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Allergologie

Publié le 13 nov 2020Lecture 9 min

Venins d’hyménoptères : Partie I – De l’épidémiologie au diagnostic

Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, CHU de Toulouse

Les hyménoptères sont des insectes holométaboles(a), à métamorphose complète, munis de deux paires d’ailes solidaires pendant le vol. Il existe près de 200 000 espèces dont les abeilles, les guêpes, les frelons, les fourmis (etc.) qui possèdent des venins capables d’entraîner des réactions allergiques souvent sévères.

En France, les hyménoptères responsables d’allergie par piqûre sont les abeilles, les guêpes vespula et polistes, les frelons — frelon européen (Vespa crabro) et frelon chinois (Vespa velutina nigrithorax)— et accessoirement les bourdons (Bombus Spp.). L’ordre des hyménoptères (Hymenoptera), de la sous-classe des Ptérygotes, de la section des Néoptères, et du superordre des Endopérygotes est divisé en 3 sous-ordres : les Symphytes (mouches à scie ou tenthrèdes), les Térébrants (parasites portetarière) et les Aculéates (porteaiguillon par exemple les Crabronidés). Les Aculéates sont divisés en 3 superfamilles : Apidés, Formicidés (fourmis) et Vespidés. La figure 1 montre la taxonomie détaillée des Apinae (Apinés), Vespinae (Vespinés) et Polistinae (Polistinés). Les figures 2 à 8 montrent les principaux hyménoptères dont la piqûre est responsable d’allergies. Figure 1. Classification des hyménoptères (d’après réf. 1, modifié). Figure 2. Abeille mellifère (Apis mellifera, angl. : Bee) (Coll. JLB). Figure 3. Guêpe vespula (Polistes dominula, angl. : Vespula wasp hornet) (Coll. JLB). Figure 4. Guêpe poliste (Polistes dominula, angl. : Paper wasp) (Coll. JLB). Figure 5. Frelon européen (Vespa crabro, angl. : European hornet) (Coll. JLB). Figure 6. Frelon asiatique ou frelon à pattes jaunes (Vespa velutina, angl. : Asian hornet) (Coll. JLB). Figure 7. Bourdon (Bombus Spp., angl. : Bumblebee) (Coll. JLB). Figure 8. Taon (Chrysops Spp., angl. : Horsefly) (Coll. JLB). Allergènes des venins Au moment de la piqûre, la contraction du sac à venin permet d’en injecter une quantité variable(b), de l’ordre de 0,5 à 2μl(1). Les femelles, abeilles ou guêpes, piquent pour défendre leur colonie lorsqu’elles sentent que celle-ci peut être attaquée, puis elles meurent peu après la piqûre. Les mâles, en particulier des abeilles ou faux-bourdons (abeillauds), sont dépourvus d’aiguillon et donc ne piquent pas. Chez les abeilles (Apis Spp.), l’aiguillon est barbelé : il reste implanté dans le derme après la piqûre. En principe, une abeille ne peut donc piquer qu’une seule fois. L’aiguillon des Vespidés (guêpes et frelons) est lisse et l’insecte peut le retirer, puis piquer une seconde fois. La venin des abeilles ou des guêpes comporte 90 % d’eau et plusieurs substances de bas PM (poids moléculaire) telles que des amines biogènes (dopamine), des phospholipides, des peptides (mellitine, apamine) et des kinines qui ont un « effet toxique » au point de piqûre(1). Les allergènes majeurs (reconnus par 90 % des allergiques) du venin des Apidés sont la phospholipase A2 (Apim 1), la hyaluronidase (Apim 2), la mellitine (Apim 4) et la phosphatase acide ; ceux des Vespidés sont l’antigène 5 (Ves v5), la phospholipase A1 (Ves v1) et la hyaluronidase. Le venin des frelons est globalement semblable, mais l’insecte peut en injecter une quantité plus importante. Le venin des guêpes polistes, présentes surtout dans le sud de la France, contient aussi un allergène 5 (Pold5) qui croise avec celui des guêpes vespula, une phospholipase A1 et une hyaluronidase. Ces diverses protéines ont un PM (poids moléculaire) de 10 à 50 kDa (kilodaltons). Plusieurs allergènes majeurs sont disponibles sous forme de recombinants, utiles pour le diagnostic des réactions allergiques aux venins. Les réactions croisées sont importantes entre les abeilles et les bourdons, ainsi qu’entre les guêpes vespula et le frelon vespa. Elles sont moins importantes ent re les guêpes vespula et polistes, et sont faibles entre les Apidés et les guêpes. La taxonomie des hyménoptères est représentée sur la figure 1. Épidémiologie  Après une première piqûre d’hyménoptères, une sensibilisation, argumentée par un dosage positif d’IgE sériques spécifiques (IgES), apparaît