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Dermato - Allergo

Publié le 11 jan 2011Lecture 13 min

Conduite à tenir devant une toxidermie

S. QASMI, N. SRIFI, B. HASSAM, Service de dermatologie, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc
Les toxidermies se caractérisent par leur polymorphisme clinique. Le diagnostic positif repose sur un faisceau d’arguments. Leur pronostic est variable ; certaines toxidermies pouvant mettre en jeu le pronostic fonctionnel ou vital et constituent une urgence diagnostique et thérapeutique.  La toxidermie correspond à l’ensemble des manifestations cutanéomuqueuses liées à la prise de médicaments par voie systémique. Ce sont des accidents iatrogènes fréquents et les plus fréquents des effets indésirables des médicaments. Les toxidermies sont plus fréquentes chez les femmes et les sujets âgés, volontiers polymédicamentés (1). La notification de ces incidents aux centres de pharmacovigilance est indispensable.
Démarche diagnostique (2) Diagnostic de gravité et prise en charge immédiate L’évaluation de la gravité de l’accident toxidermique est la première étape de la prise en charge. Cette évaluation comprend les étapes suivantes à la recherche de signes de gravité : • Signes généraux. Prise de la tension artérielle, évaluation de la fréquence respiratoire, du pouls, la température et l’état de conscience : rechercher une dyspnée sévère, une dysphonie, des signes de choc ; • Signes cutanés : – existence d’un décollement cutané : signe de Nikolsky positif ; – purpura, nécrose ; – diffusion rapide de l’érythème ; – infiltration des lésions (oedème) ; – douleurs cutanées ou muqueuses. Ces symptômes imposent une hospitalisation en unité de soins intensifs, un arrêt du ou des médicaments, et la mise en route de mesures thérapeutiques et de soins : – oxygénothérapie, intubation, trachéotomie ; – remplissage par le biais d’une voie veineuse périphérique ; – recours à l’adrénaline et aux drogues vasoactives ; – prévention des infections : soins locaux, gants, casaque, chambres stériles ; – réchauffement : élévation de la température extérieure à 30-32°C, bains chauds ; – soins oculaires : collyres antiseptiques et ablation régulière des brides conjonctivales ; – bains de bouche, antisepsie anogénitale ; – apports nutritionnels hypercaloriques et hyperprotidiques ; – autres : héparinothérapie, pansements gastriques, aspirations bronchiques, antalgiques, anxiolytiques, etc.   Diagnostic positif  L’anamnèse précisera l’âge, le sexe, la profession du patient, ses antécédents et les circonstances de l’accident. • Les antécédents : – préciser une notion de prise médicamenteuse : date de début et d’arrêt de prescription sans omettre les prises « oubliées » (antalgiques, antigrippaux, plantes médicinales), schéma chronologique ; – rechercher des tares associées ; – rechercher des facteurs favorisants : associations médicamenteuses, infection par le VIH, une leucémie lymphoïde chronique ; – antécédents personnel ou familial de toxidermie. • L’histoire de la maladie doit préciser la date de début des symptômes, le mode de début, le siège initial de l’éruption, les signes fonctionnels (difficultés d’alimentation, dysphagie, hypersialorrhée, hématémèse, prurit, douleur, sensation de tension, photophobie, anxiété), les signes généraux associés (asthénie, fièvre) et le mode évolutif.    L’examen clinique dermatologique s’attache à décrire la ou les lésions élémentaires (macule, papule, vésicule, pustule, purpura, bulle, oedème), le siège et l’étendue de l’éruption, l’existence d’un signe de Nikolsky, sans oublier de rechercher une atteinte muqueuse (buccale, génitale, oculaire) à type d’érosions, de bulles ou de croûtes. Le reste de l’examen clinique précisera l’existence éventuelle de signes de choc (polypnée, tachycardie), d’une fièvre, d’un ictère, d’une polyadénopathie, d’une hépatomégalie ou d’une splénomégalie.    