise isolée de ce sirop puisse induire des réactions allergiques. L’allergénicité des protéines d’escargot varie selon l’état du gastéropode, cru, bouilli, rôti ou frit. Misnan et coll.(34) ont étudié les protéines d’un escargot de mer (Cerithidea obtusa), extraites puis étudiées par électrophorèse sur gel de polyacrylamide 5GPA). Les principaux résultats étaient les suivants : les extraits d’escargots crus comportent de 19 protéines de PM allant de 12 à plus de 250 kDa ; certaines protéines thermo stables principalement de PM 33 à 42 kDa restent détectables dans les extraits d’escargots bouillis, rôtis et frits, avec une intensité diminuant de bouilli à frit ; la majorité des protéines thermolabiles sont détruites par la chaleur ; les bandes protéiques isolées sur GPA sont plus nombreuses avec les extraits d’escargots bouillis que rôtis ou frits ; les protéines thermostables de 33 et 42 kDa et la protéine thermolabile de 30 kDa sont les allergènes majeurs de C. obtusa. En substance, l’allergénicité de C. obtusa diminue selon l’état des escargots « crus > bouillis > rôtis > frits ». Pour autant, ces résultats, obtenus avec une espèce d’escargot de mer, ne sont pas applicables aux escargots communs et transposables en clinique comme pour d’autres allergènes (œuf cuit). En pratique, l’éviction stricte doit être recommandée vivement. • Prise en compte des facteurs de risque Au cours de l’allergie aux escargots, les principaux facteurs de risque de réactions sévères sont un asthme associé, une immunothérapie aux acariens, l’effort physique. L’asthme associé, facteur de risque majeur, doit être contrôlé de façon optimale par le traitement de fond selon les dernières dispositions du GINA (Global Initiative for Asthma) 2019(35). L’immunothérapie aux acariens est un facteur de risque discuté. Si certaines études suggèrent qu’une immunothérapie par voie sous-cutanée pourrait entraîner une tolérance alimentaire, celleci disparaissant quelques mois après son arrêt, d’autres études donnent des résultats opposés. Par prudence, on pourrait recommander à un patient allergique aux acariens de s’abstenir de consommer des escargots, et encore plus s’il est placé sous immunothérapie allergénique, car l’escargot, aliment non essentiel, est de plus, facile à éviter ! Enfin, il faut s’abstenir de tout effort physique après la consommation d’un aliment, et cette préconisation est la plus importante (règle des 3 heures) pour prévenir les anaphylaxies d’effort.   

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