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Laryngologie

Publié le 19 nov 2018Lecture 8 min

Bilan d’une dysphagie chez l’adulte

Lise CREVIER-BUCHMAN, ORL phoniatre, HEGP, Paris

La dysphagie oropharyngée se réfère à une difficulté ou un inconfort lors de la progression d’un bolus alimentaire de la bouche vers l’œsophage (WHO, International classification of diseases ICD 10 ; R-13)(1). Cet article propose une mise au point sur cette pathologie.

Épidémiologie La dysphagie oropharyngée (DO) a des origines multiples. • Les cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS) et leurs traitements sont une des grandes causes de dysphagie. Les chirurgies oro-pharyngo-laryngées sont directement responsables de troubles de déglutition par exérèse ou modification des structures intervenant dans la déglutition. La radiothérapie entraîne une dysphagie qui peut être soit précoce en rapport avec une mucite, soit plus tardive en raison de la fibrose musculaire induite(2). Ces complications sont accrues si la radiothérapie est combinée à la chimiothérapie et peuvent nécessité la pose d’une alimentation entérale(3). Après traitement d’un cancer des VADS, la dysphagie se stabilise dans 48 % des cas, diminue dans 32 % des cas et s’aggrave dans 20 % des cas(4). • Les chirurgies cervicales et thoraciques, en dehors des cancers des VADS, peuvent également être à l’origine de DO, en cas d’atteinte des nerfs impliqués dans les processus de déglutition et particulièrement le nerf vague et ses branches(5). • Une DO peut également être rencontrée dans un contexte de pathologies neuro-dégénératives, neuro-vasculaires ou neuro-musculaires diffuses(6). • De la presbyphagie à la dysphagie du sujet âgé. La prévalence de la dysphagie chez les sujets âgés est importante en raison de comorbidité, de polymédication et du syndrome gériatrique(7). Elle représente 25 % chez un sujet autonome, habitant chez lui, 51 % chez un sujet en institution et 84 % chez les patients atteints de démence ou de maladie d’Alzheimer. La physiopathologie de cette dysphagie du sujet âgé est liée, d’une part, à une diminution d’efficacité des forces de propulsion et à la sarcopénie et, d’autre part, à une diminution de protection des voies respiratoires par ralentissement de la réponse neurale et désorganisation de la coordination neuromusculaire. Physiopathologie Les phases de déglutition et du contrôle volontaire (8) (schéma) Les phases orale et pharyngée se chevauchent (figure 1). Figure 1. A : phase orale, début de recul de la base de langue. B : propulsion, base de langue contre la paroi pharyngée. C : inversion de l’épiglotte. D : réouverture des voies respiratoires. La biomécanique de la déglutition peut se comprendre comme un système de piston avec une force propulsive où la langue et les parois pharyngées jouent un rôle de piston, et le sphincter supérieur de l’œso phage est une force résistive. Le bolus est transporté activement d’une zone de haute pression vers une zone de basse pression. S’il n’y a pas de zone de haute pression, le bolus sera mal dirigé. Toute perturbation d’une des phases va retentir sur les autres. Les pathologies du tonus musculaires avec hypotonie auront pour conséquence une fuite labiale, des régurgitations vélopharyngées, des risques de pé nétration des voies respiratoires et des stases pharyngées. À l’inverse, une hypertonie va se traduire par un ralentissement des mouvements de déglutition (rigidité et spasticité), un conflit entre relaxation et contraction des muscles antagonistes, une résistance à l’étirement passif et une perte du contrôle de la direction du bolus. Le résultat est une perte du timing et de la coordination entre respiration et déglutition, pouvant avoir de graves conséquences. Les troubles de la déglutition peuvent être responsable de complications sévères comme la malnutrition-dénutrition, des infections respiratoires chroniques, des pneumopathies d’inhalation(9), une augmentation de la morbi-mortalité. Ils sont aussi à l’origine d’altération de la qualité de vie et de la socialisation(10). Enfin, la dysphagie représente un facteur de coût socio- économique non négligeable. Les étapes du bilan Il est important de : – réaliser le dépistage de dysphagie grâce à des tests ayant recours aux échelles d’évaluation (screening) ; – d’établir un bilan clinique et instrumental pour rechercher une cause ; – d’évaluer sa sévérité et son retentissement ; – et d’orienter la prise en charge. L’examen commence par un interrogatoire retraçant les plaintes, le contexte, la durée des repas, la perte de poids, le mode de survenue. Les signes d’alarme sont variés comme la toux, le hemmage lors des repas, une régurgitation nasale, une dysphonie, un blocage alimentaire pharyngé, la sensation d’étouffer, etc. Cette étape permet aussi d’évaluer les fonctions cognitives du patient. Examen clinique systématique, quelle que soit l'étiologie suspectée Bilan des praxies bucco-faciales Ce bilan explore les paires crâniennes (V, VII, IX, X, XII) à la recherche d’un déficit neurologique au niveau des effecteurs : lèvres, langues, joues, mandibules, voile du palais. On explore la sensibilité, la motricité, la rapidité, la force musculaire, la symétrie et la coordination. Les mouvements anormaux comme les myoclonies (surtout post-AVC) ou les fasciculations (dans les SLA ou autre maladie neurodégénérative) sont source de dysphagie. On recherchera des phénomènes de compensation comme les mouvements mandibulaires en cas de paralysie linguale. Bilan instrumental Le patient doit être en position assise, tête légèrement fléchie. • La nasofibroscopie sans anesthésie locale avec enregistrement vidéo pour l’étude anatomique et physiologique. • 1er niveau : le voile du palais et le nasopharynx en demandant de produire les voyelles /a/e/i/ objectivant différents degrés de fermeture