chez plus de 30 % des sujets piqués, mais disparaît dans 30 à 50 % des cas en 5 à 10 ans en l’absence de nouvelle piqûre. La perte de cette sensibilisation est d’autant plus fréquente que la réaction initiale a été légère, qu’ il s’agit d’un enfant plutôt que d’un adulte, et que l’insecte piqueur a été une guêpe plutôt qu’une abeille. Les principales données épidémiologiques sont les suivantes : I) la prévalence des réactions locales étendues aves sensibilisation IgE-dépendante est variable (de 6 à 19 %) ; II) les réactions systémiques sont beaucoup plus fréquentes chez les adultes que chez les enfants ; III) l’exposition aux abeilles, par exemple dans les familles d’apiculteurs, augmente le risque de réaction systémique ; IV) les réactions systémiques des enfants (urticaire généralisée simple dans 6 cas sur 10) sont moins sévères que celles des adultes (anaphylaxie avec at teinte de plusieurs « organes cibles » dans 7 cas sur 10) ; V) les récidives sont plus fréquentes chez les adultes que chez les enfants chez lesquels elles sont aussi plus légères. Facteurs de risque  Facteurs de risque de piqûre L’exposition aux piqûres d’hyménoptères dépend de nombreux facteurs comme les modes de vie (rural > citadin), les activités de loisir (activités et sports de plein air), la profession (apiculteurs, jardiniers, entretien des espaces verts, etc.), et la proximité de ruches (familles d’apiculteurs). Facteurs de risque d’allergie Si l’atopie n’est pas en soi un facteur de r isque d’al lergie aux venins, par contre les facteurs de risque de réaction sévère sont nombreux : I) l’âge (décès plus fréquents chez les personnes âgées) ; II) la présence d’une cardiopathie ischémique et de troubles du rythme ; III) le traitement de ces pathologies par exemple par les bêtabloquants et/ou les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ICE) ; IV) les mastocytoses ; V) un asthme associé, surtout mal contrôlé ; VI) l’existence de réactions antérieures sévères ; VII) la nature de l’insecte piqueur (frelon > abeille > guêpe) ; VIII) le lieu de la piqûre (les réactions sont sévères pour les piqûres buccales ou laryngées ou en cas de piqûre de la pulpe des doigts par risque de piqûre intravasculaire). Symptômes cliniques  Réaction locale normale La piqûre provoque une douleur très vive, puis un oedème douloureux et inflammatoire qui n’est pas allergique mais correspond à une envenimation. L’inflammation locale est le plus souvent importante dans les régions du corps où le tissu sous-cutané est lâche (visage, paupières, lèvres) (figure 9). Figure 9. Réaction locale intense au niveau d’un point de piqûre de guêpe où le tissu cellulaire souscutané est lâche (Coll. GD).   Réactions locales étendues et réactions loco-régionales Par convention, les réactions inflammatoires érythémateuses et prurigineuses ont une dimension supérieure à 10 cm et persistent plus de 24 heures. Elles sont parfois accompagnées de vésicules ou de bulles, et peuvent être associées à des réactions systémiques sans anaphylaxie. Quand la piqûre siège sur un membre, elle dépasse les articulations adjacentes ; par exemple, pour une piqûre à l’avant-bras, la réaction dépassera le coude et/ou le poignet. Réactions systémiques Les réactions systémiques peuvent toucher tous les organes, de façon isolée ou le plus souvent associée. On peut citer par ordre de fréquence : les symptômes cutanéo-muqueux (urticaire généralisée, Infiltration des tissus mous réalisant un angio-oedème) ; un oedème du pharynx et surtout du larynx entraîne une gêne respiratoire (stridor) ; une obstruction bronchique par bronchospasme plus ou moins serré se traduisant par une sensation de striction thoracique, une dyspnée, des sifflements respiratoires, avec au maximum un bronchospasme diffus réalisant un asthme aigu grave (AAG) ; des symptômes digestifs tels que douleurs épigastriques, nausées, vomissements, diarrhée ; des symptômes neurologiques comme des troubles visuels, vertiges, céphalées, sensation de grande fatigue, incontinence des urines et des matières fécales, dysesthésies et paresthésies au niveau des membres piqués, Dans les formes sévères d’anaphylaxie une hypotonie, une syncope, un coma peuvent survenir ; la vasodilatation périphérique est responsable de symptômes allant du malaise au choc anaphylactique avec