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Allergie alimentaire

Publié le 11 avr 2017Lecture 8 min

Que faut-il penser du dosage des IgG spécifiques anti-aliments ?

Habib CHABANE, Paris

Environ 20 % de la population des pays développés déclare souffrir d’intolérances alimentaires(1). En France, de plus en plus de personnes adoptent une alimentation sans gluten, alors que la prévalence de la maladie cœliaque est d’environ 1 %. La proportion d’individus qui suit un régime d’éviction sans justification médicale ne cesse d’augmenter.

Depuis plus d’une décennie, des tests biologiques détectant la présence d’anticorps anti-aliments se sont popularisés auprès de certains prescripteurs convaincus de leur utilité diagnostique dans la détection des intolérances alimentaires. L’accès direct à ces tests par les patients sans prescription médicale est encore plus inquiétant. Les promoteurs de ces dosages n’hésitent pas à rattacher diverses pathologies (migraines, eczéma, polyarthrite rhumatoïde, etc.) à un mécanisme d’« intolérances alimentaires à IgG », alors que la signification de ces dosages est vivement controversée. En quoi consiste le dosage des IgG anti-aliments ? Il s’agit d’un test biologique effectué sur un prélèvement de sang. La majorité des tests disponibles permettent de doser l’IgG réactivité, sans distinction des sous-classes (isotypes IgG1, IgG2, IgG3 et IgG4), vis-à-vis d’extraits totaux d’aliments natifs (lait, œuf, tomate, etc.) ou ayant subi un traitement industriel ou culinaire (fromage, couscous, polenta, etc.). Parfois, il s’agit de protéines plus ou moins purifiées (gluten, caséines). La technique consiste à faire réagir le sérum du patient avec les extraits d’aliments préalablement immobilisés sur les parois d’une cupule de microplaque en polystyrène (technique ELISA pour la majorité des tests disponibles) ou sur une petite surface d’une lame de verre sur laquelle des microgouttes de ces extraits ont été préalablement immobilisées (seule Genarrayt® utilise cette biopuce à protéine). Après une incubation d’une heure (ou plus), les IgG n’ayant pas réagi sont éliminées par lavage. Les IgG ayant réagi avec les aliments sont révélées par adjonction d’anti-IgG marquées par une enzyme. La lecture de la réaction se fait en ajoutant, après un nouveau lavage, un substrat produisant une coloration ou une fluorescence dont l’intensité est proportionnelle à la quantité d’IgG anti-aliments. L’étalonnage se fait à l’aide d’une gamme étalon de 4 à 6 points. Certaines techniques incluent un contrôle positif. Les tests disponibles • Le test ImuPro est probablement le plus connu en Europe. Il s’agit d’un test ELISA en microplaque développé par la société allemande R-Biopharm. Le laboratoire ne commercialise pas de réactif et effectue lui-même tous les dosages dans son laboratoire situé au Luxembourg. Le test est commercialisé via internet. Le patient commande et paie son test en ligne (245, 395 et 505 pour respectivement 90, 180 ou 270 aliments) sans prescription médicale. Puis, il se rend dans un laboratoire de ville pour effectuer le prélèvement sanguin à l’aide du kit de prélèvement qu’il a reçu. L’échantillon sanguin est acheminé vers un laboratoire situé au Luxembourg où sont centralisés tous les dosages. • Foodscan est aussi un test ELISA du concurrent britannique YorkTest Lab (Omega Diagnostics) commercialisé via internet. Foodscan propose un test qualitatif d’orientation par autoprélèvement d’une goutte de sang (kit de prélèvement) qui sera envoyé, dans un premier temps, au laboratoire YorkTest pour déterminer s’il y a des IgG vis-à-vis d’un nombre restreint d’aliments. Cette analyse préliminaire coûte environ 20 euros. Comme elle est presque toujours positive, il est suggéré au patient de la compléter par un dosage avec l’un des 2 panels (113 ou 158 aliments) pour des montants de 295 à 400 euros. Il existe d’autres tests commercialisés au Royaume-Uni par Cambridge Nutritional Science (Food-detective et Food-print) et aux États-Unis par Biomerica (Food Intolerance