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Dermato - Allergo

Publié le 10 juin 2012Lecture 9 min

Allergie aux piqûres d’hyménoptères : à propos d'un cas

P. MOLKHOU, Chargé d’enseignement, Université René Descartes ; Ancien consultant à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul
Monsieur B..., 40 ans, ingénieur à Saclay, est un apiculteur amateur depuis quelques années. Il a présenté à maintes reprises des réactions de plus en plus désagréables lorsqu’il s’occupe de ses ruches dans son jardin, ce qui motive une consultation chez un allergologue hospitalier...
Illustration : Apis mellifera Ce patient en bonne santé nous décrit avec beaucoup de détails son activité d’apiculteur amateur auprès de plusieurs ruches et les réactions désagréables de plus en plus fréquentes avec l’apparition d’une urticaire d’abord localisée puis atteignant plusieurs parties du corps et d’une fatigue l’obligeant à réduire son activité. Un bilan complet sur le plan clinique, cardiologique et biologique est alors entrepris. Les tests cutanés en intradermique à la plus faible concentration sont effectués avec du venin d’abeille, de guêpe Vespula et Polistes. Seule l’intradermoréaction à l’abeille est très positive avec pseudopodes (dilution de 10-3 μg/ml). En revanche, le dosage des IgE spécifiques par la méthode du RAST est négatif, même après contrôle. La tryptasémie n’avait pas été mesurée à l’époque. Ce résultat bien qu’inhabituel nous indique que ce patient, pour éviter une aggravation de ces réactions, mérite de bénéficier d’une désensibilisation avec le venin d’abeille. Cette proposition n’est pas acceptée par notre apiculteur amateur qui nous propose de venir à l’hôpital avec ses abeilles pour se faire piquer. Cette proposition après réflexion avec notre équipe est acceptée avec le consentement écrit par notre patient, étant donné l’existence de tests de provocation admis dans des pays anglo-saxons et aux Pays-Bas (1). Rendez-vous est donc pris avec le service de réanimation pour la réalisation de ce test de provocation et avec une organisation comportant la pose d’un cathéter, la présence permanente d’un médecin pour surveiller les premiers signes cliniques et la tension artérielle. Le patient est surveillé pendant 3 heures sans la moindre réaction après la piqûre d’abeille qui n’a entraîné qu’une large papule avec érythème et pseudopodes identiques au test cutané pratiqué lors de notre première consultation. Au bout de cette période, nous décidons de libérer notre patient en lui demandant de rester au repos chez lui pendant 24 heures et nous tenir au courant des suites de l’évolution pendant les jours suivants. Aucun signe ne fut noté par M. Bath… et rendez- vous fut donc pris un mois après pour vérifier le taux de ses IgE spécifiques à l’abeille qui, fait troublant, était resté négatif. Une nouvelle proposition de désensibilisation fut refusée, malgré notre insistance, par notre patient étant donné la négativité du test de provocation. En revanche, il insista pour un nouvel essai de provocation, ce qui fut de nouveau accepté par notre équipe, avec cependant une certaine réserve, compte tenu du risque éventuel d’une réaction explosive. Toutes les mesures de précaution appliquées pour le premier test de provocation furent de nouveau respectées et même renforcées en prévenant le service de réanimation de se tenir prêt au moment de la piqûre. Ces mesures furent salvatrices pour notre patient, car dans les premières secondes suivant la piqûre, notre apiculteur arracha sa cravate, se cyanosa avec une respiration bloquée et une tension artérielle effondrée. L’injection immédiate d’adrénaline nous permit d’éviter le pire et son transport sur-le-champ dans le service de réanimation prévenu rétablit, avec la mise en route du traitement d’urgence du choc anaphylactique, l’état préoccupant du départ avec un retour à la normale dans les heures qui suivirent avec une surveillance hospitalière très étroite pendant 72 heures, puis un retour à son domicile. Les suites de cet accident gravissime n’ont laissé aucune séquelle, mais ont suscité par contre un certain nombre de critiques et d’interrogations des réanimateurs qui ne voyaient pas l’intérêt de ce test de provocation. Lors de la réunion consacrée à cet événement, nous avons attiré l’attention de nos collègues en insistant sur le fait que ce test responsable du choc anaphylactique avait sauvé la vie de notre patient, qui aurait repris ses activités d’apiculteur dans son jardin et serait mort sans aucune assistance. Cet argument ne fut d’ailleurs pas contesté. Un mois après l’accident, notre patient est venu de lui-même demander une désenbilisation avec le venin d’abeille ce qui fut entrepris pendant 5 ans sans aucune réaction en utilisant une technique « semi-rush ». La surveillance biologique nous permit d’assister dans un premier temps à une montée régulière du taux des IgE spécifiques, puis à une descente progressive du taux des IgE spécifiques sans toutefois se négativer ce qui est la règle habituelle. M. Bath a pu retourner, après la dose d’entretien de 100 μg au bout de 4 semaines dans son jardin muni d’une trousse d’urgence sans rencontrer le moindre ennui.   