hypotension artérielle, hypovolémie, troubles du rythme cardiaque. Ces symptômes sont classés en stades de gravité croissante par Muller(2) ainsi que par Pinon et Molkhou (tableau 1). La classification simplifiée de l’anaphylaxie, en 3 groupes, peut également s’appliquer(3). Les réactions locales étendues (locorégionales) ne figurent pas dans cette classification mais peuvent être de nature allergique IgE-dépendante. Réactions atypiques Nombreuses, ce sont les maladies sériques, des vascularites avec thrombopénie, des atteintes neurologiques comme névrites, encéphalites, épilepsie, syndrome de Guillain et Barré, troubles obsessionnels compulsifs (etc.), la plupart de ces manifestations étant observées après plusieurs piqûres. D’autres pathologies sont décrites : syndrome de Reye (atteinte cérébrale et hépatique), anémie hémolytique, insuffisance rénale et rhabdomyolyse en cas d’envenimation massive. Le syndrome de Kounis et Zavras(4,5) représente une atteinte cardiaque de nature allergique avec lésions coronaires. Des syndromes néphrotiques ont surtout été observés chez les enfants. Diagnostic Le diagnostic d’allergie aux venins d’hyménoptères repose sur l’interrogatoire (anamnèse), les tests cutanés (TC) : prick-tests (PT) et intradermoréaction (IDR) et le dosage des IgEs. Un dard resté en place est en faveur d’une piqûre d’abeille. L’interrogatoire précisera : i) la notion de piqûre unique ou multiple ; ii) la nature et l’intensité des symptômes ; iii) l’appel ou non des services médicaux d’urgence et, en cas d’intervention du SAMU (feuille d’observation clinique et thérapeutique) ; iv) la notion d’hospitalisation et l’existence d’un prélèvement sanguin (tryptasémie). Il faut éliminer les diagnostics différentiels : malaise vagal (notion de syncope en cas de prise de sang ou de choc, terrain anxieux) et réactions toxiques (piqûres multiples). Les TC sont effectués en milieu hospitalier, au moins 15 jours après la piqûre (période réfractaire où ils sont négatifs. On réalise des PT à la concentration de 100 μg/ml et des IDR avec une échelle de dilutions de 0,001 μg/ml (0,0001 μg/ml en cas de réaction très sévères) jusqu’à 1 μg/ml. Plusieurs venins sont en général testés au cours de la même séance. Le risque d’anaphylaxie est évalué jusqu’à 2 % des tests(6,7) (figure 10). Figure 10. Enfant de 9 ans ayant présenté une réaction systémique sévère après piqûre d’hyménoptère. Test cutané (IDR) fortement positif pour Apis, négatif pour Vespula (Coll. GD).   Les dosages d’IgEs sont importants si les TC sont impossibles (ou difficiles) : dermatose étendue, nourrissons. Ces dosages sont quantitatifs, exprimés en kUA/l, de 0,10 à 100 (ou davantage); un résultat inférieur à 0,10 kUA/l est négatif. Pour mémoire la nomenclature de dosages de venins entiers : abeille (Apis mellifera [i1]), frelon à tête blanche (Dolychovespula maculata [i2]), frelon à tête jaune (Dolychovespula arenaria [i2]), frelon européen (Vespa crabro [i75]), frelon à tête jaune (Dolychovespula arenaria [i5]), guêpe commune (Vespula Spp. [i3]), guêpe poliste (Polistes Spp. [i4]), guêpe poliste européenne (Polistes dominulus [i77])(c). Le dosage des IgEs vis-à-vis des allergènes moléculaires recombinants améliore l’identification de l’hyménoptère responsable, par rapport aux dosages d’IgEs pour les venins entiers ou si double positivité (PT et/ou IgEs). Une tryptase sérique > 13,5 μg/l au cours d’une réaction sévère est en faveur d’une allergie. a. Les insectes holométaboles sont les lépidoptères, les coléoptères, les diptères et les hyménoptères). Leur cycle est complexe : ils passent de l’état de larve à celui denymphe, puis d’adulte (imago). La morphologie, la physiologie et le mode de vie des larves diffèrent fortement de ceux des adultes. Les larves sont aptérygotes (sans ailes). Elles grandissent sans changement de forme jusqu’au stade pré-imago, puis elles s’isolent dans une chrysalide pour leur métamorphose. Voir https://www.futurasciences.com/planete/definitions/zoologie-holometabole-11444/ (consulté le 19 avril 2020). b. Les abeilles injectent par piqûre de 50 μg à 100 μg de venin (ou davantage) ; une guêpe injecte moins de 2 à 7 μg de venin. Voir la référence n°1. c. https://bioxa.fr/IMG/pdf/ liste-2017-allergenes.pdf

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