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Allergie alimentaire

Publié le 07 sep 2017Lecture 9 min

Le microbiome et son impact sur l’allergie digestive

Paul MOLKHOU, Ancien chargé d’enseignement, Université René Descartes, Paris

Le microbiote est aujourd’hui reconnu comme un « organe » à part entière qui constitue l’un des piliers de la santé humaine. Le microbiome (du grec micro, « petit » et bios, « vie ») est l’« aire biotique » (aire de vie) du microbiote, désignant ici les espèces autrefois regroupées sous le terme « microflore », c’est-à-dire celles qui prédominent ou sont durablement adaptées à la surface et à l’intérieur d’un organisme vivant. C’est dans cette perspective que deux équipes américaines de Philadelphie, celle d’A.B. Muir et coll.* de Pennsylvanie et celle d’A. Fillon et coll. de Denver, ont étudié le microbiome et son impact sur l’atopie gastro-intestinale, ce qui a servi de base à l’analyse présentée dans cet article.

La prévalence des états allergiques n’a cessé d’augmenter au cours de ces dernières décennies dans les pays occidentaux. Une dysbiose intestinale pourrait jouer un rôle important dans le développement des maladies allergiques. La génétique, l’environnement, les facteurs alimentaires pourraient altérer le microbiote commensal et entraîner une dysrégulation inflammatoire de l’homéostasie (figure). Figure. Schéma illustrant la différence qui existe entre le microbiote normal et le microbiote altéré dans les maladies allergiques, d’après A.B. Muir et coll. Les bactéries commensales et leur rôle dans le développement de la tolérance. La colonisation commensale diminue l’axe IgE-basophile et augmente la stimulation TLR favorisant ainsi la tolérance. La dysbiose et le TLR inefficaces renforcent la réponse Th2 et la maladie IgE-médiée. La présence de bactéries commensales est un facteur de tolérance La théorie hygiéniste largement étudiée depuis plusieurs décennies (D. Strachan, 1989) explique qu’il existe un lien entre l’exposition aux microbes durant la petite enfance et l’épidémie d’allergies, et suppose que notre mode de vie aseptisé limite fortement le contact entre les enfants et les micro-organismes environnants, empêchant le système immunitaire de se développer comme il le faut. De ce fait, les défenses de l’organisme réagissent de manière exagérée lorsque certains éléments inoffensifs, comme du pollen, pénètrent dans le corps. C’est le mécanisme de l’allergie. On parle alors d’hypothèse hygiéniste. Des études récentes ont montré que des enfants vivant à la campagne au contact des animaux développaient moins d’affections allergiques que des enfants exposés à un environnement « stérilisé », urbain. Des études sur le modèle murin ont confirmé qu’une exposition précoce à des bactéries commensales était indispensable pour le développement d’une tolérance immunologique. Toutes les cellules présentes dans les réactions de type 1 (mastocytes, basophiles, éosinophiles) pourraient modifier le microbiote local au cours des maladies atopiques. Les bactéries commensales ont un rôle important en maintenant un équilibre entre les cellules Th1 et les cellules Th2. Les Th1 sont les cellules effectrices lors de l’invasion des bactéries alors que les Th2 s’opposent à une invasion de parasites. L’exposition à une flore commensale est nécessaire pour le propre développement de la tolérance par l’intermédiaire de certains mécanismes. Allergies alimentaires L’augmentation de l’utilisation des antibiotiques chez l’homme et en particulier chez le nourrisson, les moyens utilisés en agriculture pour élever le bétail, ainsi que l’augmentation des régimes riches en graisses et pauvres en fibres ont eu un effet sur le microbiote intestinal, ce qui a pu favoriser le développement des allergies alimentaires dans les pays occidentaux au cours de ces dernières décennies. Des études sur l’animal ont confirmé le rôle crucial du microbiote intestinal des premières semaines sur la possibilité d’une sensibilisation aux aliments. D’autres études chez la souris ont montré qu’en période néonatale l’exposition aux antibiotiques modifiait le microbiote intestinal et favorisait une sensibilisation à des antigènes alimentaires. Plusieurs auteurs ont identifié des espèces de Clostridies à la fois chez la souris et l’homme comme étant de puissants inducteurs de lymphocytes T régulateurs (Tregs) du côlon capables de supprimer l’allergie alimentaire. D’autres études ont rapporté que des colonisations de Clostridies entraînaient une augmentation des Tregs du côlon et l’expression de