ELISA de 4 à 90 aliments). • La biopuce Genarrayt® produite au Royaume-Uni par Genesis (Omega Diagnostics) a été introduite en France il y a environ 5 ans. Son principe est identique à la biopuce ISAC®, à la différence qu’elle utilise des aliments natifs ou cuisinés, et seulement 5 protéines purifiées (alpha-lactalbumine, bêta-lactoglobuline, caséine, gliadine, transglutaminase). Son coût est d’environ 180 euros. Pour les tests effectués par correspondance, le patient reçoit ses résultats par courrier sous forme de tableaux indiquant les aliments positifs (auxquels il est supposé être très intolérant ou moyennement intolérant) et négatifs. Les résultats sont parfois accompagnés de conseils diététiques, tout en recommandant un suivi médical. En pratique, il s’agit d’exclure pendant quelques semaines à quelques mois les aliments auxquels on est intolérant, puis de les réintroduire progressivement selon un principe de « rotation » empirique qui ne repose sur aucune étude ou concept validé. Les critiques sur le plan technique Bien que ces dosages aient obtenu le marquage CE, ils sont discutables sur le plan technique. La qualité des aliments utilisés n’est pas standardisée et pourrait difficilement répondre aux objectifs de standardisation. La nature précise de l’aliment n’est pas décrite (ex. :  champignon, sans autre précision), d’autres sont de composition très variable (ex. : miel). Pour aucune technique commerciale, il n’est publié la méthode d’extraction des aliments. La composition ou le profil électrophorétique des extraits ne sont pas connus. De même, la nature des antigènes (ou épitopes) reconnus par les IgG n’est pas connue. Les coefficients de variation inter-essais réels sont souvent au-delà des normes acceptables, pouvant dépasser 20 %. Les résultats sont exprimés en unités arbitraires par ml ou en classe, ce qui ne permet pas la comparaison des résultats d’une technique à l’autre. Il n’y a pas de contrôle de qualité interlaboratoires car très peu de laboratoires effectuent ces dosages. Il y a un risque de rendu de résultats faussement positifs pour certains aliments, car rien ne garantit la possibilité d’une fixation non spécifique des IgG, via des lectines ou autres interactions possibles. Les aliments sont testés en double sur la biopuce Genarrayt® (Genesis) alors que sur la biopuce ISAC® chaque allergène est testé en triple. La lecture étant automatisée par l’intermédiaire d’un logiciel, le résultat devient aléatoire pour la technique Genarrayt® en cas de discordance au sein d’un même doublon. IgG anti-aliments et pathologies Depuis le début des années 2000, plusieurs auteurs ont rapporté l’effet bénéfique d’une diète basée sur l’éviction des aliments vis-à-vis desquels des IgG sériques ont été détectées au cours de plusieurs affections comme le syndrome du côlon irritable, la migraine, la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn(2-6), etc. Certains auteurs suspectent le rôle délétère proinflammatoire des IgG anti-aliments par activation locale du système du complément ou le dépôt à distance de complexes immuns. Plusieurs études publiées sont méthodologiquement critiquables, car elles portent souvent sur un effectif réduit de patients. Peu d’études ont été faites en double aveugle contre placebo(2,3). Dans l’étude de W. Atkinson et coll.(2) dans le syndrome de l’intestin irritable, l’effet bénéfique de l’éviction alimentaire n’a été montré que sur l'analyse secondaire en sous-population. Les durées de suivi au cours des études sont relativement courtes (12-14 semaines) ne permettant pas une évaluation à long terme des bénéfices de ces régimes. Cependant, dans l’étude de N. Mitchell et coll.(6) au terme de l’étude (12 semaines), il n’y avait pas de différence (nombre de migraines ou leur impact) entre les groupes randomisés de patients suivant un vrai régime d’éviction (groupe actif) ou un régime d’éviction factice (groupe placebo) sur la base des IgG anti-aliments, alors qu’à 4 semaines, il y avait une différence significative entre les deux groupes. Dans l’ensemble, les études restent parcellaires. Enfin, la prévalence des IgG anti-aliments dans la population générale sans troubles digestifs n’est pas connue. Signification des IgG anti-aliments Chez l’enfant, P.E.D. Eysink et coll.