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Allergie alimentaire

Publié le 19 nov 2020Lecture 8 min

Allergie alimentaire et diversification

Étienne BIDAT, Paris

Les connaissances récentes sur les mécanismes d’éclosion de l’allergie, confirmés par des études cliniques, ont bouleversé nos habitudes dans la prévention des allergies et tout particulièrement pour l’alimentation. Les modalités de diversification alimentaire ne sont que l’un des éléments contribuant à la prévention des allergies alimentaires, d’autres facteurs sont en jeu (tableau 1). Nous ne discuterons pas le rôle de la diversification dans ses aspects nutritionnels, psychologiques ou préventifs pour des domaines autres que l’allergie alimentaire. Nous analyserons uniquement le rôle de la diversification dans la prévention de ces allergies.

De l'empirisme à l'"evidence based medicine" Jusqu’aux années 2000, la prévention primaire de l’allergie reposait sur le dogme de l’éviction. On recommandait de retarder le plus possible l’introduction des aliments, surtout ceux dits allergisants. Dans les recommandations américaines de 2000, on préconisait de retarder l’introduction des oeufs à l’âge de 2 ans, celle du poisson à 3 ans. Ces recommandations empiriques reposaient sur des études souvent mal interprétées et surtout sur les convictions de quelques-uns, c’était l’époque de « l’éminence based medicine ». Fort heureusement, l’« evidence based medicine » est arrivée. Les acquisitions fondamentales, confirmées par les études cliniques, montrent que l’allergie est une non-acquisition, ou une perte de tolérance, vis-à-vis d’un allergène. La prévention de l’allergie passe plus par l’acquisition de la tolérance à un allergène que par son éviction, ou le retard à son introduction. Le contact avec l’allergène doit avoir lieu au moment optimal, on parle de « fenêtre de tolérance ». Pour l’introduction des aliments autre que le lait de vache, cette fenêtre se situe entre les âges de 4 et 6 mois. En 2018, dans une mise au point sur le développement de l’allergie alimentaire, certains facteurs sont mis en avant. Ceux qui facilitent le développement d’une allergie alimentaire sont le faible apport en vitamine D, l’exposition aux allergènes alimentaires par voie cutanée ou inhalée, la modification du microbiote (qui lui-même dépend de la diversification et de la nature du régime). Les facteurs qui facilitent l’acquisition de la tolérance aux aliments sont un taux satisfaisant de vitamine D, une exposition orale aux allergènes alimentaires, un « bon microbiote » digestif. Ces connaissances fondamentales, confirmées par des études cliniques, ont profondément modifié les recommandations pour la diversification. Introduction d'aliments à risque  Un seul aliment Les études observationnelles s’intéressent à l’oeuf, au blé et au lait de vache, les études prospectives à l’oeuf et à l’arachide. L’introduction précoce de ces aliments à parfois, mais pas toujours, un effet préventif sur le développement de l’allergie à l’aliment introduit précocement, surtout dans les populations à « risque » d’allergie. Plusieurs aliments • Études observationnelles Dès 2012, l’étude PASTURE, en suivi de cohorte, a montré que l’eczéma entre 1 et 4 ans est moins fréquent chez les nourrissons qui bénéficient d’une diversification étendue. Six groupes d’aliments étaient considérés : légumes et fruits, céréales, pain, viande, gâteau, yaourt. Plus les nourrissons ont introduit de groupes d’aliments différents, moins ils ont d’eczéma. La poursuite de l’étude en 2014 a mis en évidence que plus la diversité alimentaire est importante avant l’âge de 1 an, moins les enfants développent, jusqu’à l’âge de 6 ans, d’asthme, de sensibilisation et d’allergie alimentaire. À la même époque, Nwaru, dans la cohorte finlandaise, cons - tate qu’une faible diversité alimentaire à 3 et 4 mois n’a pas d’effet sur le développement des manifestations allergiques, mais si cette faible diversité persiste à 6 mois, les enfants ont plus souvent une rhinite allergique à 5 ans, et si elle persiste à 12 mois, les enfants ont plus souvent un asthme (atopique ou non). En 2019, l’étude PASTURE nous livre de nouvelles informations. Une consommation variée de fromages entre 12 et 18 mois s’accompagne d’une diminution de l’eczéma atopique et des allergies alimentaires à 6 ans. Le mécanisme évoqué est un effet sur le système immunitaire par le biais des composants microbiens et les propriétés anti-inflammatoires des acides gras à courtes chaînes contenus dans les fromages. • Études prospectives : étude EAT L’étude EAT a inclus des nourrissons âgés de 3 mois, en population générale, exclusivement allaités. Après randomisation, tous poursuivent l’allaitement jusqu’à l’âge de 6 mois. Le grou pe avec introduction précoce va adjoindre, dès 3 mois, 6 aliments : l’arachide, l’oeuf cuit, le lait de vache, le sésame, le poisson blanc et le blé. À l’âge de 3 ans, dans l’analyse en intention de traiter, l’allergie alimentaire pour un ou plusieurs des 6 aliments introduits n’a pas été significativement différente dans le groupe introduction précoce (7,1 %) par rapport au groupe avec allaitement exclusif (5,6 %). L’introduction précoce a été bien tolérée. Le suivi du protocole a été très difficile dans le groupe avec introduction précoce : il n’est que de 42,8 %. Dans le groupe allaitement exclusif, le suivi est de 92,9 %. En raison de ce mauvais suivi, les auteurs ont effectué une analyse per-protocole. Ils ont retenu pour cette analyse les patients qui avaient « pas trop mal » suivi le protocole tant pour le nombre d’aliments introduits que pour la dose con sommée. La prévalence de l’allergie à l’arachide était plus faible dans ce groupe (0 % vs 2,5 % ; p = 0,003), il en était de même pour l’allergie à l’oeuf (1 % vs 5,5 % ; p = 0,009). Il n’y a pas eu de différence entre les deux groupes pour les autres aliments. La conclusion rigoureuse est que l’introduction précoce, à 3 mois, chez des nourrissons allaités, de 6 aliments, n’est pas efficace dans la prévention du développement d’une allergie, à 3 ans, pour ces aliments. Une analyse secondaire suggère qu’un effet préventif est possible si l’aliment, et tout particulièrement l’oeuf et l’arachide, est consommé précocement à dose suffisante. Ces études sur la diversification sont en faveur d’une diversification précoce, large, à partir de 4- 6 mois. Les recommandations internationales  Les recommandations sur la diversification, au vu des études récentes, ont évolué. Si on se limite aux recommandations européennes et anglaises, afin de limiter un biais culturel et génétique, il est conseillé une diversification entre 4 et 6 mois, sans limites. Les modalités d’introduction de l’arachide et de l’oeuf dans les populations à risque sont variables (tableau 2). Ces recommandations restent peu précises sur le bilan à effectuer avant d’introduire l’oeuf et l’arachide dans les populations « à risque ». Pour simplifier, les Anglais considèrent qu’il existe un risque de réaction allergique dans ces populations, mais les accidents à l’introduction ayant été limités jusqu’à présent, ils pensent qu’il est peut-être excessif de pratiquer un bilan avant l’introduction. Les autres recommandations, européennes, américaines, asiatiques, conseillent un bilan cutané et/ou plasmatique avant d’introduire l’oeuf et l’arachide dans les populations « à risque ». En dehors d’un guide australien de 2017, il est étonnant qu’aucune recommandation n’ait conseillé une diversification large, avec plusieurs groupes d’aliments, malgré les belles études de suivi de cohorte. • L’avenir ? L’intérêt d’une diversification large a été compris par des compagnies américaines. Spoonfulone® propose un assortiment d’allergènes (poisson, farine, fruits à coques, sésame, crevette, lait, oeuf, arachide, soja) à mélanger tous les jours à l’alimentation (lait ou purée), dès l’âge de 4 mois. Le coût est d’environ 2 dollars par jour. Sur le site, le risque de cette introduction précoce est indiqué minime ou nul… comme dans les recommandations anglaises. Inspired Start® propose, selon le même principe, une préparation contenant un mélange d’arachide, oeuf, fruits à coques, soja et une autre préparation avec blé, sésame, crevette, morue. Dans l’argumentaire, il est mis en avant l’aspect pratique de cette introduction précoce, préventive : « introduire régulièrement des allergènes communs peut être difficile. C’est le défi que nous avons décidé de relever lorsque nous avons créé Inspired Start®. En préparant de délicieuses purées d’aliments sous une présentation habituelle, nous espérons pouvoir lancer une révolution en matière d’introduction d’aliments (…) les nouvelles recherches suggèrent aux pa - rents de trouver un moyen de normaliser le processus d’introduction des allergènes quotidiennement et de l’intégrer dans leurs journées déjà très occupées ». Respecter les habitudes alimentaires  Si un aliment est introduit dans la maison, pour la consommation par des membres de la famille, il est préférable de l’intégrer dans l’alimentation du nourrisson. Dès 2008, le groupe de G. Lack a montré que la présentation de l’allergène alimentaire par voie orale facilite l’acquisition de la tolérance, alors que l’exposition à ce même allergène par voie cutanée ou inhalée favorise l’acquisition de la sensibilisation. Cette hypothèse repose sur une étude clinique observationnelle. En Israël, la consommation d’arachide est fréquente et importante dès les premiers mois de vie sous forme de snack, les Bamba®, l’équivalent français du Curly®. En Angleterre, suite à des recommandations largement diffusées à l’époque, la consommation d’arachide dans une population est très faible dans les premiers mois de vie, alors que l’allergène circule facilement et abondamment dans les maisons sous différentes formes (cacahuète ou snack). Les enfants israéliens sont ainsi exposés à l’arachide sous forme orale, alors que les enfants juifs anglais sont surtout exposés à l’arachide sous forme inhalée ou par contact cutané. La comparaison d’une population juive anglaise à une population israélienne limitait les biais génétiques. Cette enquête observationnelle montre qu’entre 4 et 11 ans la prévalence de l’allergie à l’arachide est de 0,17 % en Israël et de 1,85 % en Angleterre. Ces conclusions ont conduit à l’étude LEAP dont les résultats ont entraîné la modification des recommandations de nombreux pays avec introduction précoce d’arachide, notamment dans les populations à risque. En Asie, la prévalence de l’allergie alimentaire est très faible malgré l’introduction tardive des aliments, et tout particulièrement arachide, fruits de mer et oeuf. Une autre analyse de ces études est qu’il faut respecter les habitudes culturelles, ne pas les contrarier… au risque de voir la prévalence des allergies alimentaires augmenter. Conclusion • La diversification doit être précoce, sans restriction, même pour les aliments à risque en respectant les habitudes culturelles. Il ne faudrait pas retomber dans les excès des anciennes préconisations empiriques qui étaient néfastes. Le respect des habitudes culturelles est capital. • En France, une diversification précoce, entre 4 et 6 mois est souhaitable, avec introduction des aliments à risque, si ceux-ci sont consommés par la famille.  • Ces mesures ne sont pas généralisables à d’autres populations.

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