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Laryngologie

Publié le 16 juin 2014Lecture 5 min

Aphonie psychogène : simulation ou entité clinique reconnue ?

E. BEULQUE, J.-P. MARIE, Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, CHU de Rouen
L'aphonie ou dysphonie psychogène est un enrouement, une raucité ou une absence totale de production de voix, en absence de pathologie des cordes vocales. cette pathologie touche surtout les femmes dans la quatrième décennie et représenterait environ 5 % des dysphonies.
La CIM-10 (classification internationale des maladies) et le manuel DSM-IV (qui définit aux États-Unis les troubles psychiatriques) inscrivent l'aphonie psychogène comme un trouble de conversion. Les patients atteints d'un trouble de conversion présentent un déficit neurologique, sensitif ou moteur, leur permettant de détourner inconsciemment leur attention vers cette atteinte physique, afin de diminuer leur angoisse psychologique. L'aphonie psychogène est donc assimilée à une somatisation d'un conflit psychologique.   Présentation clinique et bilan paraclinique   Les patientes sont adressées en consultation ORL généralement après 3 à 4 semaines de dysphonie persistante. Ces patientes présentent le plus souvent une aphonie complète qui ne s'améliore pas et ne sont capables de produire qu'une voix chuchotée. L'interrogatoire recherche la durée, la sévérité de la dysphonie et le mode d'apparition. Il faut rechercher les facteurs favorisant des dysphonies comme une infection des voies aériennes supérieures, un tabagisme, un forçage vocal ou un antécédent de chirurgie cervicothoracique. L'apparition est souvent brutale dans l'aphonie psychogène, sans notion d'abus vocaux, ni d'infection récente. Il faut éliminer les signes cliniques associés aux dysphonies, comme la dyspnée, et l'existence de fausses routes, qui ne sont pas présentes dans ce cas. Le reste de l'examen ORL est normal, notamment l'examen des paires crâniennes et la palpation thyroïdienne. Il existe souvent un contexte de détresse psychologique concomitant qu'il faut savoir mettre en évidence lors de l'interrogatoire. L'examen clinique est complété par une nasofibroscopie. Il n'existe aucune anomalie de la structure laryngée et les cordes vocales ne sont pas inflammatoires. Par contre, on remarque un déficit d'accolement des cordes vocales en phonation, alors que celles-ci sont par ailleurs mobiles. L'élément essentiel pouvant orienter notre diagnostic est que la toux est efficace. En effet, on observe une adduction complète des cordes vocales lors de cet exercice. Cette atteinte est donc à différencier d'une paralysie récurentielle bilatérale en abduction, car dans ce cas les cordes vocales sont immobiles même à la toux. La réalisation d’un EMG laryngé peut aussi mettre en évidence cette différence. Au terme de la consultation, les résultats de l'examen clinique orientent donc vers une origine psychologique et non vers une atteinte organique du larynx. Il est établi que l'imagerie cérébrale fonctionnelle (IRMf) dans les troubles de conversion peut mettre en évidence une activation anormale des cortex moteur ou sensoriel, ce qui aurait un effet inhibiteur sur l'influx nerveux responsable d'un mouvement ou d'une sensation. Il ne faut donc pas envisager ces patientes comme des simulatrices car une réelle pathologie psychique est présente qui doit être prise en compte pour que le traitement soit efficace.   Prise en charge des aphonies psychogènes   Le traitement le plus communément prescrit reste l'orthophonie. Mais devant l'implication psychologique importante, la psychothérapie est nécessaire. Certaines équipes proposent des thérapies cognitives incluant diverses techniques comme l'imagerie mentale. Les patients doivent s'imaginer en train de compter, parler, chanter « mentalement » afin de réapprendre à reproduire une phonation réelle. Un nouveau traitement est à l'étude : la rTMS (stimulation magnétique répétitive transcrânienne). C'est une méthode non invasive de modulation de l'activité corticale découverte dans les années 1980. Elle consiste en des stimulations magnétiques répétitives de fréquence variable obtenues à l'aide de sondes que l'on applique sur le scalp en regard des régions cérébrales cibles. Les stimulations de fréquence basse (1 Hz) auraient un effet dépolarisant inhibiteur sur la zone de cortex ciblée. On peut donc, dans ce cas, théoriquement réduire l’activité d’une zone de cortex présentant une activation anormale. Notre équipe a publié la première application de cette technique à un cas d'aphonie psychogène. Il s'agissait d'une patiente de 18 ans ayant présenté brutalement une aphonie dans un contexte de conflit psychologique récent. Après près de deux ans de persistance des symptômes sans aucune amélioration par les traitements conventionnels, deux séances de rTMS ont été tentées. La première session appliquée sur le cortex préfrontal fut un échec. Une deuxième session appliquée sur le cortex moteur eu comme effet un retour immédiat à une production vocale normale sans rechute de la pathologie durant toute la durée de suivi (plus d’un an). Ceci n’a pas été interprété comme un effet placebo du fait de l’échec de la première séance, non ciblée, une semaine auparavant. Ce cas clinique ne permet pas de démontrer les vertus de ce nouveau traitement, mais doit faire espérer de son efficacité et conduire à la réalisation d'études randomisées afin de confirmer ou d’infirmer le bénéfice de ce traitement potentiel dans les troubles de conversion à type d'aphonie psychogène.   Conclusion   L'aphonie psychogène est un diagnostic d'élimination qui doit être posé après un examen ORL complet. C'est une pathologie à part entière, dont l'origine psychologique est prouvée et doit être prise en compte dans le traitement. Ces patientes sont atteintes d'un trouble de conversion à ne pas confondre avec une simulation. Un avis psychiatrique est nécessaire pour une prise en charge optimale. Une nouvelle thérapeutique, la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS), est à l'étude pour le traitement de ces aphonies psychogènes et semble prometteuse.

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