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Allergologie

Publié le 06 sep 2015Lecture 8 min

L’angiœdème bradykinique : un syndrome rare et grave

L. BOUILLET, coordinatrice du Centre national de référence des angiœdèmes (CREAK), Clinique universitaire de médecine interne, CHU de Grenoble

L’angiœdème (AE) est un syndrome clinique. Il s’agit d’un œdème sous-cutané ou sous-muqueux, localisé et soudain, qui dure quelques heures à quelques jours. Il est non inflammatoire, régresse totalement entre les crises et volontiers récidivant. Sa prévalence est évaluée à 0,05 % de la population générale. L’AE est souvent associé à des lésions urticariennes. Dans cet article, nous allons apprendre à les reconnaître et à les traiter en cas de risque vital.

Dans 95 % des cas, il s’agit d’un angio-œdème (AE) histaminique allergique ou non. Les causes allergiques (IgE-médiées) sont rares, il s’agit le plus souvent d’un AE histaminique spontané ou favorisé par la prise d’AINS. Dans 5 % des cas, il s’agit d’un AE bradykinique, appelé autrefois œdème angioneurotique (figure 1). Ils sont secondaires à l’activation de la phase contact de la coagulation (système kallicréine-kinine) (figure 2). Cliniquement, ils sont difficiles à différencier des AE histaminiques, ce qui pose un problème de prise en charge thérapeutique, car les AE bradykiniques ne répondent pas aux antihistaminiques, aux corticoïdes ou à l’adrénaline. En l’absence de traitement spécifique (qui cible la bradykinine), la localisation ORL peut provoquer un décès dans 25 % des cas.     Classification des AE bradykiniques On distingue (figure 1) : – les AE héréditaires (AEH) avec ou sans déficit en C1 Inh ; – les AE secondaires aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ; – les AE acquis avec déficit en C1 Inh. Les AE bradykiniques les plus fréquents sont ceux secondaires à la prise d’un IEC. Cet effet secondaire qui arrive chez 1 % des consommateurs de cet antihypertenseur peut arriver n’importe quand (au début du traitement ou plus de 20 ans après). Il peut être favorisé par la prise concomitante de gliptines ou d’inhibiteur de mTor. On évalue à près de 5 000 cas d’AE aux IEC en France chaque année. Cet effet survient volontiers chez les patients présentant une toux associée aux IEC. Les AEH touchent 1 personne sur 50 000 en France. Ils sont souvent associés à un déficit en C1 Inh, dus à une mutation induisant l’absence de synthèse de protéine ou la synthèse d’une protéine dysfonctionnelle. Il s'agit d’un trait autosomique dominant. On a identifié depuis l’année 2000, des AEH à C1 Inh normal qui s’expriment surtout chez la femme, souvent dans des contextes d’imprégnation hormonale (grossesse, pilule estroprogestative). Il existe des AE acquis par déficit en C1 Inh. Ils sont extrêmement rares. Ils apparaissent dans des contextes de syndrome lymphoprolifératif ou de dysglobulinémie d’origine indéterminée.     Pourquoi le C1 Inh est-il impliqué dans les AE bradykiniques ? Le C1 Inh est la protéine-contrôle principale de la voie kallicréinekinine (figure 2). Il contrôle négativement le facteur XII, la kallicréine et la plasmine. Un déficit en cette protéine favorise donc l’activation de cette cascade protéique. Les protéines du complément n’interviennent pas dans la physiopathologie des AE bradykiniques.   Pourquoi les IEC peuvent-ils déclencher un AE bradykinique ? La bradykinine a une demi-vie très courte (quelques minutes) car elle est dégradée par trois kininases dont la principale est l’enzyme de conversion (75 %). En cas de prise d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion, la bradykinine sera donc mal dégradée (figure 2).     Démarche diagnostique face à un AE La première étape est de vérifier qu’il s’agisse bien d’un AE (figure 3) en s’assurant entre autres de l’absence de caractère inflammatoire, de régression totale entre les crises… Un AE est un phénomène aigu et localisé. La deuxième étape est de savoir s’il est associé ou non à des lésions urticariennes. La présence de crises d’urticaire concomitantes ou à distance des crises d’AE fait éliminer un AE bradykinique. Il faut recueillir la durée spontanée de l’AE ; en effet, un AE bradykinique ne dure jamais quelques heures. Il dure au moins 24 heures, en général entre 2 à 5 jours.       