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Allergologie

Publié le 05 oct 2020Lecture 9 min

Sésame !

Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, CHU de Toulouse

Au début des années 2000, le sésame a fait progressivement son entrée dans la liste des allergènes en Europe. Le premier cas décrit en France, en 1989, semble celui d’Eechout et coll.(1) sous le titre original de « Sésame ou basophile, ouvre-toi ». Les cas isolés se sont alors multipliés, puis des séries d’observations ont été rapportées. Aujourd’hui, le sésame est devenu un allergène alimentaire important et avec d’autres comme l’arachide, l’œuf, le poisson, le soja (etc.), il doit figurer sur l’étiquetage des denrées alimentaires préemballées et à proximité de celles qui sont présentées en vrac ou déjà cuisinées(a).

Botanique et usages Le sésame (Sesamum indicum, angl. : sesame) appartient à de la famille des Pédialacées. C’est une plante d’Asie subtropicale cultivée depuis très longtemps pour ses graines, en particulier au Moyen-Orient et dans les régions subsahariennes où sa culture est facile et peu onéreuse. La plante, munie de feuilles vertes, lancéolées, peut atteindre 1 mètre de hauteur. Les fleurs sont jaunes. Les graines contiennent 50 g de lipides (dont 22 g d’acides gras polyinsaturés), 23 g de glucides (dont 12 g de fibres) et 18 g de protéines. Elles sont dépourvues de cholestérol. La valeur nutritionnelle est de 566 calories/100 g). Leur saveur est agréable, comparable à celle des noix ou des noisettes. Elles servent en particulier pour agrémenter la présentation et le goût du pain, des bretzels, des « crackers », des « chips » et de divers biscuits apéritifs. En écrasant les graines dans une meule, on obtient une pâte qui sert à fabriquer diverses pâtisseries et gâteaux traditionnels aux noms variables selon les pays, les plus connus étant le téhina (crème salée de sésame à l’huile d’olive) et l’halva (pâtisserie compacte de sésame et de sucre). Le goma-sio est un condiment qui associe du sésame grillé et du sel, apprécié par les végétariens. À partir des graines de sésame, on presse une huile que l’on trouve dans des soupes, des margarines, des friandises orientales (nougats), etc. L’huile de sésame est également très utilisée en cosmétologie. Figure 1. Plante de sésame. Figure 2. Graines de sésame. Épidémiologie Le sésame est un aliment commun au Moyen-Orient pour des raisons alimentaires culturelles, puis il est devenu un allergène émergent en Europe, en Amérique du Nord et en Australie. C’est même le second allergène en cause en Israël, responsable de 43 % des cas d’allergie alimentaire (AA) toutes causes confondues(2) et le troisième en Arabie Saoudite(3). En 2016, dans une lettre à l’éditeur du Journal of Allergy and Clinical Immunology (JACI), Segal et coll.(4) estiment que la prévalence de l’AA au sésame est estimée à 0,1 % au Canada et aux États-Unis, à 0,2 % en Israël, et jusqu’à 0,8 % en Australie. La rareté de cette AA explique en grande partie qu’elle soit méconnue, mais on a vite su qu’elle était sévère puisque 72 % des enfants allergiques au sésame présentaient une anaphylaxie et que, chez ceux qui avaient une AA connue au sésame, le taux annuel des expositions accidentelles à l’allergène était de 15,9 %, ce qui a fait dire que la gestion de cette AA est incorrecte, faute d’une éducation suffisante(4). Une requête sur PubMed avec le terme « Allergy to sesame » fournit 1 314 articles, mais tous ne concernent pas l’AA au sésame. En effet, en 2017, Adatia et coll.(5) ont effectué une revue systématique qui répond globalement à la question : en utilisant PubMed et EMBASE ils ont trouvé 268 titres en anglais et français concernant le diagnostic et la gestion de l’AA au sésame, titres qui n’étaient plus que 163 après filtrage, pour ne finalement garder que 30 articles pertinents après revue des abstracts(5). Cette étude suggère donc qu’en 2017 le nombre d’articles importants sur l’AA au sésame était inférieur à une quarantaine, en soulignant, comme Segal et coll.(4) que le souci majeur au cours de l’AA au sésame est d’éviter l’allergène et surtout les expositions accidentelles, qui peuvent être responsables d’accidents anaphylactiques. En Australie, le sésame est devenu un allergène alimentaire majeur et c’est la cause la plus fréquente de sensibilisation aux fruits secs, avant les noix d’arbres, mais après l’arachide(6). Allergènes du sésame  Le premier allergène majeur du sésame (Ses a 1)(b), une albumine 2S de poids moléculaire (PM) 9 kilodaltons (kDA) a été décrit par Pastorello et coll.