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ORL

Publié le 17 mai 2021Lecture 11 min

Entraînement olfactif dans les pertes d’odorat post-Covid-19

Jérôme R. LECHIEN, Service d’ORL, hôpital Foch, université de Paris-Saclay (UVSQ), Paris Service d’ORL, CHU Saint-Pierre, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique Service d’anatomie, Faculté de médecine, université de Mons, Mons, Belgique

Le coronavirus 2019 (Covid-19) a infecté plus de 6 millions de Français et est responsable de plus de 100 000 morts. Le SARS-CoV-2 peut se manifester par de multiples atteintes de la sphère ORL, incluant polyadénopathies, parotidies, névrite vestibulaire, angines et altérations du goût, des arômes et de l’odorat. Lorsque nous avons eu les premiers cas de Covid-19 en février 2020, plusieurs ORL francophones ont été alertés par de possibles pertes de goût et d’odorat liées à l’infection. À l’époque, les études chinoises, qui décrivaient des patients hospitalisés (Covid-19 modéré à sévère) ne mentionnaient pas de tels symptômes, lesquels n’étaient pas repris dans les symptômes de Covid-19 selon l’OMS. Très vite, deux équipes européennes ont objectivé et décrit ces symptômes dans deux publications clés. La reconnaissance de ces symptômes est importante, car ils sont, dans de nombreux cas, une signature naturelle de la maladie. Dans cet article, nous allons nous focaliser sur les mécanismes physiopathologiques de la maladie et la prise en charge pratique.

Clinique et physiopathologie Les symptômes de Covid-19 varient selon la forme clinique de la maladie. La fièvre, la toux et la dyspnée sont t rès souvent absentes dans les formes légères de la maladie, tandis qu’elles prédominent le tableau clinique des formes sévères et critiques. Les plaintes les plus fréquentes des formes légères à modérées sont : céphalées, perte d’odorat subjective, obstruction nasale, toux, asthénie, myalgie et rhinorrhées. Parmi les plaintes ORL, les plus fréquentes sont : la perte d’odorat subjective, l’obstruction nasale la toux, les rhinorrhées antérieures, l’altération subjective du goût/arômes, les douleurs de gorge, le jetage postérieur et la dysphonie (figure 1). La perte d’odorat subjective n’est pas significativement associée à l’obstruction nasale ou à la rhinorrhée. Les patients souffrant de Covid-19 sévère et critique ont, quant à eux, des plaintes ORL moins fréquentes, particulièrement moins de perte de goût et d’odorat. La Covid-19 a également été associée à des cas de polyadénopathies cervicales, de parotidites aiguës voir d’adénite intraparotidienne. Une étude épidémiologique suggère également que les patients souffrant d’une forme modérée peuvent présenter davantage de plaintes laryngées et de dysphonie, tandis qu’un cas de mouvement paradoxal des cordes vocal a été rapporté. Figure 1. Principales plaintes rencontrées dans la Covid-19 (formes légères et modérées). Issu de Lechien JR et al. J Intern Med 2020 ; 288 : 335-44. L’altération de l’odorat, et de facto des arômes, est un symptôme clé de l’infection légère à modérée. Les mécanismes physiopathologiques ne sont pas encore parfaitement élucidés, mais pourraient inclure, dans un nombre de cas limités, un oedème de fente olfactive et, plus largement, une atteinte des cellules de soutien des neurones du bulbe olfactif selon les études IRM, celles où les auteurs ont réalisé des biopsies ou les études sur cadavre. Le virus pénétrerait dans la muqueuse olfactive et infecterait les cellules du bulbe olfactif par le biais de ses récepteurs ACE-2 et TMPRSS-2. L’expression de ces récepteurs serait différente d’un sujet à l’autre, et pourrait varier selon l’ethnie. Ces différentes pistes sont en cours d’investigation et ne font pas encore l’objet de multiples études concordantes permettant de confirmer ces hypothèses. Une étude en cours de soumission a également étudié les patients qui font deux formes cliniques de Covid-19 à distance. Dans cette étude, les deux Covid-19 étaient très similaires. Ainsi, les patients qui faisaient une Covid-19 respiratoire avaient tendance à refaire une Covid-19 respiratoire quelques mois après s’ils étaient confrontés de nouveau au virus sans anticorps. D’une