Un AE bradykinique se caractérise volontiers par l’association de crises périphériques, ORL et abdominales. Ces dernières sont très stéréotypées : il s’agit de crises subocclusives, induisant l’alitement pendant au moins 24 h, avec une EVA supérieure à 7 dans 67 % des cas. Il peut exister une hypotension associée, et des vomissements. L’imagerie abdominale montre un tableau pseudo-chirurgical avec des images d’œdèmes en cocarde et de l’ascite. Ces attaques sont caractérisées par leur guérison spontanée au bout de quelques jours. Face à un AE, il est important de rechercher le « médicament ». Il ne s’agit pas de rechercher l’allergie médicamenteuse, assez rare, et facile à diagnostiquer : tableau d’anaphylaxie dans les minutes qui suivent l’ingestion. Il s’agit de rechercher le médicament qui favorise une poussée. En premier lieu, il faut rechercher la prise d’AINS dans les heures ou les jours qui précèdent. Ils favorisent l’apparition d’AE histaminique, parfois isolé et qui peut durer plusieurs jours. Les médicaments à base de codéine et la pénicilline peuvent aussi donner ce type de réactions non allergiques. Les patients qui présentent ce type de réactions ont souvent un terrain atopique. Le deuxième médicament à rechercher est l’IEC, quelle que soit l’ancienneté de la prise. Tout AE isolé, durant au moins 24 heures chez un patient prenant un IEC peut être bradykinique. Le diagnostic doit cependant être confirmé. En effet, il n’est pas anodin de contre-indiquer à vie un IEC chez des patients ayant une cardiopathie ou une néphropathie. Il ne faut pas hésiter à contacter le CREAK. Il arrive que le diagnostic d’AE soit difficile. Un AE isolé, durant au moins 24 heures, sans prise de médicament préalable est la plupart du temps un AE histaminique spontané. Il est cependant licite de faire un dosage pondéral et fonctionnel du C1 Inh. En cas de dosage normal, il faut proposer un traitement antihistaminique au long cours. Il est parfois nécessaire d’augmenter les doses à 4 fois celles de l’AMM (comme dans l’urticaire chronique). En cas de récidive des AE malgré ce traitement maximal, il ne faut pas hésiter à confier le patient à un spécialiste du CREAK afin d’éliminer un AE bradykinique à C1 Inh normal.   Prise en charge d’un AE bradykinique   Crise ORL aux urgences En cas d’atteinte des voies aériennes supérieures, les traitements (Firazyr® ou Bérinert®) doivent être administrés le plus tôt possible. Une surveillance d’au moins 6 heures est nécessaire en milieu hospitalier (risque de rebond). Il n’est pas utile de réaliser un examen ORL car celui-ci peut aggraver la crise. En cas de détresse respiratoire de phase 3 (perte de connaissance, arrêt cardio-respiratoire), l’intubation n’est pas recommandée. Une cricothyroïdotomie ou une trachéotomie doivent être réalisées par un sénior de réanimation ou un chirurgien ORL. L’efficacité du traitement doit être jugée durant l’heure qui suit l’administration. L’inefficacité du traitement est définie par la progression de la crise après avoir éliminé une autre étiologie ou une complication. En cas d’inefficacité avérée (et 1 heure après l’injection du 1er traitement), il est recommandé d’injecter le Firazyr® si le Bérinert® a été le 1er traitement. Si le Firazyr® a été injecté en premier, on choisira plutôt le Bérinert®. En cas de besoin, une astreinte téléphonique du CREAK est disponible 24 h/24 et 7 j/j.   Angiœdème aux IEC Lorsque le diagnostic est confirmé, l’IEC est contre-indiqué à vie. Le risque d’AE bradykinique peut subsister jusqu’à 6 mois après l’arrêt de l’IEC. Il faut toujours veiller à éliminer un AE par déficit en C1 Inh (dosage pondéral et fonctionnel du C1 Inh à faire). La crise d’AE se localise très souvent au secteur ORL avec un risque vital certain. Bien que l’utilisation soit hors AMM, il est recommandé d’injecter de l’icatibant en cas de crise sévère. En cas d’indisponibilité, le concentré de C1 Inh est tout aussi efficace. En remplacement de l’IEC, il est conseillé d’éviter les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine car il existe un risque de récidive de l’AE de 10 % sous ce type de traitement.   Angiœdème héréditaire (AEH) Un patient ayant un AEH doit être confié au CREAK (centre multisite [encadré ci-dessous]) afin que : – le diagnostic soit confirmé (une carte de la maladie lui sera alors remise, il sera mis en ALD) ; – le dépistage familial ait lieu ; – le patient soit éduqué à gérer ses crises à domicile ; – lui soit délivré un traitement d’urgence à utiliser en autoadministration (Firazyr® et/ou Bérinert® à domicile).

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