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Asthme

Publié le 03 mar 2015Lecture 12 min

L’asthme et ses aspects socio-économiques

G. PEIFFER, N. PAILLOT, I. OLARU, E. VOICU, Service de pneumologie, CHR de Metz-Thionville

Notre compréhension de l’épidémiologie de l’asthme montre une complexité croissante. À côté des facteurs classiques (environnementaux et génétiques), la place des aspects socio-économiques mérite d’être individualisée. L’asthme est plus globalement fréquent, moins bien contrôlé en cas de faible statut socio-économique et les rôles de l’habitat, des allergènes intérieurs, du voisinage, de l’exposition au stress psycho-social, au tabagisme passif et actif, aux irritants (polluants) sont déterminants.

Le GINA (Global Initiative for Asthma) et l’OMS estiment que l’asthme touche environ 200 millions de personnes dans le monde(1). Sa fréquence tend à augmenter, même si un plateau semble atteint dans certains pays(2) et pas dans d’autres(3). Parmi les facteurs épidémiologiques(4), les facteurs de risque génétiques et environnementaux tant les allergènes intérieurs qu’extérieurs ou en milieu professionnel, le rôle des infections, des polluants, du reflux gastro-œsophagien, les facteurs hormonaux ou psychologiques ont été bien répertoriés. Quels impacts du niveau socio-économique dans l’asthme ? Démêler les différentes raisons qui expliqueraient l’influence du statut socio-économique sur l’asthme demeure un défi.   Une maladie plus fréquente dans les populations de faible niveau socio-économique En France, l’étude du CREDES(5) signale que, selon le niveau de revenu, 8,5 % (indice de consommation [IC] = 6,9-10,2 %) des personnes dont le revenu du ménage est inférieur à 300 par unité de consommation, souffrent d’asthme contre 5 % (IC = 4,25,8 %) parmi les plus hauts revenus, soit plus de 1 200 € par unité de consommation. Ainsi, 8,7 % des personnes vivant du RMI et également 8,7 % des bénéficiaires de l’Aide médicale d’état (AME) souffrent d’asthme contre environ 5,8 % pour le reste de la population.   Unité de consommation Système de pondération attribuant un coefficient à chaque membre du ménage et permet- tant de comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différentes. Avec cette pondération, le nombre de personnes est ramené à un nombre d’unités de consommation (UC). Pour comparer le niveau de vie des ménages, on ne peut s’en tenir à la consommation par per- sonne. En effet, les besoins d’un ménage ne s’accroissent pas en stricte proportion de sa taille. Lorsque plusieurs personnes vivent ensemble, il n’est pas nécessaire de multiplier tous les biens de consommation (en particulier, les biens de consommation durables) par le nombre de personnes pour garder le même niveau de vie. Aussi, pour comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différentes, on utilise une mesure du revenu corrigé par unité de consommation à l’aide d’une échelle d’équivalence. L’échelle actuellement la plus utilisée (dite de l’OCDE) retient la pondération suivante - 1 UC pour le premier adulte du ménage ; - 0,5 UC pour les autres per- sonnes de 14 ans ou plus ; - 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans. (Source : Insee) Peu nombreuses dans la population observée, ces personnes en situation de précarité ne présentent pas de caractéristiques particulières quant à la répartition des stades de sévérité de l’asthme(5). Ceci est confirmé dans l’étude de l’InVS(6), où la prévalence de l’asthme actuel diffère significativement en fonction du niveau de revenus (prévalence d’autant plus élevée que les revenus étaient faibles, p < 0,01). Les mêmes auteurs(6) montrent que les différences dans la prévalence des sifflements lors des douze derniers mois selon les caractéristiques socio-économiques des personnes sont plus marquées que les différences observées dans la prévalence de l’asthme (tableau).     • Celle-ci est très variable selon les pays et le niveau socio-économique : aux États-Unis, d’où la majorité des études émane, il est clairement établi une prévalence de l’asthme nettement plus élevé chez les enfants en état de pauvreté et les enfants non blancs vivant en ville. Le nombre d’hospitalisations et la mortalité pour asthme sont plus importants en cas de niveau socio-économique (NSE) bas. Mais les travaux plus récents montrent que l’épidémiologie de l’asthme apparaît plus complexe avec une association entre le NSE, la prévalence, la morbidité et la mortalité de l’asthme, fonction de variations géographiques (l’asthme est plus sévère au centre des grandes agglomérations) (figure 1) et dans les zones avec voisinages défavorisés (épigénétique)(7). Schématiquement, chez les patients des pays à revenus faibles et intermédiaires, les