façon intéressante, la perte d’odorat n’est pas un symptôme qui se répétait dans le temps. Ainsi, si certains patients faisaient deux anosmies, d’autres n’en faisaient qu’une seule lors de la première ou seconde infection, voire pas du tout. Cette étude montre surtout qu’on peut refaire une seconde forme clinique de la maladie. L’origine de celle-ci reste peu élucidée. S’agitil d’une seconde Covid-19, tout comme on peut fai re deux grippes, ou alors d’une réactivation du virus depuis un sanctuaire ? La piste du sanctuaire olfactif n’a pas encore été évoquée dans la littérature, mais elle pourrait avoir du sens pour deux raisons. La première est que le SARS-CoV-2 aurait une propension à se réfugier dans des sanctuaires anatomiques où le système immunitaire n’est pas très actif, telle que les testicules selon les données d’une étude américaine. La seconde raison concerne les anosmiques de longue durée. On sait que 95 % des patients ont récupéré l’odorat à 6 mois post-infection, mais la question des anosmiques de longue durée reste peu élucidée. La plupart des patients récupèrent rapidement l’odorat, car les cellules surexprimant l’ACE2 sont les astrocytes, cellules de soutien des neurones olfactifs, lesquelles se régénèrent vite. Pourquoi chez certains patients la perte d’odorat persiste-t-elle aussi longtemps ? Une des explications théoriques pourrait être celle du sanctuaire olfactif où le virus resterait plusieurs semaines, surinfecterait les astrocytes d’une façon chronique, lesquels seraient détruits par notre système immunitaire. Évaluation de la perte d'odorat D’un point de vue subjectif, les patients présentant une altération de l’odorat présentent concomitamment une altération des arômes (flaveur) et pensent, à tort, que le goût (défini comme la percept ion de sucré, salé, acide, amer et umami) est altéré. Au plus le stade de la maladie est sévère, au plus la prévalence de l’anosmie/hyposmie diminue. Dans une récente étude menée sur plus de 2 500 patients, nous avons rapporté des prévalences de perte d’odorat subjective de 85,9 % (Covid-19 légères), 4,5 % (Covid-19 modérés) et 6,9 % (Covid-19 sévères à critiques). Lorsqu’on réalise des tests semi-objectifs (Sniffin Tests), on observe des prévalences de troubles olfactifs de 54,7 % (formes légères), 56,5 % (formes modérées) et 38 % (formes sévères ou critiques), ce qui soulève l’importance de réaliser des tests psychophysiques ou semi-objectifs et de ne pas se fier uniquement au ressenti du patient. Le risque de discordances entre les évaluations subjectives et les tests semi-objectifs avait déjà été étayé dans les premières cohortes de mars. D’une façon intéressante, il a été observé dans le Covid-19 des différences du genre dans le pronostic général des formes sévères à critiques et dans la prévalence de l’anosmie. Les femmes seraient davantage touchées par l’anosmie, ce qui serait lié à une réponse inflammatoire et immunitaire plus efficiente que les hommes. De telles différences du genre sont connues de longue date puisque des études menées en pédiatrie il y a quelques décennies avaient montré que les petits garçons présentaient un pronostic moins bon que les petites filles hospitalisées en soins intensifs pour raison infectieuse. Le trouble olfactif se développerait davantage après les autres plaintes (57 %) que pendant (25 %) ou avant (15 %). Moins de 10 % des patients présenteraient une anosmie isolée sans aucune autre plainte. La durée moyenne de l’altération subjective de l’odorat durerait 8 jours et ne serait pas associée à la présence des plaintes nasales commune à la rhinite infectieuse. Dans une étude portant sur 2 013 patients, 25,1 % récupéreraient l’odorat subjectivement dans les 4 jours suivants le déclenchement du trouble olfactif, 29,7 % entre 5 et 8 jours, 31,2 % entre 9 et 14 jours, et 14 % présenteraient une perte d’odorat subjective plus de 15 jours. Le suivi des patients anosmiques ou hyposmiques selon les tests psychophysiques montre qu’à 6 mois, 95 % des patients ont récupéré l’odorat. Prise en charge La prise en charge de la perte d’odorat est un sujet controversé. Lors de la première vague, il a été recommandé d’éviter l’utilisation des lavages