(7) ont montré la présence d’IgG anti-protéines de lait de vache à des concentrations variables chez 264 enfants âgés de 1 an, consommant du lait de vache. La majorité d’entre eux avaient aussi des IgG anti-œuf et céréales (blé et riz). P.G. Calkhoven et coll.(8) ont montré la présence d’IgG4 anti-protéines de lait, œuf et banane chez des adolescents sains. R.C. Aalberse et coll.(9) ont montré chez 240 enfants âgés de 3 mois à 14 ans que les IgG1 anti-lait de vache, œuf, banane diminuent avec l’âge, alors que les IgG4 augmentent progressivement, ce qui pourrait témoigner de l’acquisition de tolérance vis-à-vis de ces aliments. Ces résultats sont confirmés pour l’œuf dans l’étude de M.C. Jenmaln et coll.(10). Toutefois, l’utilisation en routine du dosage des IgG anti-ovalbumine ne permet pas de différencier les allergiques des enfants tolérant l’œuf ayant ou non des IgE spécifiques détectables contre l’ovalbumine(11). Au total, la détection d’IgG vis-à-vis des aliments couramment consommés est normale. La synthèse de ces IgG anti-aliments est un phénomène physiologique, retrouvé à tout âge. Le passage (passif ou actif) de fragments plus ou moins grands de protéines alimentaires est physiologique et contribue à l’acquisition et vraisemblablement aussi au maintien d’une tolérance à faible dose à ces aliments par le biais des IgG4. La détection des IgG vis-à-vis de certains aliments peut aussi résulter d’une réaction croisée liée à des IgG anti-allergènes respiratoires (physiologiques) ou d’une reconnaissance par des IgG dirigées contre des épitopes glucidiques (CCD). En cas de réelle maladie inflammatoire de l’intestin, de maladie cœliaque ou toute autre situation pathologique (infection intestinale, allergie alimentaire à manifestation digestive, etc.), la quantité d’IgG anti-aliments détectées peut être très élevée, témoignant d’une altération de la barrière intestinale. Risques des régimes d’éviction sur la base des dosages d’IgG anti-aliments Outre les carences alimentaires, ces régimes excluant parfois plusieurs dizaines d’aliments peuvent entraîner des troubles de développement chez l’enfant, comme ce fut le cas aux États-Unis de cet enfant arrivé aux urgences dans un état de Kwashiorkor(12). L’exclusion prolongée des aliments peut aussi provoquer des néophobies alimentaires. Dans certains cas, le diagnostic d’une autre affection peut être retardé, comme par exemple une allergie alimentaire vraie, avec un risque d’accident anaphylactique lors d’une réintroduction de l’aliment. Enfin, ces régimes sont source de dépenses non justifiées pour l’achat d’aliments de substitution et de compléments alimentaires. Position des sociétés savantes et des autorités ordinales Dès 2005, la Société suisse d’immunologie et d’allergologie avait déclaré ces tests inutiles et insuffisamment éprouvés(13). En 2008, l’Académie européenne d’allergologie et d’immunologie clinique a confirmé que ces tests ne sont pas recommandés pour le diagnostic d’intolérance alimentaire(14). Cette position a été approuvée par l’Académie américaine d’allergologie en 2010(15). En 2015, un article mettant en garde contre l’utilisation inappropriée du dosage des IgG anti-aliments pour établir des régimes d’éviction destinés à « soigner » diverses pathologies, rappelle qu’en France un médecin biologiste a été condamné à un mois d’interdiction d’exercice pour publicité mensongère(16). Ce médecin biologiste avait diffusé et vanté auprès des médecins prescripteurs une technique insuffisamment éprouvée, ce qui est contraire au Code de déontologie médicale. La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a reconnu que « le dosage d’IgG anti-aliments est scientifiquement non fondé, médicalement sans intérêt et potentiellement dangereux ».    

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