symptômes d’asthme sont plus graves (niveau de contrôle de l’asthme plus faible) que ceux des pays à revenus élevés, probablement en raison de diagnostics erronés, d’un manque d’accès aux soins de santé avec inaccessibilité aux traitements. • Il semble que des facteurs ethniques participent de manière indépendante du NSE aux États-Unis(8). Ainsi, la prévalence, les taux d’hospitalisation et de visites aux urgences pour asthme aux États-Unis diminuent lorsque les revenus sont plus élevés chez les enfants non noirs, ce qui n’est pas retrouvé chez les enfants noirs(9). Une analyse de ces données selon l’âge, l’ethnie montre que le taux de mortalité chez les « non blancs » était quatre fois supérieur à celui des « blancs », alors que la prévalence de l’asthme n’était que deux fois supérieure(1). • La plupart des études sont effectuées en milieu urbain : qu’en est-il en milieu rural ?(10) La prévalence de l’asthme peut être également élevée, en particulier en cas de NSE bas, par exemple dans le Connecticut(11). On manque d’études rurales, en fonction des expositions chez les fermiers (théorie hygiéniste, exposition aux allergènes, endotoxines), et d’études stratifiées selon le NSE et le niveau d’accès aux soins en milieu rural(12). Figure 1. Approche plurielle pour expliquer l’hétérogénéité de l’asthme en fonction des limites socio-économiques et géographiques de l’environnement des populations étudiées.     Comment expliquer les variations de l’asthme selon le NSE ?       Les expositions environnementales La théorie hygiéniste nous a appris la différence entre les expositions urbaines et rurales (les fermes), suggérant que les infections du début de la vie et l’exposition aux bactéries (endotoxines) entraîne une charge bactérienne plus élevée en cas de présence d’animaux activant le système TH1, inhibant le développement du système TH2 impliqué dans le développement des allergies(13). Cependant, la pertinence des disparités entre zones urbaines aux États-Unis n’est pas claire. Les enfants vivant en ville n’ont pas, en général, l’expérience de la protection par l’exposition aux animaux de la ferme qui protègent contre l’asthme et l’atopie dans les populations européennes. • Une mauvaise hygiène de l’habitat (humidité, chauffage défectueux) et le surpeuplement du logement représentent des facteurs de risque plus fréquents pour l’asthme dans ces populations vulnérables. • Le rôle de certains allergènes plus fréquents dans les environnements avec NSE bas, en particulier l’allergène blatte(14) semble évident aux États-Unis, surtout dans les villes par rapport à la campagne. La présence de concentrations élevées des allergènes de blatte Bla g 1 et Bla g 2 est corrélée au NSE dans les études des villes du Nord-Est des États-Unis (15), mais moins patente dans nos villes européennes. De même, toujours aux États-Unis, les allergènes de rongeurs contribuent à l’augmentation de la prévalence de l’asthme. Les enfants vivants avec un NSE bas semblent répondre plus souvent à de multiples allergènes(16). Ceci s’explique sans doute par une interaction avec d’autres facteurs plus fréquents en cas de NSE bas qui majorent les réponses aux allergènes : l’exposition aux polluants et toxiques, le niveau plus élevé de stress psycho-social(17). Ainsi, les risques d’asthme augmentent chez les enfants vivant en ville exposés à des niveaux élevés de pollution automobile et de stress psycho-social, avec exposition à des milieux violents(18). • Des études récentes confirment que les conditions d’habitat et le type de voisinage sont fortement corrélés au NSE des personnes vivant dans ces endroits(19). Les psychologues spécialisés dans l’environnement suggèrent que l’habitat aurait une dimension émotionnelle subjective(20) qui devrait être appréhendée, de même que les facteurs physiques ou sociaux. • L’exposition aux polluants urbains (en particulier les particules diesel) participe à l’augmentation des allergies respiratoires : les concentrations de particules ultrafines, dans les études européennes, sont jusqu’à 20 fois plus élevées au moment des pics de trafic par rapport à la période nocturne(21). Le fait de vivre à côté de gros axes de trafic expose à des taux de particules ultrafines sept fois plus élevés dans un rayon de 15 mètres au bord de la chaussée par rapport au niveau moyen urbain(22). De plus, tout dépend du site et du niveau de ventilation de l’habitat qui peuvent fortement moduler les concentrations intérieures de polluants, avec une exposition extérieure identique(23).   