vélaire. On recherchera le bourrelet de Passavant et les contractions de la paroi oropharyngée en demandant de déglutir de la salive ; • 2e niveau : le pharyngo-larynx ; constat de stase salivaire (localisation), exploration de la motricité par des gestes tels que sniffer, tousser, racler la gorge (hemmage), produire un glissando (son allant du grave à l’aigu pour visualiser les variations de tensions du larynx et les contractions du pharynx), vérifier la qualité de fermeture du plan glottique et supraglottique, prononcer le mot « crack » pour voir les possibilités de recul de la base de langue. La sensibilité est explorée en touchant l’épiglotte et les aryténoïdes, et s’il n’y a pas de réaction, il faut s’approcher du plan glottique (figure 2). Figure 2. Stases salivaires sur la base de langue et dans les vallécules. • L’exploration de la déglutition avec essai alimentaire : le FEES (Fiberoptic Endoscopic Evaluation of Swallowing) Il est souhaitable de réaliser cette étape à deux, avec une aide qui regarde le déroulement de la phase orale : fuite salivaire, mastication, position et ascension du larynx pendant que le médecin observe le déroulement de la déglutition en endoscopie. Trois consistances devraient être testées (eau plate ou pétillante, eau gélifiée ou crème, biscuit), le bolus étant coloré en bleu. L’observation porte sur le déroulement des différentes étapes de la déglutition : l’efficacité de la propulsion linguale contrôlée sur ordre (y a-t-il une fuite avant l’initiation de la déglutition ?), la progression du bolus (rechercher les lieux de stases valléculaires, pharyngées, sinus piriformes ou de pénétration endolaryngée ou d’aspiration avec franchissement du plan glottique) (figure 3). À la fin de la déglutition, vérifier que tout le bolus est bien parti de la cavité buccale, et demander au patient ce qu’il a ressenti, tout en continuant d’observer les mouvements laryngés lors de la parole, recherchant d’éventuelles mobilisations secondaires de fragments de bolus et de reflux pharyngo-laryngés. Figure 3. FEES : stase du bolus dans les sinus piriformes et pénétration au niveau de la commissure postérieure. • Le bilan de la déglutition peut être complété par un radiocinéma de la déglutition (VFSS, Videofluoroscopic swallow study). Ce dernier consiste en une exploration dynamique de la déglutition, en particulier les mouvements de fermeture vélopharyngée, d’élévation hyo-laryngée, les capacités de contraction pharyngée et d’ouverture du SSO. Cet examen est pratiqué selon la mise à disposition du matériel en radiologie et des habitudes du centre. Il permet de visualiser et de quantifier les fausses routes. Il a des contraintes et des limites, dont le risque d’irradiation non négligeable ne permet pas de répéter l’examen (figure 4). Figure 4. A : vidéofluoroscopie avec posture. B : vidéofluoroscopie sans posture, avec fausse route. Flexion de la tête. • D’autres examens peuvent être prescrits selon l’orientation diagnostique comme la manométrie à haute résolution qui explore le fonctionnement du sphincter supérieur de l’œsophage et l’œsophage, l’ultrason de la langue, l’EMG sous-mentale, l’auscultation cervicale pour explorer les bruits produits par les différents temps de la déglutition. Un bilan nutritionnel et diététique sont souvent complémentaires. Au terme de ce premier bilan, on peut dresser des hypothèses diagnostiques : – d’ordre fonctionnelle sur les mécanismes de la dysphagie, sa sévérité : quelles sont les explorations complémentaires nécessaires ? – d’ordre étiologique sur les probables causes de la dysphagie et leur pronostic ; – d’ordre thérapeutique dans un cadre pluridisciplinaire, nutritionnel, adaptation alimentaire, prise en charge rééducative, etc. La prise en charge est multidisciplinaire Les objectifs sont de rétablir l’efficacité, la sécurité et la satisfaction La prise en charge thérapeutique comprend, outre une adaptation nutritionnelle avec des compléments alimentaires et des modification du bolus (épaississant, viscosité, volume, fractionnement), une prise en charge orthophonique pour mettre en place des stratégies de compensation, de protection des voies respiratoires (postures) et de rééducation des fonctions motrices et des stimulations sensitives et sensorielles (température, goût, texture)(11). L’ hygiène bucco-dentaire ne sera pas négligée. Par ailleurs, selon l’étiologie et les besoins, une prise en charge globale avec kinésithérapie respiratoire et stimulation de la toux, et le recours à un ergothérapeute pour les postures et l’adaptation technique (fauteuil roulant, têtière, minerve, etc.). Cette prise en charge doit prendre en compte la dimension sociale et la recherche de la qualité de vie en s’adaptant aux désirs et volontés du patient dans le respect de l’éthique. En cas de complications graves, passagères ou définitives, une alimentation alternative peut être proposée avec la pose d’une sonde naso-gastrique (si de courte durée < 1 mois) ou une alimentation par sonde de gastrostomie exclusive ou mixte en maintenant une alimentation orale qui, dans ce cas, a vocation de plaisir ou d’exercice mais insuffisante pour subvenir aux besoins nutritionnels. Conclusion La déglutition est une fonction complexe, comprenant une phase orale volontaire et une phase pharyngée réflexe, nécessitant un bon tonus et un contrôle précis de la coordination sensitivo-motrice. L’histoire de la dysphagie est importante dans le processus diagnostique, ainsi que la détection des signes d’alarme. La dysphagie peut être le premier signe de pathologies neuro-dégénératives et met en jeu le pronostic vital mais aussi la qualité de vie du patient. Sa prise en charge a pour but de réduire le risque de fausses routes, de maintenir la nutrition et de redonner le plaisir de manger.

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