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Allergie alimentaire

Publié le 10 déc 2019Lecture 9 min

Allergies aux produits de la mer

Habib CHABANE, Paris

Les produits de la mer désignent les animaux marins consommés par l’homme, comme les poissons, mammifères, fruits de mer (mollusques, crustacés, oursins, etc.), ainsi que les algues et plantes marines. Les produits de la mer sont obtenus par la pêche et la récolte des produits de la mer sauvages. De nos jours, ceux-ci sont aussi obtenus par divers procédés de mariculture : pisciculture (élevage des poissons), pénéiculture et astaciculture (élevage de crustacés), conchyliculture (élevage de coquillages), ostréiculture (élevage des huitres), mytiliculture (élevage de moules), algoculture (culture d’algues marines).

Les produits de la mer sont une ressource nutritionnelle importante dans beaucoup de régions du globe. Les produits dérivés sont utilisés dans l’alimentation, comme le surimi issu de la chair de poisson reconstituée, les œufs (œufs de lumpe, caviar) ou la peau (gélatine). D’autres dérivés ont des applications diététiques (oméga-3) ou pharmaceutiques comme le sperme de saumon (protamine), le foie de morue (huile), les carapaces de crustacés (chitine et chitosan) et des applications cosmétiques (collagène, chitine, chitosan, huiles, etc.). Comme d’autres protéines animales, les allergènes des produits de la mer sont responsables d’allergies alimentaires, respiratoires, professionnelles et médicamenteuse. Épidémiologie L’allergie au poisson concerne 0,1 à 3 % de la population générale(2). Elle est plus importante dans les pays à forte consommation de poissons comme le Japon, les pays scandinaves et l’Espagne(3). En France, les données du Réseau d’allergo-vigilance (RAV) placent le poisson au 6e rang des allergènes responsables d’anaphylaxies modérées à sévères avant l’âge de 15 ans et au 13e rang après cet âge, avec une fréquence respective de 4,3 % et 1,9 % des anaphylaxies par allergies alimentaires déclarées au RAV en 2007(4). Le terrain atopique favorise aussi la sensibilisation au poisson, laquelle s’accompagne souvent d’un eczéma atopique. En France, chez l’adulte, les crustacés sont la première cause d’anaphylaxie parmi les allergènes d’origine animale (10 % des déclarations au RAV), probablement du fait des habitudes alimentaires, bien que l’allergie puisse se voir dès l’enfance. Elle est plus fréquente dans les populations d’Asie du sud-est où la consommation est plus importante dès la petite enfance(5). L’allergie aux crustacés est souvent associée à une réactivité aux acariens (prick tests et IgE spécifiques positifs) par réaction croisée à la tropomyosine. L’anaphylaxie aux mollusques est rare en France et concerne essentiellement les noix de Saint-Jacques. L’allergie IgEdépendante aux autres bivalves (palourdes, moules, huîtres, etc.) et escargots marins (bulots, bigorneaux, etc.), aux oursins, est plus rare(4). L’allergie aux algues marines existe, mais est peu documentée. Les manifestations non IgE-dépendantes de type entérocolite et œsophagite à éosinophiles aux produits de la mer sont probablement sous-estimées en France. Manifestations cliniques Les réactions allergiques immédiates (urticaire, angiœdème, bronchospasme, choc anaphylactique) apparaissent suite à l’ingestion, mais parfois aussi par l’inhalation de vapeurs de cuisson de poisson et crustacés responsables de rhino-conjonctivites et d’asthme. De plus en plus de réactions allergiques de type syndrome d’entérocolite, induites par les protéines alimentaires (SEIPA) de poissons et crustacés, sont décrites chez l’enfant. Il s’agit de manifestations digestives débutant par des vomissements, parfois incœrcibles, une à six heures après l’ingestion, accompagnées par un état de fatigue intense et dans la moitié des cas par une diarrhée. La gravité de ces symptômes peut mener à un état de choc hypovolémique, mais il n’y a jamais de manifestation cutanée(6). Chez l’adulte le SEIPA est plus fréquent avec les huîtres. Les poissons et crustacés sont aussi responsables d’œsophagites à éosinophiles. Les produits de la mer sont parfois responsables de pathologies professionnelles. Il s’agit de dermites de contact aux protéines, surtout provoquées par les poissons, les crustacés et leurs dérivés(7). Il peut aussi s’agir de rhino-conjonctivite et d’asthme professionnel liés