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Allergologie

Publié le 11 oct 2015Lecture 9 min

Les hyménoptères, l’allergologue et les références : une vie à trois harmonieuse ?

C. DZVIGA, Unité d’allergologie, hôpital Nord, CHU de Saint-Étienne

Les allergies aux hyménoptères sont, aves les aliments et les médicaments, les principales causes de réactions anaphylactiques. Le pronostic en a été transformé dans les années 1980, avec l’apparition des désensibilisations aux venins, technique permettant aux patients allergiques de retourner sans risque dans la nature.

Le domaine de l’allergie aux hyménoptères est apparu, pendant des années, relativement consensuel, assez protocolisé, basé sur des recommandations internationales dont la principale, en Europe, est celle de 2005 publiée par l’EEACI. Cependant, plusieurs signaux, ces dernières années, montrent que les choses ne sont pas si simples… En France, dès 2009, le groupe de travail « Insectes piqueurs » (émanation de la Société française d’allergologie et de l’Association nationale de formation en allergologie), a mis en place un mode original de communication. La quinzaine d’experts composant ce groupe communique par mail et répond individuellement à tout cas clinique difficile auquel est confronté un médecin, en principe allergologue. Cette expérience a prouvé que même chez des médecins expérimentés, de nombreuses interrogations persistent et que certaines situations cliniques restent délicates à gérer. Parallèlement, deux études récentes, l’une anglaise (2008) et l’autre polonaise (2011) ont montré qu’il existait de nettes discordances entre les recommandations et la pratique des médecins. Afin de connaître la situation en France, un questionnaire de pratique, à l’initiative d’un groupe de médecins du CHU de Saint-Étienne, a été envoyé, en 2010, à la plupart des praticiens initiateurs de désensibilisations aux hyménoptères. Au total, 83 réponses exploitables ont été reçues, ce qui est très significatif puisque l’on estime le nombre de médecins pratiquant régulièrement cette technique à 130-150. Voici quelques points et quelques propositions que cette enquête a soulevé, fruit du travail du groupe « Insectes piqueurs », et de deux thèses de médecine récentes.   Les indications du bilan Dans un bilan, la première difficulté rencontrée est de répondre à la question « Qui doit-on tester ? » avec en filigrane la suivante « Qui doit-on désensibiliser ?», puisque l’on ne devrait tester que les patients pour lesquels il y a une indication de dé sensibilisation. Le fait que l’indication repose uniquement sur la clinique lors de la piqûre initiale semble assez consensuel. Le bilan allergique, lorsqu’il est indiqué, va avoir pour objectif de cibler l’insecte responsable et de repérer d’éventuels facteurs de risque. L’expérience du groupe « insectes piqueurs » montre que le fait de demander directement des IgE spécifiques vis-à-vis de ces insectes « pour faire avancer le bilan », en oubliant de se poser avant la question de la pertinence de la désensibilisation, est source de nombreux litiges. N’oublions pas que la sensibilisation, c’est-à-dire la présence d’IgE spécifiques, concerne 20 à 30 % de la population, surtout en fin d’été, après la période des piqûres et que seuls 2-3 % de personnes parmi ce pourcentage feront une réaction allergique. Le médecin allergologue risque donc de se retrouver dans la situation délicate d’affirmer à un patient, souvent inquiet, qui a devant lui un résultat de dosage d’IgE élevé, parfois très élevé, qu’en fait il ne risque rien, qu’il n’y a pas besoin de lui faire des tests cutanés et qu’il ne faut pas le désensibiliser. Le paramètre décisionnel essentiel est donc la gravité de la réaction clinique initiale. Si les recommandations de 2005 sont relativement restrictives, réservant une immunothérapie spécifique (ITS) aux grades III et IV de Mueller (tableau), l’enquête française montre que la plupart des médecins déclenchent un bilan dès le grade II, et même souvent dès le grade I, surtout s’il existe des facteurs de risque. La littérature récente va dans leur sens, recommandant même parfois ce bilan dans les réactions locorégionales d’aggravation progressive. En 2014, il est donc logique de proposer comme indication de désensibilisation toutes les réactions systémiques, avec pour les grades I et peut être les réactions locorégionales, la prise en compte des facteurs de risque.   Les facteurs de risque Certains facteurs de risque vont influer sur le risque de piqûre (métier de plein air, apiculture), d’autres sur la gravité de la réaction (âge, prise de bêtabloquant, d’IEC, état cardiaque ou respiratoire instable, effort). L’anxiété et l’altération de la qualité de vie sont également des paramètres à prendre en compte. La responsabilité du taux de tryptase basal est moins bien connue, puisque certains médecins ne le demande jamais. De plus, un nombre non négligeable (33 % dans l’enquête française) en font une contre-indication à la désensibilisation, s’il est élevé. Ceci est bien sûr préjudiciable pour ces patients à haut risque de réaction anaphylactique, qui ne bénéficieront donc pas d’une désensibilisation. Il faut rappeler que le taux basal de tryptase est un facteur de risque important quant à l’apparition d’une réaction anaphylactique sévère, en dehors de la problématique d’une mastocytose. De plus, le risque d’une réaction allergique semble proportionnel au taux et ce, dès le niveau de 6 µg/l, soit bien en dessous du seuil de 13,5 µg noté comme positif sur le compte rendu de l’examen. Cet examen étant de plus peu coûteux, il faut le demander dans tout bilan d’allergie aux hyménoptères.   