Place des examens complémentaires La biopsie cutanée est obligatoire. Elle a un intérêt médicolégal. Une numération formule sanguine, un dosage des IgE spécifiques, un bilan hépatique, un bilan rénal ainsi qu’une radiographie pulmonaire et un électrocardiogramme peuvent être réalisés. Des tests épicutanés pourront aussi être proposés à distance de l’éruption(3). La biopsie cutanée est obligatoire et a un intérêt médico-légal.   Diagnostic de cause Cette étape consiste à rechercher un lien de causalité entre la prise médicamenteuse et les manifestations cliniques observées. C’est une démarche de type probabiliste qui repose sur l’évaluation de : – l’imputabilité extrinsèque, basée sur les données bibliographiques disponibles concernant des incidents similaires ; – l’imputabilité intrinsèque, qui repose sur des critères chronologiques et sémiologiques.  Critères chronologiques – Il existe des délais suggestifs pour chaque type de toxidermie entre la prise médicamenteuse et l’apparition des manifestations cliniques ; – l’évolution favorable après arrêt du médicament ; – la réapparition des mêmes symptômes en cas de réadministration du médicament (cette réadministration étant habituellement accidentelle). La combinaison de 3 critères, délai, évolution, réintroduction, permet d’aboutir à une imputabilité chronologique.    Critères sémiologiques Il reposent sur : – la sémiologie de l’accident ; – l’existence de facteurs favorisants éventuels (à type d’immunodépression, de leucémie) ; – la possibilité d’autres étiologies non médicamenteuses pouvant expliquer cette symptomatologie ; – les résultats des examens complémentaires. En cas d’imputabilité intrinsèque identique pour plusieurs médicaments, c’est l’imputabilité extrinsèque qui tranche.   Principaux tableaux cliniques (4-6) Syndromes de Stevens- Johnson (SSJ) et de Lyell Ces formes, dues à une nécrose des kératinocytes par apoptose, sont les toxidermies les plus graves. Leur incidence est de 1 à 2 cas/million d’habitants/an. Il existe un continuum entre le syndrome de Stevens-Johnson (SSJ) et le syndrome de Lyell, qui ne sont distingués que par la surface corporelle (SC) atteinte : < 10 % au cours du SSJ et > 30 % au cours du Lyell. • Les prodromes surviennent 1 à 2 semaines après la prise médicamenteuse : – fièvre, syndrome pseudo-grippal, pharyngite, conjonctivite ; – éruption maculo-papuleuse ; – macules arrondies à centre foncé, parfois purpurique à type de « cocardes atypiques ». Les lésions siègent au niveau du tronc et des racines des membres. Elles s’étendent rapidement par confluence, en 2 à 3 jours, pour réaliser un érythème diffus. • À la phase d’état, on observe des bulles, des cocardes recouvrant moins de 10 % de la SC dans le SSJ ou confluentes recouvrant plus de 30 % avec des décollements réalisant l’aspect typique de linge mouillé dans le Lyell. Le signe de Nikolsky met à nu un derme rouge sombre suintant. L’étendue finale du décollement est imprévisible allant de 30 à 100 % de la SC. Un érythème palmoplantaire douloureux oedémateux est habituel. • Les muqueuses ne sont pas épargnées : – oropharynx : érosions douloureuses, lésions croûteuses des lèvres « croûtes fumigineuses » avec une hypersialorrhée et difficulté d’alimentation ; – oculaires : synéchies entre les paupières et la conjonctive, kératite, syndrome sec ; – génitales : érosions vulvaire et vaginale responsables de douleurs, de brûlures. • On recherchera des lésions viscérales (processus de destruction de l’épithélium) : – digestives : dysphagie, hématémèse, vomissements de boudins muqueux si atteinte oesophagienne ; diarrhée aqueuse ou sanglante avec élimination de boudins muqueux si atteinte intestinale ; – hépatiques, avec cytolyse, pancréatite, dysrégulation glycémique ; – pulmonaires : oedème pulmonaire et surinfections. • L’histologie met en évidence une nécrose épidermique et a un intérêt médico-légal. • La biologie peut montrer une leucopénie, des troubles hydroélectrolytiques, une cytolyse, une dysrégulation glycémie, une hypophosphorémie. • Diagnostic différentiel : – le SSJ peut prêter à confusion avec un érythème polymorphe ; – le syndrome de Lyell peut être confondu avec une nécrolyse épidermique staphylococcique, une brûlure, une dermatose bulleuse auto-immune. • Évolution : le décès survient dans 30 % des cas, souvent suite à une surinfection. Ailleurs, la guérison est obtenue en moyenne au bout de 4 semaines au prix parfois de séquelles notamment cornéennes.   Syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse Le délai d’apparition du syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse ou Drug Reaction With Eosinophilia and Systemic Symptoms (DRESS) est plus long, en moyenne 2 à 6 semaines après la prise médicamenteuse. Le début est brutal avec l’apparition d’une éruption maculopapuleuse étendue, parfois érythrodermie infiltrée, souvent accompagnée d’un oedème du visage et du cou. L’éruption est parfois initialement parsemée de pustules. Le prurit est sévère. L’examen clinique mettra en évidence un énanthème, une polyadénopathie douloureuse, une hépatomégalie, une splénomégalie. Il s’accompagne de fièvre et d’une altération de l’état général. L’atteinte viscérale est parfois grave : hépatite cytolytique, pneumopathie interstitielle, néphropathie interstitielle avec insuffisance rénale aiguë, myocardite. La biologie montre une hyperéosinophilie (souvent > 1 500/mm3, mais parfois retardée) et souvent une lymphocytose avec syndrome mononucléosique et parfois des atypies cellulaires. Le rôle de l’HHV6 a été évoqué par certains auteurs, mais est encore controversé. L’histologie montre un infiltrat lymphocytaire périvasculaire, parfois dense, voire épidermotrope avec parfois des atypies cellulaires. L’évolution est fatale dans 10 % des cas (hépatite+++). La guérison est lente (en 30 jours). Il existe des formes sévères, prolongées. Des poussées et rechutes plusieurs semaines après arrêt du traitement ont été rapportées. Les médicaments les plus souvent en cause sont les anticomitiaux, l’allopurinol, les sulfamides, la minocycline.   Pustuloses exanthématiques aiguës généralisées (PEAG) Le délai de survenue est de 1 à 4 jours après la prise médicamenteuse. Le début est brutal, avec une fièvre élevée plus ou moins associée à une altération de l’état général, et apparition d’un érythème en nappe, oedémateux, prédominant au niveau des grands plis (aisselles, aines, etc.). En quelques heures, les placards érythémato-oedémateux se recouvrent de nombreuses pustules, non folliculaires, de petite taille (< 5 mm) à contenu lactescent. Par endroits, les pustules confluent avec décollement épidermique superficiel. Il existe une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles. Les cultures des prélèvements pustuleux sont négatives. L’histologie montre des pustules sous la couche cornée ou intraépidermique, spongiforme, avec parfois nécrose kératinocytaire. Le principal diagnostic différentiel est le psoriasis pustuleux. L’évolution est généralement favorable en moins de 15 jours avec desquamation diffuse. Les traitements en cause sont la pénicilline A, les macrolides, la carbamazépine, les inhibiteurs calciques.   Angio-oedème (oedème de Quincke) et choc anaphylactique Il s’agit d’un oedème dermique et hypodermique ferme, pâle, non prurigineux, apparaissant en quelques minutes à quelques heures, avec sensation de tension. Le pronostic vital est en jeu en cas de localisation pharyngolaryngée avec détresse respiratoire aiguë ou choc anaphylactique. Les médicaments les plus fréquemment responsables sont les pénicillines, les IEC, les antagonistes de l’angiotensine II, les produits de contraste iodés, les anesthésiques généraux, l’aspirine, les sérums et vaccins. Les explorations comprennent le dosage des IgE spécifiques, les prick-tests, l’intradermoréaction.   Exanthème maculopapuleux Il s’agit de la forme la plus fréquente de toxidermie. Il débute sur le tronc ou la racine des membres 4 à 14 jours après le début du traitement (« érythème du 9e jour ») et peut s’étendre progressivement en quelques jours. Les lésions sont polymorphes : macules de taille variable pouvant confluer en larges placards scarlatiniformes ou morbilliformes, papules, lésions purpuriques isolées. Le prurit est fréquent. On n’observe pas d’atteinte des muqueuses buccales ou génitales. L’éruption dure habituellement moins d’une semaine, laissant parfois place à une fine desquamation. Il faut discuter un rash viral ou le début d’une toxidermie grave.   