à l’inhalation d’allergènes aéroportés(8). Les fausses allergies aux poissons Outre les « vraies » réactions allergiques alimentaires IgEdépendantes, certains poissons peuvent être à l’origine de « fausses » allergies alimentaires car leur chair peut être anormalement riche en histamine en raison de la rupture de la chaîne de froid, provoquant chez le consommateur des symptômes de type urticaire, nausées, vomissements, troubles intestinaux, céphalées dans les minutes et jusqu’à 2 heures après l’ingestion. Cette intoxication à l’histamine ou scombroïdose, qui se voit surtout avec les poissons de la famille de scombéroïdes (thon, bonite, maquereau, sardines, etc.) ne se reproduit pas lors de la consommation de poisson n’ayant pas subi d’avarie lors de sa conservation(9). La norme sanitaire européenne (CE 2073/2005) prévoit que la teneur en histamine de la chair de poisson doit être inférieure à 200 mg/kg. La ciguatéra est une autre intoxication neurodigestive (ichtyosarcotoxisme) provoquée par une microalgue (Gambierdiscus toxicus) contaminant principalement les poissons des récifs tropicaux et coralliens, d’évolution bénigne, pouvant nécessiter une hospitalisation dans les cas d’atteintes cardiaques et/ou neurologiques(10). Les fausses réactions allergiques aux poissons peuvent être liées à la sensibilisation aux allergènes d’Anisakis simplex, parasite du poisson. L’ingestion de poisson contaminé par le parasite vivant est responsable de gastrite apparaissant 1 à 12 heures après ingestion, de douleurs abdominales pseudo-ulcéreuses, de nausées, vomissements et/ou diarrhées. L’évolution peut durer quelques jours à quelques semaines. Le diagnostic peut être établi lors d’une fibroscopie en urgence qui montre une ou plusieurs larves (larves L3) dans la paroi gastrique. Les symptômes peuvent être plus tardifs, apparaissant entre 12 heures et 5 jours après l’infestation, par des nausées, des vomissements, des douleurs abdominales et un tableau d’abdomen chirurgical aigu mimant une appendicite aiguë(11). Dans les formes iléales basses ou coliques, les symptômes peuvent mimer une maladie de Crohn. Dans tous les cas, il y a un risque de complication par occlusion liée à la formation de granulome inflammatoire à éosinophile dans la paroi de l’intestin grêle. L’anisakiose gastroallergique est une forme mixte débutant par une gastrite à Anisakis dans les 3 premières heures (vomissements, crampes abdominales…), suivie par l’apparition de manifestations d’urticaire et /ou angiœdème environ 5 heures après la consommation de poisson contaminé cru ou peu cuit. Dans les pays à forte endémie, la sensibilisation à Anisakis s. est fréquemment retrouvée au cours de l’urticaire chronique(11). Les allergènes de poissions et crustacés Plusieurs allergènes de poissons (morue, thon, hareng, sole, saumon, carpe, tilapia, etc.) et crustacés (crevettes, crabe), mollusques (calamar, huître, ormeau) ont été identifiés. Seuls quelques allergènes moléculaires (morue, carpe et crevette) sont disponibles en routine (tableau). Les parvalbumines bêta de morue (Gad c 1) et de carpe (Cyp c 1), ainsi que la tropomyosine de crevette (Pen a 1) sont disponibles en dosage unitaire. D’autres allergènes comme l’arginine kinase (Pen m 2) et la protéine sarcoplasmique de liaison au calcium de la crevette (Pen m 4) ne sont disponibles que sur la biopuce ISAC. Il existe une réactivité croisée entre les différentes espèces de poisson par le biais de parvalbumines. Cependant, l’IgE-réactivité peut varier chez certains patients en fonction de l’espèce de poisson. Ces particularités cliniques pourraient être dues à la spécificité de certaines parvalbumines (saumon) ou une concentration variable en parvalbumine dans les différents poissons(1). Le contenu en parvalbumine est plus élevé vers la tête que vers la queue et plus élevé dans la chair blanche que dans la chair rouge(12). Une moindre allergénicité du thon par rapport à d’autres poissons a été constatée par plusieurs auteurs, notamment pour le thon en boîte(13,14). Les allergènes majeurs sont souvent résistants à la cuisson et responsables de réactivités croisées entre différentes espèces de poissons (parvalbumines) ou de crustacés (tropomyosines)(1,15). Ces réactions croisées peuvent se voir avec des espèces éloignées : poisson-grenouille par le biais des parvalbumines, et crustacés-mollusques-acariensblattes-chironimides