Les tests cutanés Toutes les recommandations soulignent l’association systématique dans un bilan des tests cutanés et de la recherche d’IgE. Bien que les recommandations anglaises y incluent le prick-test, certains collègues anglais se contentent de cette technique, le risque de faux négatif reste ainsi élevé. S’il peut garder, par « extrême prudence » pour certains, une place en début de bilan, l’important est de réaliser des tests intradermiques (IDR). Les allergologues français semblent en être convaincus. La question du seuil significatif est par contre beaucoup moins consensuelle... L’enquête française a montré que certains s’arrêtent à 10-2 µg, d’autres à 10-1 µg. Pourtant, la littérature internationale et les conclusions du groupe « insectes piqueurs » sont ici unanimes : il faut aller jusqu’à la concentration de 1 µg pour les IDR, sous peine de laisser passer d’authentiques allergies aux hyménoptères. Le choix des insectes piqueurs à tester fait également débat ; certains testant l’insecte suspect, d’autres les insectes présents dans la région. S’il est classique de considérer que la guêpe poliste est dans le sud et la guêpe vespula dans le nord, la limite est très floue puisque nos collègues belges disent avoir des allergies à la poliste... Il est donc souhaitable, quel que soit le lieu du bilan, de tester les trois venins d’insectes actuellement disponibles, à savoir l’abeille, la guêpe vespula et la guêpe poliste.   La biologie Elle est basée sur le dosage des IgE. L’arrivée des anticorps recombinants a donné de gros espoirs pour affiner les profils de sensibilisation et, en particulier, pour comprendre les réactions croisées entre guêpe vespula et guêpe poliste. Cependant, de fortes similitudes de structures entre les allergènes du groupe 5 (Ves V5 et Pol P5) font que, dans la plupart des cas, les IgE vont se positiver simultanément vis-à-vis de ces deux allergènes. Il faut également souligner que, concernant ces anticorps recombinants, les différents dosages actuellement disponibles ne couvrent pas l’ensemble des possibilités de sensibilisation vis-à-vis d’un venin. Dans un bilan, en première intention, il est pour l’instant souhaitable d’en rester à la classique recherche d’IgE vis-à-vis du venin global. Si une double sensibilisation apparaît et que se pose la question d’une sensibilisation croisée, les tests d’inhibition (RAST) devraient être la référence, mais ils sont peu disponibles en pratique courante. Il faut donc, avec les limites évoquées ci-dessus, utiliser les IgE recombinants vis-à-vis des composants du venin. Il ne faut également pas oublier que les venins sont riches en radicaux glycosylés et que la recherche d’anticorps anti-CCD est souhaitable. Lorsqu’ils sont disponibles, les tests cellulaires en cytométrie en flux semblent prometteurs, à la fois pour clarifier les réactions croisées et pour « récupérer » d’authentiques allergiques pour lesquels le bilan de base est négatif.   La désensibilisation Elle reste le traitement préventif de référence pour ces allergies. En France, la majorité des praticiens utilise la technique ultra rush ; il reste des divergences sur les allergènes utilisés, l’attitude en cas de difficultés pendant la période initiale et la durée de la désensibilisation. Il est bien sûr indispensable d’inclure dans le protocole le venin suspect en cause dans la réaction clinique initiale et qui s’est positivé lors des tests (par exemple, patient piqué par une abeille, avec bilan positif pour l’abeille). Mais si le bilan montre également une sensibilisation pour un autre venin se pose la question de l’inclure ou pas dans la désensibilisation. Dans le groupe « insectes piqueurs », les avis sont partagés. Dans la littérature, quelques auteurs poussent à l’inclusion, surtout si le taux de tryptase basal est élevé. Il n’est donc pas actuellement possible de donner de recommandations consensuelles sur ce point. L’enquête française sur les pratiques a montré qu’en cas de réaction indésirable lors de la phase rush, certains médecins arrêtaient le traitement. Si l’on peut comprendre les appréhensions du médecin, cette attitude est dommageable pour ces patients que l’on peut supposer à haut risque de réaction sévère et pour lesquels une dé sensibilisation est donc particulièrement indispensable. Différentes méthodes sont utilisées dans ces situations, toutes basées sur la baisse des doses injectées, l’augmentation de la fréquence des injections et une prémédication d’anti-H1 et de bronchodilatateurs. Si, malgré ces modifications, le blocage persiste, se discute une prémédication par Ac anti-IgE (omalizumab). En France, la durée d’une désensibilisation est le plus souvent de 5 ans (50 % des cas), parfois de 3 à 5 ans. Un certain nombre de praticiens utilise différents critères pour faire varier cette durée entre 2 et 10 ans. La littérature souligne qu’en cas de réaction initialement sévère (grade IV) ou de découverte d’un taux de tryptase élevé (> 20 µg/l), on doit discuter un traitement à vie.   Conclusion Comme on le voit, plusieurs points suscitent encore le débat. Globalement, on observe que les allergologues français sont un peu plus respectueux des recommandations existantes que leurs collègues anglais ou polonais, mais une réflexion, une communication et parfois une mise à jour de ces recommandations semblent nécessaires.

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