(7). Depuis, de nombreux autres allergènes ont été caractérisés Ses i 2 (albumine 2S, PM 7 kDa), Ses i 3 (globuline viciline-like de 45 kDa), Ses i 4 (olésosine de 17 kDa), Des i 5 (oléosine de 15 kDa), Ses i 6 (globuline 11S de 52 kDa), Ses i 7 (globuline 11S de 57 kDA) et Ses i 8 (profiline de 11 kDa) qui sont des oléosines(8-10). L’huile de sésame contient des protéines allergisantes (sésamine, sésaminol) en quantité suffisante pour provoquer des symptômes cliniques chez l’individu sensibilisé au sésame(11), y compris des anaphylaxies(12). Les allergènes de sésame existent sous une forme naturelle (nSes) et aussi d’allergènes recombinants (rSes) comme rSes i 1 et rSes i 2(11,12), la présence d’IgE sériques spécifiques (IgEs) contre rSes i 1 étant étroitement associée au diagnostic d’AA au sésame(9). De nombreux allergènes alimentaires ont des homologies avec ceux du sésame, en particulier le kiwi, l’arachide, la noisette, les diverses noix d’arbres, les graines de pavot et de seigle(9,13). Figure 3. Réalisation de PT avec les aliments natifs chez un patient suspecté d’AA à l’arachide et au sésame. (Coll. GD) Figure  4. Confirmation du diagnostic : forte positivité du PT au sésame avec érythème au sésame (induration majeure avec pseudopodes) et réactivité croisée avec l’arachide. (Coll. GD) Symptômes L’AA au sésame se manifeste le plus souvent par des symptômes importants touchant la peau (urticaire, angio-œdème), l’appareil respiratoire (bronchospasme), le tube digestif (nausées, vomissements), ou plusieurs organes cibles à la fois (anaphylaxie grave). Il peut être associé à l’exercice physique dans le cadre du syndrome d’anaphylaxie déclenché par l’ingestion d’aliment et l’exercice physique(14) . • Patel et Bahna(10) relèvent 6 mécanismes d’allergie aux graines et à l’huile de sésame : allergie et anaphylaxies IgEdépendantes par ingestion ; allergie par inhalation(15) ; anaphylaxie dépendante de l’ingestion de sésame et de l’exercice physique ; urticaire de contact cutanée et/ou muqueuse ; dermatite de contact ; à ces tableaux cliniques, il faut ajouter les hypersensibilités non IgE-dépendantes. • Dans leur série de 23 cas (14 garçons et 9 filles), Dalal et coll.(16) ont relevé 60 % d’urticaires/angio-œdèmes et 30 % d’anaphylaxies. Ils ont distingué 3 groupes d’enfants : 16 (69,5 %) qui avaient d’autres AA ; 2 (8,7 %) où l’AA au sésame fut écartée devant la négativité des PT et du TPO ; 7 enfants (30,4 %) chez lesquels une sensibilisation au sésame fut découverte dans le cadre de l’exploration d’une autre AA (possibilité de sensibilisation/allergie croisée). Les particularités de cette allergie sont les suivantes. Précocité de la sensibilisation et des symptômes cliniques Dans la série de 23 patients avec AA IgE-dépendante de Dalal et coll.(16), la moyenne d’âge d’apparition des premiers symptômes était de 11,7 mois. Dans la série de Lévy et Danon(17), 5 enfants sur 10 avaient moins de 1 an, ce qui s’explique par la précocité d’introduction du sésame sous forme de pâte (téhina) dans le régime des nourrissons et, peut-être, par d’autres voies de sensibilisation (transplacentaire, lait maternel). Dans notre expérience, le plus jeune patient avait 7 mois !(18) Alors que la consommation précoce d’arachide par les nourrissons induit une tolérance orale comme cela a été prouvé par l’étude LEAP (Learning about peanut allergy)(19), ce n’est pas le cas pour le sésame. Anaphylaxies IgE-dépendantes Les cas rapportés sont très nombreux. Une série de 10 cas, concernant des enfants de 5 mois à 7 ans (dont 7 de moins de 15 mois), on dénombre 6 cas d’anaphylaxie dont 3 détresses respiratoires aiguës(17). Tous ces enfants atopiques avaient des antécédents d’eczéma ou un eczéma en activité. Anaphylaxie non IgE-dépendante L’allergie au sésame peut être non IgE-dépendante, y compris plusieurs cas d’anaphylaxie(20,21). Un cas curieux d’anaphylaxie au sésame, non IgE-dépendant (négativité des prick-tests et du dosage des IgEs), mais avec test de provocation par voie orale en double aveugle positif fait évoquer la formation d’épitopes nouveaux pendant la digestion