L’exposition au tabagisme Le tabagisme passif de la petite enfance a aussi été mis en cause dans la sensibilisation allergique particulièrement chez les garçons et dans l’eczéma atopique des nourrissons(24). Or cette exposition est plus fréquente en cas de NSE bas. Alors que la tendance est à la diminution du tabagisme dans la population générale, il est en augmentation dans les populations fragilisées, avec des difficultés pour réussir le sevrage tabagique(25). Le tabagisme apparaît comme une façon de faire face aux affects négatifs et au stress psycho-social dans les groupes de NSE bas : on note des liens avec la plus grande fréquence de difficultés psychologiques (anxio-dépression)(26).   Inégalités de santé dans l’asthme et facteurs génétiques Les études génétiques ne devraient plus ignorer les interactions possibles avec les principaux facteurs environnementaux (rôle de l’épigénétique avec interférences gènes-environnement). Ainsi, des études récentes insistent sur l’impact d’un petit poids de naissance et le développement de certaines maladies dont l’asthme : dans une étude de suivi de plus de 4 000 enfants suivis jusqu’à l’âge adulte, on retrouve que la prévalence à l’âge adulte diffère sensiblement selon le NSE de la petite enfance et le petit poids de naissance. Ce dernier a continué à être associé à l’asthme après ajustement pour le statut socio-économique de l’enfance(27). Ainsi, les asthmatiques de bas NSE plus souvent exposés dans les villes aux polluants, aux allergènes, au tabagisme, à des taux de stress plus intenses et portant des gènes de susceptibilité de l’asthme, auront un risque accru de développer la maladie.   Influence des niveaux de stress chronique et des désordres psychosociaux Ces facteurs environnementaux délétères agissent sur des populations déjà vulnérables(28). Ils sont significativement influencés par les caractéristiques de la famille, de leur habitat, les conditions sociales (chômage, par exemple) de manière chronique. On rappelle l’augmentation dans ces groupes vulnérables de la fréquence des addictions (comme l’alcoolisme), des troubles dépressifs ou des troubles de la personnalité avec hyperconsommation de psychotropes. On parle dans la littérature anglo-saxonne de « neighborhood disadvantage »(3). L’exposition aux divers types de violences comportent une dimension subjective puisqu’elles sont interprétées différemment selon le vécu, la personnalité et la place sociale de chacun. Les mécanismes liant le stress psychologique, les émotions, l’asthme et l’atopie commencent à être mieux éclaircis(32). À titre d’exemple, l’étude de J.L. Peters et coll.(30) montre l’influence du stress in utero agissant comme « starter » précoce de l’allergie : une forte exposition aux acariens combinée au stress maternel entraîne une élévation des IgE dans le sang du cordon des bébés atopiques, avec une réponse immunitaire pro-allergique de type Th2. Comment réduire les inégalités sociales de santé ? Sir Michael Marmot, président de la Commission des déterminants sociaux de la santé de l’OMS, auteur de la postface du rapport INPES coordonné par L. Potvin, M.J. Moquet et C.M. Jones Réduire les inégalités sociales en santé(31), en résume ainsi l’enjeu : « Les inégalités sociales devant la santé sont une des conséquences de la façon dont les êtres humains ont choisi de vivre ensemble. Que ces choix aient été ou non conscients et volontaires ne change rien au résultat : ces inégalités ne pourront être sensiblement corrigées sans actions audacieuses, délibérées et concertées ».   Figure 2. Facteurs de risque potentiels du développement et de l’aggravation de l’asthme(32).  Conclusion Nous avons beaucoup progressé dans la connaissance des facteurs influençant l’asthme (facteurs individuels comme l’exposition aux allergènes, au tabagisme passif ou actif). Chez l’adulte, les milieux socio-économiques défavorisés sont les plus touchés par l’asthme. Cette association entre asthme et niveau socio-économique reflète probablement les différences d’expositions, actuelles et passées, aux facteurs environnementaux, tels que la pollution de l’air, les expositions en milieu professionnel, etc., ou encore à des facteurs liés au mode de vie comme le tabac ou l’alimentation. Des travaux sont nécessaires pour mieux pondérer le rôle causal du NSE dans l’asthme, dans ces liens avec le lieu de résidence, le niveau de stress psychosocial, l’appartenance à certaines minorités ; ces indicateurs semblant bien tous étroitement liés. L’asthme doit désormais être aussi envisagé en plus de tous les facteurs aggravants ou déclenchants classiques en fonction du contexte social des patients. Particulièrement complexe, ces déterminants font appel à plusieurs science : entre autres, la sociologie, la psychologie, l’épidémiologie sociale, la géographie, les sciences de l’environnement et la génétique (figure 2)(32).

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