l’IL-22 dans l’intestin grêle et le gros intestin. Cette altération entraîne un renforcement de la fonction barrière épithéliale et empêche l’accumulation d’allergènes alimentaires. La co-administration d’adjuvants bactériens et d’une immunothérapie par voie orale a été proposée comme un traitement possible de l’allergie alimentaire. Dans une étude en double aveugle contre placebo, 62 enfants allergiques à l’arachide ont bénéficié de l’association d’un probiotique Lactobacillus rhamnosus et d’une immunothérapie orale à l’arachide. Les résultats ont montré un effet durable chez 82 % des enfants ayant bénéficié de cette association contre 3 % dans le groupe placebo. Ces résultats encourageants nécessitent néanmoins de vérifier l’effet durable après une longue période d’élimination de l’arachide et de confirmer l’action bénéfique des probiotiques. Comme il a été démontré précédemment dans les modèles animaux les études chez l’homme ont également montré un lien entre l’utilisation d’antibiotiques et les allergies alimentaires. La prise d’antibiotiques par la mère durant sa grossesse et pendant le premier mois de l’enfant est associé à une augmentation du risque d’une allergie au lait de vache chez les nourrissons. Les nourrissons allergiques au lait de vache ont un microbiote fécal dans lequel prédominent Lachnospiraceae et Ruminococcaceae. L’utilisation d’un hydrolysat poussé de caséine avec comme supplément Lactobacillus rhamnosus GG a permis de produire des souches bactériennes de butyrate et d’accélérer la tolérance chez des nourrissons allergiques au lait de vache. Le microbiote fécal des nourrissons allergiques aux aliments est caractérisé par une abondance relative de Clostridium I et d’Anaerobacter, et une diminution de Bacteroides et de Clostridium XVIII. Chen et coll. ont récemment démontré que des enfants avec une sensibilisation aux aliments pendant leur jeune âge avaient un microbiote fécal altéré comparé à celui des enfants normaux. Les enfants avec une allergie alimentaire ont une diminution de Bacteroides et un nombre élevé significatif de Firmicutes par rapport aux enfants sains. Ce qui différencie vraiment les enfants allergiques alimentaires est la présence en très grand nombre de Clostridium IV et de Subdoligranulum et une diminution importante, des Bacteroides et Veillonella. Il serait utile d’envisager dans le futur de nouvelles biothérapeutiques à base de Clostridies ou d’administrer du butyrate comme adjuvant pour établir une tolérance aux allergènes alimentaires. Le microbiome dans l’oesophagite à éosinophiles (OE) L’expérience de Philadelphie Alors que l’oesophage semblait démuni de bactéries, on y compte actuellement environ 300 espèces de bactéries chez l’enfant et l’adulte. C’est à l’hôpital des Enfants à Philadelphie que des chercheurs ont identifié le microbiote de la cavité buccale et de l’œsophage chez 33 enfants porteurs d’une OE et chez 35 sujets sains. Les techniques employées étaient des écouvillonnages pour la cavité buccale et des biopsies pour l’oesophage. La plupart des sujets étudiés étaient sous IPP soit en période d’élimination de l’aliment, soit en phase de réintroduction. Tous les sujets sous antibiotique ou en période de poussée inflammatoire de l’intestin avaient été exclus de l’étude. Benitez et coll. ont montré une différence entre le microbiote de la bouche et celui de l’oesophage qui contient des souches microbiennes du genre Prevotella, Streptococcus et Neisseria. L’analyse de la composition microbiale a révélé des différences significatives entre l’OE (Neisseria et Corynebacterium) et les sujets sains porteurs quant à eux de Streptococcus et d’Atopobium. Des changements de régime alimentaire modifient le microbiote fécal, ainsi que le microbiote de l’oesophage. Une augmentation des genres Granulicatella et Campylobacter a été notée chez des sujets qui avaient réintroduit des aliments très allergéniques faisant partie des 6 aliments à éliminer (tableau). De nombreux travaux menés chez l’adulte ont signalé que le genre Streptocoque était dominant dans le microbiote de l’œsophage sain et Neisseria l’était dans le microbiote de l’œsophage malade. Actuellement, les travaux ont pour but de rechercher si certaines bactéries ne pourraient pas être utilisées pour améliorer l’inflammation qui découle de cet état. L’expérience de Denver et celle de Chicago Les chercheurs de ces deux centres ont mis au point un nouveau test non invasif, l’ « eosophageal string test » (EST), une méthode utilisant une capsule et un fil de nylon employée préalablement