par le biais des tropomyosines(15). La tropomyosine (Ore m 4) est un allergène identifié dans le poisson d’eau douce Tilapia (Oreochromis mossambicus) mais non disponible en routine(16). La tropomyosine du parasite du poisson Anisakis s. (Ani s 3) est un allergène somatique non spécifique responsable de réactions croisées avec plusieurs espèces (chironimides, crustacées, acariens, blattes). Seul l’allergène majeur (Ani s 1) qui est excrété par les larves (stade L3) vivantes est spécifique de l’infection par Anisakis s. D’autres allergènes mineurs thermosensibles de poisson peuvent être impliqués dans des réactions croisées avec des espèces éloignées comme l’aldolase impliquée dans la réactivité croisée poisson-poulet récemment décrite(17). Le collagène de poisson est aussi un allergène commun à plusieurs espèces de poissons(15). L’allergène des œufs de poisson est la vitellogénine, mais d’autres allergènes dérivés de celle-ci (lipovitellin et ß’-c) sont également impliqués dans des manifestations anaphylactiques après ingestion de caviar (esturgeon) ou d’autres espèces (béluga, lumpe, morue, saumon, etc.) par réaction croisée(18). Il n’y a pas d’allergie croisée avec la chair de poisson, ni avec l’œuf de poule. Prise en charge de l'allergie aux produits de la mer Le diagnostic de l’allergie IgEdépendante au poisson et crustacés repose sur une histoire clinique concordante et des prick tests positifs (extrait ou aliment natif). La présence d’IgE spécifiques apporte un argument supplémentaire au diagnostic, en particulier lorsque les prick tests ne peuvent pas être effectués ou lorsqu’ils sont douteux. En cas de doute persistant, un test de provocation orale peut être réalisé aussi bien pour les allergies IgE-dépendantes (poissons, crevette) que pour le SEIPA(19). Au cours du SEIPA, allergie non IgEdépendante, les prick tests et les IgE spécifiques sont négatifs dans la forme typique. L’éviction reste à ce jour le seul recours pour prévenir les récidives de manifestations d’allergie IgE ou non IgE dépendante aux poissons, crustacés et autres produits de la mer. Une faible proportion des allergies IgE dépendantes au poisson acquises dans la petite enfance peut disparaître avec l’âge. L’essai clinique d’immunothérapie injectable par voie SC avec des allergènes recombinants modifiés n’a pas montré d’efficacité de ce traitement(20). L’allergie aux crustacés ne constitue pas une contre-indication à l’ITA aux acariens. Le bénéfice risque doit être évalué au cas par cas(21). Les enfants allergiques aux poissons et crustacés peuvent bénéficier d’un projet d’accueil individualisé (PAI) pour leur permettre de fréquenter la cantine scolaire et d’éviter tout risque allergique. Le PAI devra préciser, si cela est connu, la susceptibilité de réaction aux émanations de poissons ou de crustacés et les mesures préventives appropriées. Les allergènes de poissons et de crustacés peuvent être des allergènes masqués dans plusieurs aliments que le patient doit connaître, comme la sauce Nocma, Worcester, César, ou dans la tapenade, qui peuvent en contenir (filtrat de saumure d’anchois). De même, les allergiques avérés à la gélatine de poissons doivent être informés des risques inhérents à la consommation de confiseries contenant de la gélatine de poisson et l’utilisation de gélules ou médicaments lyophilisés contenant de la gélatine de poisson. La monographie de la protamine utilisée pour neutraliser l’héparine en chirurgie cardio-vasculaire met en garde contre le risque possible d’anaphylaxie chez les allergiques au poisson. De même, les compléments alimentaires à base d’oméga 3 de poisson doivent être évités chez les personnes ayant des antécédents d’anaphylaxie au poisson. Conclusion L’allergie aux produits de la mer risque de se développer à l’avenir, car la présence du poisson tend à augmenter dans les produits alimentaires (surimi, garnitures de pizza, gélatine, oméga-3 de poisson, etc.), mais aussi celle d’autres dérivés de crustacés et autres animaux et plantes marines utilisés en cosmétique et en pharmacie. Les outils diagnostiques sont plus développés pour les poissons et crustacés que pour les autres produits de la mer. L’élimination, en l’absence d’autres alternatives, doit être personnalisée, pour éviter les suppressions systématiques inutiles.

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