Commentaires Cette observation ancienne demande de revenir sur un certain nombre d’éléments qui méritent réflexion. L’histoire de l’allergologie remonte à la description clinique du choc anaphylactique analysé pour la première fois en 1765 par un médecin généraliste français, le docteur Desbrets, conseiller du Roi, docteur en médecine de la Faculté Royale de Montpellier (2). « Il s’agissait d’une piqûre provoquée par une abeille et entraînant la mort en quelques minutes, chez un jardinier qui avait été piqué deux fois antérieurement par des abeilles et qui chaque fois s’était évanoui. » Cette observation du choc anaphylactique contenait l’essentiel : la piqûre fatale, la sensibilisation antérieure avec réactions systémiques graves et enfin le décès en quelques minutes dans une forme hémorragique. Mais ce n’est qu’en 1914 que le choc anaphylactique après piqûre d’hyménoptère fut reconnu après la publication de Waterhouse (2) qui était au courant des travaux de Portier et Richet (Prix Nobel de médecine en 1913).  Figure 3. La fixation des allergènes du venin sur les IgE à la surface des mastocytes. L’histoire de notre patient fait état de réactions allergiques de plus en plus importantes associant la peau, avec une urticaire au début localisée au niveau des piqûres puis disséminée sur le corps avec de larges plaques et une fatigue générale angoissante (2). De cette observation, nous retiendrons la discordance entre les tests cutanés positifs au venin d’abeille et le taux négatifs des IgE spécifiques, ce qui a été signalé dans plusieurs publications (3-7). Dans les études des auteurs cités, c’est le test cutané positif chez un sujet ayant présenté des réactions générales qui est l’indication d’une immunothérapie, alors que le taux des IgE spécifiques peut être négatif dans 15 à 20 % des cas. Il est utile de rappeler que le test de provocation par piqûre a été un outil important dans l’amélioration des connaissances sur l’allergie aux piqûres d’insectes dues aux hyménoptères. Alors que quelques centres européens ont été par le passé partisans de leur utilisation comme un test diagnostique de routine pour la sélection des patients nécessitant une immunothérapie aux venins, cette pratique a été abandonnée en raison de la faible reproductibilité du test. Son utilisation dans des études récentes est aussi discutée, en insistant sur les implications liées à la variabilité du test (8). Plusieurs études ont essayé de quantifier le risque de récidive de réaction anaphylactique aux piqûres d’hyménoptères dans des situations cliniques variables, sur la base du résultat d’un seul test de provocation par piqûre. Beaucoup de ces études ont été conduites sur de petits groupes de patients, et doivent donc être interprétées avec précaution. Cette attitude a été critiquée, d’abord pour des raisons éthiques en raison, d’une part, de la gravité potentielle des récidives cliniques et, d’autre part, pour la raison qui ressort de cette revue : le manque de reproductibilité du test réaliste ; autrement dit, une piqûre provoquée bien tolérée ne préjuge pas de l’évolution après une piqûre spontanée ultérieure. Alors que le test de provocation par piqûre avec un insecte vivant est toujours le meilleur test disponible pour affirmer la réactivité clinique aux venins d’insectes, la reproductibilité en est modeste. L’évolution après piqûre provoquée unique chez un patient donné devrait donc être interprétée avec précaution, à la fois en pratique clinique et dans le domaine de la recherche. Depuis plus de 20 ans, on sait que le risque de récidive clinique n’est pas systématique après une piqûre spontanée, de l’ordre de 50 à 60 %. Pour la décision individuelle de traitement, le test de provocation réaliste ne peut donc pas servir de « gold standard » en raison de son manque de reproductibilité, et les indications thérapeutiques doivent continuer à être prises sur les critères classiques : éléments cliniques, âge, gravité de la réaction, facteurs de risque, résultats des tests cutanés et éventuellement du dosage des IgE spécifiques. Les recommandations internationales, et notamment européennes, ne disent pas autre chose. Malgré leur ancienneté (18 ans), rien n’est venu à ce jour les contredire (8).   Conclusion Cette observation ancienne nous a permis de revoir l’histoire naturelle de l’allergie aux piqûres d’hyménoptères dont les réactions sont quelquefois imprévisibles, comme ce fut le cas pour notre patient, en insistant sur le danger du test de provocation qui est encore utilisé dans certains pays.

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