pour détecter la présence de Giardia dans le tube digestif. Cette technique a également été utilisée pour capter les sécrétions de l’œsophage et mesurer les protéines élevées chez les sujets porteurs d’OE. Cette méthode non invasive est préférée aux biopsies pour surveiller le traitement. L’EST a montré sa fiabilité en le comparant aux résultats obtenus avec les biopsies pour l’étude du microbiote de l’oesophage, du nez et de la bouche. Récemment, Harris et coll. ont montré chez les enfants et les adultes examinés par EST une augmentation des bactéries et une inflammation chez les sujets avec une OE ou un RGO pathologique. Bacteroides, Firmicutes, Fusobacteria et Proteobacteria étaient les bactéries prédominantes dans l’OE, le RGO pathologique, mais aussi chez les sujets sains. Près de la moitié des sujets sous IPP dans les centres de Denver et de Chicago étaient porteurs de protéobactéries chez les sujets non traités (par corticoïdes et régime alimentaire). Ces constatations sont identiques à celles observées par l’équipe de Philadelphie. Harris et coll. ont également montré que le genre protéobactéries était augmenté de façon significative chez les sujets non traités (tableau). Le Streptocoque, germe prédominant dans l’oesophage, diminue dans l’OE et le RGO pathologique chez des sujets sous IPP. Aggregatibacter est présent dans l ’OE et le RGO pathologique traités par IPP. Les résultats obtenus par Benitez et Harris sont en faveur du traitement qui agit sur l’OE. Ces résultats méritent d’être poursuivis dans différents pays afin de mieux connaître le microbiote intestinal. Le pour et le contre et les besoins futurs D’après Hippocrate (460-377 avant J.-C.), toutes les maladies débuteraient dans l’intestin. La muqueuse du tractus gastrointestinal et son microbiote agissent comme un organe important pour la défense de l’hôte. Dans les études conduites à Philadelphie, Chicago et Denver sur le microbiome de l’OE les sujets malades avaient des quantités importantes de protobactéries. Cependant, chaque centre a une approche différente dans la conduite du traitement. Et le traitement a un impact sur le microbiote de l’œsophage. À l’avenir, il sera nécessaire de comparer le microbiome des patients avec une OE, en fonction de leur régime alimentaire ou d’un traitement par corticostéroïdes. Une nouvelle population vient d’être récemment identifiée; ce sont des sujets avec une OE chez qui les IPP sont capables d’améliorer l’état clinique et histologique. C’est l’étude du microbiote de ces patients qui permettrait de déterminer quel type de bactérie responsable de l’inflammation nécessiterait un traitement spécifique. Pour mieux comprendre ces phénomènes complexes, des études sont entreprises chez l’animal porteur d’une OE, tout en sachant que des obstacles interviendront pour appliquer les résultats chez l’homme. De futures études multicentriques seront nécessaires pour déterminer si le microbiote gastro-intestinal chez des sujets atopiques (asthme, dermatite atopique et maladies à éosinophiles du tube digestif) possède des bactéries semblables caractéristiques de la maladie allergique. Il pourrait alors être modifié pour reconstituer un microbiote physiologiquement normal. Conclusion Nous sommes seulement au début d’un travail pour démêler le réseau complexe et la relation existant entre le microbiote intestinal de l’homme, les facteurs de l’environnement et la génétique chez les sujets sains et atopiques. Toutefois, le nombre de publications concernant le microbiote modifié dans la maladie allergique n’a cessé de croître ces dernières années. Des travaux plus poussés comprenant des études longitudinales et des projets multicentriques sont nécessaires pour mieux savoir si le microbiote dysbiotique identifié dans différentes maladies atopiques est la cause ou la conséquence de la maladie. Les changements dans le mode de vie comme l’augmentation des césariennes en urgence, le biberon dès les premiers jours, l’augmentation de la prescription d’antibiotiques chez les nourrissons ont pour effet de déranger l’homéostasie microbienne et de favoriser une maladie allergique chez l’enfant. Toutefois, l’utilisation de probiotiques semble efficace dans certaines études et sans effet pour d’autres. Toutes ces constations nécessitent de plus amples recherches pour comprendre les effets des probiotiques, des prébiotiques et des métabolites bactériens pour traiter de la maladie allergique.   Références sur simple demande à la rédaction : biblio@len-medical.fr

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