du sésame ou l’apparition de néoallergènes sous l’action de la chaleur(21). Manifestations cutanées Des dermites et angio-œdèmes localisés ont été décrits après l’application de cosmétiques contenant de l’huile de sésame ou de fonds de teint, mais, eu égard au grand nombre de ces produits, on peut penser que la fréquence de ces allergies cutanées est largement sous-estimée(22,23). Diagnostic  Le diagnostic est basé sur l’anamnèse et l’exploration allergologique y compris le test de provocation par voie orale (TPO) avec, depuis quelques années, un apport significatif donné par le diagnostic basé sur les composants allergéniques (angl. : component-resolved diagnosis). Interrogatoire et anamnèse Les circonstances de survenue donnent une orientation (travailleurs au contact de sésame, consommation directe de graines, de pâte de sésame ou d’huile de sésame). Mais il existe des aliments contenant ou pouvant contenir du sésame. Plusieurs organismes donnent des listes où le sésame peut être présent(c) et cet allergène doit figurer sur les étiquetages. Tests cutanés Les prick-tests avec les allergènes commerciaux ne sont pas fiables. Il faut utiliser le « sésame natif » c’est-à-dire les graines, en utilisant éventuellement la technique du « prick plus prick ». Examens in vitro L’examen de base est l’ImmunoCap® aux graines de sésame (f10) : des valeurs d’IgEs ≥ 7 kUA/l permettent de prédire que le TPO sera positif avec une spécificité supérieure à 90 % et ain si de décider de l’éviter(24). Maruyama et coll.(9) ont montré que le dosage des IgEs dirigées contre l’allergène recombinant (rSes i 1) était l’examen le plus performant à une valeur seuil de 3,96 kUA/l par rapport à d’autres dosages d’IgEs comme celui de l’ImmunoCap f17, et ceux des IgEs dirigées contre divers allergènes comme nSes i 1 et rSes i 2. Néanmoins le TPO reste l’étalonor du diagnostic, à effectuer en milieu spécialisé par un personnel entraîné et apte à parer à toute réaction adverse (traitement de l’anaphylaxie par l’adrénaline intramusculaire à la face antéro-latérale de la cuisse). Le TPO est utile au diagnostic des AA au sésame non IgE-dépendantes.  Prévention et traitement Éviction Il ne faut pas compter sur l’acquisition d’une tolérance orale puisque, spontanément, cette AA disparait dans moins de 20 % des cas. L’éviction du sésame consiste à supprimer : les repas en restauration rapide et/ou exotiques ; le sésame sous toutes ses formes (graines, huile, margarine, pâte, pains et viennoiseries « agrémentées » de graines de sésame) ; les produits cosmétiques et les médicaments contenant du sésame sous toutes ses formes. Cette éviction suppose une vigilance permanente car le sésame est le prototype de l’allergène « masqué ». Schöringhumer et coll.(25) ont proposé une mé thode par PCR (Polymerase Chain Reaction) pour détecter en temps réel le sésame (et aussi la noisette) dans l’alimentation (barres diététiques, cookies, chocolats, crèmes, muesli, crackers, etc.), mais cette technique n’est pas très pratique « dans la vie réelle ». La législation stipule que le sésame doit bénéficier d’un étiquetage obligatoire pour tous les types de denrées préemballées (arrêté du 13 septembre 1999). Lorsque les denrées sont proposées à la vente de façon non emballée pour les consommateurs et pour les collectivités, le fournisseur doit pouvoir donner l’information (présence ou non d’allergène de sésame) au consommateur (directive de l’UE n°1169/2011). Cette directive peut avoir des failles associées à la méconnaissance des employés de restauration rapide (en particulier) ou à des contaminations au cours de la chaîne de distribution et de fabrication (récipients contaminés, contact entre allergènes). Prévention et traitement L’AA au sésame pose la question de la prévention et du traitement des AA sévères. Le patient et sa famille doivent bénéficier d’une information complète et d’un plan d’action écrit. L’adrénaline par voie intramusculaire, à la face antéro-externe de la cuisse (stylos auto-injecteurs) est le seul traitement de l’anaphylaxie. Tout patient allergique au sésame et son entourage doivent être instruits des risques de cette allergie. Tout patient allergique au sésame doit avoir sur lui une trousse comportant au moins 2 stylos auto-injecteurs d’adrénaline(d).

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