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COVID-19

Publié le 29 avr 2020Lecture 5 min

Pourquoi la nicotine protégerait-elle du COVID-19 ?

La rédaction

Tout part d’une donnée observationnelle contre-intuitive. Bien que le SARS-CoV-2 ait un tropisme multiple (respiratoire, digestif, neurologique, rénal, cutané, etc.) l’atteinte des voies aériennes domine souvent le tableau clinique avec, dans les formes graves, un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA).

Tout portait donc à croire que le tabagisme serait un facteur de risque d’infection par le SARS-CoV-2, mais plusieurs études ont montré qu’il n’en est rien. La première publiée dans le NEJM(1) et portant sur 1 099 chinois hospitalisés pour COVID-19 avait constaté que seulement 12,6 % d’entre eux étaient fumeurs alors que cette proportion approche les 30 % dans la population générale de ce pays (50,5 % des hommes, 2,1 % des femmes). L’étude menée à l’APHP(2) dresse le même constat : 4,4 % de fumeurs parmi les 343 patients hospitalisés et âgés en moyenne de 65 ans ; 5,3 % parmi les 139 patients suivis en ambulatoires et âgés en moyenne de 44 ans. Même ajustés pour l’âge et le sexe, le tabac semble avoir un important effet protecteur puisque le taux de fumeurs quotidiens est de 25,4 % en France, soit un taux inférieur de 80 % parmi les patients COVID-19 (80,3 % en ambulatoire et 75,4 % en hospitalisation). Enfin, une étude transversale nord-américaine menée sur 7 162 patients hospitalisés n’a retrouvé que 1,3 % de fumeurs alors qu’ils représentent environ 15 % de la population générale aux États-Unis(3). Ces observations convergent mais quel mécanisme pourrait expliquer un éventuel effet protecteur du tabac vis-à-vis du COVID-19 ? C’est à cette question que se sont attachés à répondre Zahir Amoura (Pitié-Salpêtrière, Paris) et Jean-Pierre Changeux (Collège de France) dans un article très détaillé(4). L’hypothèse des récepteurs nicotinique de l’acétylcholine Atteintes neurologiques, hypoventilation Une action du SARS-CoV-2 sur les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine (nAChR) pourrait, selon les auteurs, rendre compte de plusieurs manifestations cliniques du COVID-19. Il a été montré que les récepteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2), présents dans de nombreux organes (petit intestin, côlon, rein, testicule, encéphale, etc.), représentent la porte d’entrée la plus fréquente du virus dans l’organisme. Des études ont suggéré que la nicotine augmente l’expression et/ou l’activité de la rénine, de l’enzyme de conversion et des récepteurs l’angiotensine 1 (AT1) avec une diminution compensatrice de l’ACE2 et des récepteurs AT2, via la voie ACE2/ANG-(1-7)/récepteurs Mas (MasR). Ces observations suggèrent donc une action régulatrice potentielle de l’acétylcholine sur les ACE2. La fréquence des signes neurologiques dans le COVID-19, notamment l’anosmie, mais aussi les céphalées, voire des altérations de la conscience, laisse à penser que le virus peut coloniser les voies aériennes et/ou l’épithélium olfactif. Comme cela a été montré pour d’autres virus (poliovirus, Herpes simplex, West Nile, virus de la stomatite vésiculaire, Influenza H1N1) le SARS-CoV-2 pourrait se propager de l’épithélium olfactif jusqu’aux neurones réticulaires, puis vers les bulbes olfactifs, les neurones médians du raphé (sérotoninergiques) et la bande diagonale ventrale et horizontale (cholinergique). Le temps de latence décrit avant la survenue d’un SDRA avec pourrait être en rapport la progression du pathogène jusqu’aux centres respiratoires. De plus, il a été montré que les nAChR sont impliqués dans la régulation de la perfusion pulmonaire, elle aussi altérée dans le SDRA au cours du COVID-19. Orage cytokinique Les nAChR pourraient aussi jouer un rôle dans la physiopathologie de l’orage cytokinique rapporté au décours des formes graves de COVID-19. Le système nerveux peut, par l’intermédiaire du vague, inhiber significativement et rapidement la production de cytokines par les macrophages, l’une des cellules les plus abondantes dans les fluides broncho-alvéolaires. Cette voie cholinergique anti-inflammatoire est sous le contrôle auto/paracrine de l’ACh via les nAChR. Une dysfonction des récepteurs nAChR macrophagiques entraîne une production massive d’IL-1, IL-6, TNF et IL-18, un profil semblable à l’orage cytokinique observé dans le COVID-19. Coagulopathie Les nAChR pourraient également participer aux coagulopathies systématiques à l’origine des thromboses artérielles, veineuses et des embolies pulmonaires décrites dans les COVID-19 graves. Le déficit en alpha7-nAChR hématopoïétique pourrait en effet augmenter la réactivité plaquettaire et accroître ainsi le risque thrombotique. Les auteurs relèvent que les antagonistes alpha-7, dont la nicotine, diminuent la production de cytokines par les macrophages et l’inflammation chez des modèles animaux de pancréatites. Pour appuyer encore leur hypothèse, les auteurs décrivent la structure de séquence moléculaire de la protéine S du SARS-CoV-2 qui pourrait expliquer le blocage des récepteurs nAChR par ce virus. De l’observation à l’essai clinique : une leçon de médecine expérimentale Dans le contexte d’une crise où de supposés « éminents » scientifiques et des hommes d’État responsables ont présenté la méthode scientifique comme une entrave au progrès de la médecine, l’argumentation développée dans cet article rappelle opportunément les principes de la méthode expérimentale formulés par Claude Bernard à la fin du XIXe siècle. Partant d’une observation, les auteurs proposent une hypothèse mécanistique fondée sur plus 50 études publiées dans des revues à comité de lecture. Puis, pour confirmer ou infirmer leur hypothèse, ils envisagent un essai clinique répondant aux canons de l’EBM afin de tester l’efficacité des patchs à la nicotine pour prévenir l’infection et/ou la diffusion du virus dans le SNC, chez des patients hospitalisés et en population général. Ils en appellent également à la mise au point de protocoles in vitro visant à mettre en évidence une interaction physique entre le SARS-CoV-2 et les nAChR. Observation, hypothèse, conception d’un essai clinique (on aurait dit une expérience à l’époque de Claude Bernard) : par cette leçon de médecine expérimentale Jean-Pierre Changeux et Zahir Amoura démontrent que même en temps de crise il est possible de mener une recherche respectueuse de la méthode scientifique et des principes éthiques. G. L. Références 1. Guan WJ et al. Clinical characteristics of coronavirus disease in China. N Engl J Med 2020, DOI: 10.1056/NEJMoa2002032 2. Miyara M et al. Low incidence of daily active smokers in patients with symptomatic COVID 19. Qeios 2020, https://doi.org/10.32388/WPP19W.3 3. Farsalinos K et al. Smoking, vaping and hospitalization for COVID-19. Qeios 2020, https://doi.org/10.32388/Z69O8A.13. 4. Changeux JP et al. A nicotinic hypothesis for COVID-19 with preventive and therapeutic implications. Qeios 2020, https://doi.org/10.32388/FXGQSB Avec le soutien institutionnel du laboratoire 

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