nasaux au sérum physiologique par peur que ceux-ci diffusent l’infection vers le système respiratoire bas. Pourtant, ceux-ci pourraient être extrêmement intéressants en regard de plusieurs mécanismes. Certaines solutions enrichies en oligo-éléments (solutions de Copper) pourraient réduire l’adhésion du virus à la muqueuse nasale et olfactive, réduire hypothétiquement le risque de pénétration à travers les muqueuses nasale et olfactive, pourraient engendrer une inactivation virale comme cela est décrit dans d’autres viroses. Ces solutions renforceraient également le rôle de barrière physiologique de la muqueuse nasale. D’autres compositions d’irrigations nasales pourraient être investiguées dans la Covid-19 telle que l’association entre les bêta-cyclodextrines et les agents flavonoïdes. Actuellement, la poursuite des irrigations nasales chez les patients souffrant de pathologies rhino-sinusiennes chroniques ou autres n’est pas contre-indiquée. L’utilisation de la solution enrichie de Copper chez les patients présentant un Covid-19 avec plaintes nasales peut être intéressante. L’utilisation des corticostéroïdes oraux a été décriée au début de l’épidémie par peur de voir la maladie s’aggraver via une immunosuppression et un emballement du système immunitaire. Les corticoïdes oraux sont pourtant utilisés pour traiter les pertes d’odorat post-virales (Influenzae, coronavirus, EBV, etc.), voire d’autres pathologies neurologiques post-virales sans que soit décrit un emballement infectieux (paralysie faciale ou surdité brusque). Récemment, deux études ont été publiées surl’utilisation des corticoïdes oraux en réponse à l’anosmie post-Covid-19 ; l’une menée au CHU Saint-Pierre à Bruxelles et l’autre menée à Sassari en Sardaigne. Ces deux études cont rôlées incluent un petit nombre de patients recevant un entraînement olfactif dans un groupe versus un entraînement olfactif combiné à un corticoïde oral (0,5 à 1 mg/kg/j durant 10 jours). Elles montrent un intérêt des corticoïdes oraux en matière de récupération et une bonne tolérance de ceux-ci par les patients qui, dans aucun cas, n’ont évolué vers un stade sévère de la maladie. Actuellement, une étude multicentrique plus importante est menée par le Young IFOS (Young Otolaryngologists of the International Federation of Oto-rhinolaryngological Societies, YOIFOS) et tend à montrer une excellente tolérance des corticoïdes oraux et de meilleurs délais de récupération en matière d’odorat en comparaison au groupe training olfactif. Il est important de préciser que l’utilisation des corticoïdes oraux dans l’ensemble des études citées précédemment se fait après la phase infectieuse de la maladie quand les plaintes majeures ont disparu. À l’heure actuelle, il est donc difficile d’affirmer que les corticoïdes oraux sont bénéfiques ou formellement contre-indiqués dans l’anosmie post-Covid-19. D’une façon générale, les patients souffrant d’anosmie ou d’hyposmie sont invités à effectuer un training olfactif plusieurs fois par jour jusqu’à récupération de leur fonction olfactive (au moins 2 fois par jour). Dans ce protocole, les patients sont invités à prendre des odeurs de leur quotidien (épices, parfum, café, etc.) avec des huiles essentielles et à les humer plusieurs fois par jour en identifiant bien l’odeur de façon à ce que l’association entre l’odeur (re)détectée par le système olfactif et la signification de l’odeur (par exemple, rose) soit correctement réalisée. La réalisation de l’entraînement olfactif en aveugle peut être problématique en regard de nombreux patients qui, après avoir réalisé un training olfactif en aveugle, rapportent qu’ils sentent l’odeur, mais sont incapables de l’associer à ce à quoi elle correspond (rose par exemple). Plusieurs patients rapportent d’ailleurs des cacosmies ou phantosmie en plus de la parosmie lors de leur phase de récupération. Divers compléments alimentaires peuvent être proposés aux patients incluant le zinc, la vitamine A, les vitamines B9 et B12, les antioxydants (acide alpha lipoïques) ou encore la caroverrine. Ces compléments alimentaires ont fait l’objet de quelques études rarement contrôlées et de faible niveau de preuve au cours des précédentes