Urticaire Le délai de survenue est de quelques minutes à quelques heures. Il n’y a pas de spécificité sémiologique par rapport à une urticaire superficielle d’autre étiologie.   Érythème pigmenté fixe (EPF) Le début, moins de 48 heures après la prise médicamenteuse responsable, est brutal, avec prurit et brûlures localisées. On observe 1 à 10 plaques érythémateuses, arrondies, de quelques centimètres, érythémato-violacées ou brunes, oedémateuses, parfois vésiculeuses ou bulleuses. Elles disparaissent en quelques jours laissant place à des plaques pigmentées brunes ou ardoisées, mais récidivent aux mêmes sites si le médicament inducteur est réintroduit.   Photosensibilité L’anamnèse révèle la survenue des lésions dans les heures suivant une exposition solaire. Les lésions sont localisées aux zones découvertes. On distingue deux types de réactions : phototoxicité ou photoallergie. Les médicaments inducteurs sont les AINS, les sulfamides, les thiazidiques.   Autres toxidermies (7 -10) D’autres formes de toxidermies ont été décrites : – vasculites d’hypersensibilité ; – érythème annulaire ; – éruption lichénoïde ; – pseudoporphyrie ; – pseudolymphomes ; – autres dermatoses (acné, psoriasis, pemphigus, lupus, sclérodermie, dermatomyosite) ; – syndrome Babouin : SDRIFE (Symmetrical Drug-Related Intertriginous and Flexural Exanthema) ; – réactions d’hypersensibilité retardée ou nécrose aux sites d’injection des héparines ; – halogénides ; – syndrome mains-pieds.   Traitement (6,12,11) Les objectifs immédiats sont de juguler l’urgence vitale et d’arrêter le médicament inducteur, puis de stopper la progression de la toxidermie, et enfin de prévenir les complications et les séquelles, d’éduquer et de sensibiliser le patient.  Dans tous les cas • Interrompre tous les médicaments incriminés, les remplacer par une classe différente, si le traitement est indispensable. • Traitement local : – bains quotidiens ; bains de bouche pour les lésions muqueuses ; – soins locaux par antiseptiques ou antibiotiques si lésions surinfectées ; – émollients pour les lésions sèches ; – larmes artificielles, collyres antiseptiques pour l’atteinte oculaire ; – alimentation liquide. • Informer le patient de ne pas jeter les médicaments suspects et de les conserver jusqu’au bilan ultérieur. • Remettre au patient une carte mentionnant la DCI du médicament suspecté + les classes médicamenteuses apparentées interdites jusqu’à un éventuel bilan.    En cas de toxidermies bénignes : soins locaux et antihistaminiques si prurit.  En cas de toxidermies graves : – hospitalisation en USI, PEC urgente ; – traitement symptomatique et mise en condition ; – parfois corticothérapie systémique (0,5 à 1 mg/kg/j) ou injectable dans les formes graves ; – immunosuppresseurs ou immunoglobulines par voie veineuse selon certains auteurs ; – adrénaline en cas de choc anaphylactique.     Prise en charge ultérieure : – déclarer tout accident iatrogène grave ou inattendu au centre régional de pharmacovigilance ; – programmer si possible un bilan dermato-allergologique dans un centre spécialisé dans les tests cutanés médicamenteux, dans les 6 mois qui suivent ; – si le médicament est indispensable, programmer une désensibilisation dans un centre spécialisé à distance de la poussée actuelle.   Prévention  Primaire Elle repose sur la législation en vigueur pour la vente des médicaments. Il faut sensibiliser les patients par rapport aux risques de l’automédication.    Secondaire Elle repose sur plusieurs précautions : – prémédication avant certaines explorations (par exemple avant injection de produits de contraste) ; – éviter les allergies croisées ; – délivrer un carnet d’allergie au patient ; – contre-indication relative appliquée aux autres membres de la famille ; – notification (pharmacovigilance).  Tertiaire Prévenir les séquelles dans les toxidermies graves.  

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