décennies et pourraient améliorer la récupération de l’odorat dans les anosmies idiopathiques et/ou postvirales. Altération du goût Le goût est défini comme la perception de sucré, salé, acide, amer et umami. Peu d’études se sont intéressées à l’altération de goût dans la Covid-19 en évaluant celui-ci à l’aide de gustométrie. La prévalence de la véritable dysgueusie reste inconnue et pour rai t concerner moins de 50 % des pat ients. Dans une étude prospective incluant plus de 1 000 patients, Chiesa-Estomba et coll. ont rapporté une prévalence de dysgueusie subjective selon un questionnaire validé et standardisé de 68,8 %. À l’instar de l’anosmie, la proportion de femmes était plus importante que la proportion d’hommes. Ces patients ont été suivis durant 2 mois et après un follow-up moyen de 63 jours, seulement 9,4 % des patients rapportaient des plaintes gustatives persistantes. Bien que les questions du questionnaire standardisé utilisé pour cette étude différenciaient bien la véritable perte de goût de l’altération des arômes, laquelle reste intrinsèquement liée à la perte d’odorat, il est probable qu’une confusion entre goût et arôme ait biaisé les évaluations subjectives. C’est pour cette raison qu’il reste primordial d’effectuer des tests de gustométrie pour objectiver la prévalence de la véritable perte de goût chez les patients Covid-19. Cliniquement, les patients présentant une perte de goût liée au Covid-19 rapportent souvent une absence complète du goût et l’impression de manger « du carton ». Cet te per te de goût se résoudrait beaucoup plus rapidement que la perte d’odorat. Sur le plan physiopathologique, la perte de goût pourrait être liée à l’infiltration du virus dans la muqueuse linguale, et particulièrement, les zones de récepteurs à l’olfaction ce qui impliquerait une inflammation des cellules étant responsables de détecter les saveurs sucrées/salées (partie antérieure de la langue) ou acide/amer (partie postérieure de la langue). À l’instar de l’anosmie, les patients ayant une perte complète de goût peuvent réaliser un training gustatif qui consiste en la stimulation des récepteurs au goût par des molécules de sucres, sel, acide ou amère (pamplemousse par exemple) plusieurs fois par jour. Récupération Le pronostic final des per tes d’odorat et de goût liées au Covid-19 est encore inconnu. La plus récente étude publiée ayant suivi subjectivement plus de 1 300 patients de la première vague montre une récupération de 95 % des patients à 6 mois. Au plus les résultats au Sniffin Test (utilisant 16 stylos odorants) sont mauvais lors de la perte d’odorat initiale, au plus la probabilité que la récupération de l’odorat sera longue est élevée. Cette association n’est cependant pas retrouvée dans le groupe corticoïde de l’étude du YO-IFOS en cours de publication. Étant donné que la récupération de l’odorat peut prendre 2 ans dans certains rares cas, nous ne pouvons encore nous prononcer sur le taux de récupération définitif chez les anosmiques post- Covid-19 et les patients ne ré cupérant pas sont invités à pour suivre leur training olfactif. Voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=ZZOavEeitDk&t=36s • Lechien JR et al. Olfactory and gustatory dysfunctions as a clinical presentation of mild-to-moderate forms of the coronavirus disease (Covid-19): a multicenter European study. Eur Arch Otorhinolaryngol 2020. • Lechien JR et al. Covid-19 Task Force of YO-IFOS. Clinical and epidemiological characteristics of 1420 European patients with mild-to-moderate coronavirus disease 2019. J Intern Med 2020. • Chetrit A et al.Magnetic resonance imaging of olfactory structures in Covid-19 patients: preliminary Report. J Infec 2020. • Lechien JR et al. Loss of Smell and Taste in 2,013 European mild-to-moderation Covid-19 Patients. Ann Int Med 2020. • Lechien JR et al. Prevalence and 6-month recovery of olfactory dysfunction: à multicenter study of 1,363 Covid-19 Patients. J Intern Med 2020. • Le Bon SD et al. Efficacy and safety of oral corticosteroids and olfactory training in the management of Covid-19-related loss of smell. Accepted in Eur Arch Otorhinolaryngol 2020.

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