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Pneumologie

Publié le 14 juin 2011Lecture 13 min

Pathologies respiratoires liées au travail du goudron et du bitume

J.-F. GEHANNO, Service de médecine du travail et des pathologies professionnelles, CHU de Rouen
La toxicité des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) n’est plus à démontrer. Dans le milieu professionnel, elle concerne particulièrement les personnes qui emploient le goudron et le bitume. En effet, ces produits dégagent du benzo(a)pyrène qui peut être à l’origine de pathologies telles que des cancers ORL, de l’oesophage, voire de BPCO.
Goudrons, bitumes, asphaltes… En préambule, un rappel sémantique est nécessaire, en raison de la confusion fréquente entre les termes (1). Les goudrons sont des produits issus de poix modifiée de résineux, produits par distillation. Ils sont composés de centaines de substances chimiques, dont certaines sont cancérigènes, dont les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). On peut obtenir du goudron à partir de nombreux résineux, mais le principal goudron utilisé dans le monde occidental a été le goudron de pin, issu de la distillation de bois et des racines de pin. Sa principale utilisation était dans le passé la préservation du bois des bateaux contre la pourriture, jusqu’au développement des vaisseaux en fer et en acier. Le terme «Tar » est un terme générique désignant le liquide obtenu lorsque des matériaux organiques comme le charbon ou le bois sont carbonisés ou distillés en l’absence d’air. On l’utilise comme complément pour nommer le matériel dont il est issu. Le Coal Tar est ainsi issu de la houille. Le bitume est un mélange d’hydrocarbures issus du pétrole, naturellement ou par distillation, et utilisé principalement pour les revêtements routiers, l’étanchéité des toitures et dans des peintures anti-corrosion. Le pétrole résulte lui-même de la compression et de la conversion de matériel organique (végétaux, organismes marins), collecté en général dans des roches poreuses. Les principales zones de production dans le monde sont le Moyen-Orient, la Russie, les Etats-Unis. Les propriétés physiques, et surtout la composition chimique, varient en fonction de la provenance. Dans le langage courant, on confond souvent le goudron avec l’asphalte. Le terme « asphalte » a une signification différente en Europe, où il désigne un mélange de bitume et d’agrégats, souvent du gravier ou du sable, et en Amérique du Nord ou «asphalt» désigne le bitume. Ceci est important dans la lecture et la compréhension des articles publiés. Le macadam est, quant à lui, souvent confondu avec l’asphalte, au sens européen. Le macadam n’est qu’une technique d’empierrement sans goudron ni bitume, développée par l’Écossais John McAdam au XVIIIe siècle. Cette confusion est due à l’invention du tarmacadam, ancêtre des revêtements routiers, qui était fabriqué à l’origine avec du goudron (tar en anglais). Le terme a d’ailleurs donné « tarmac », qui désigne une piste d’atterrissage d’avion. Nous nous intéresserons principalement au bitume, les goudrons n’étant plus ou peu utilisés, et leur toxicité liée aux mêmes composés que les bitumes.   Utilisation du bitume Près de 99 % de l’utilisation du bitume se retrouve dans les travaux de revêtement routier et d’étanchéité de toiture, le reste se répartissant dans l’isolation et les peintures principalement. En France, quelque 3 millions de tonnes de bitume sont répandues chaque année sur les routes, et l’industrie des travaux routiers emploie 75 000 salariés, dont 4200 sont directement concernés par une exposition aux fumées de bitume (2). Les travaux de réalisation des étanchéités de terrasse mettent en oeuvre des bitumes portés à des tempéra tures de 240 °C, alors que les revêtements de chaussée sont plutôt mis en oeuvre entre 130 et 170 °C. La composition du bitume dépend de la composition du pétrole utilisé pour le produire, et des procédés utilisés pour la fabrication (type de distillation et de cracking). Par ailleurs, les produits finis utilisés contiennent de nombreux additifs. Ainsi, le bitume routier contient des polymères de type SBS (styrène, butadiène, styrène), du polyéthylène, des plastomères type EVA (éthil vinyle acétate), des solvants pour faciliter la mise en oeuvre et même du goudron de houille, jusqu’au début des années 80. Enfin, le type de mise en oeuvre, notamment la température d’application, entraîne des expositions différentes des opérateurs. Parmi les produits générés lors de l’utilisation des bitumes, les plus préoccupants sont les HAP. Ce sont des composés formés de 4 à 7 noyaux benzéniques, présents dans l’environnement de travail sous forme gazeuse ou particulaire. Selon le nombre de cycles benzéniques, on parle d’anthracènes (3 cycles), de pyrènes (4 cycles) ou encore de benzopyrènes (5 cycles). Les autres sources d'exposition sont la fumée de tabac, les émanations de moteurs Diesel ou encore l'alimentation (la viande cuite au barbecue est une source non négligeable de HAP). La toxicité individuelle des centaines de HAP n’est qu’imparfaitement connue, à part certains composés comme le benzo(a)pyrène, ou le dibenzo(a,h)anthracène, cancérogènes, mais nombre d’études ont été publiées sur les effets sur l’homme et l’animal d’une exposition à ces mélanges (3). Comme la composition des HAP varie quantitativement et qualitativement en fonction du type de composé et des conditions de mise en oeuvre, nous nous intéresserons aux études concernant les bitumes, en laissant de côté les expositions induites par le tabac ou les fumées de diesels, qui posent des problèmes différents. La pénétration des HAP dans l’organisme passe par deux principales voies, si l’on omet la voie digestive, peu pertinente en milieu professionnel en dehors du fait de manger ou de fumer avec des mains contaminées. La première, et la plus évidente, est la voie respiratoire. Les phases gazeuses et particulaires, c’est-à-dire adsorbées sur des particules carbonées, des HAP ont une très bonne pénétration respiratoire, d’autant plus que les particules générées par la mise en oeuvre des bitumes ont un diamètre en général proche de 3,5 mm, ce qui leur assure un accès aisé aux alvéoles. La seconde est la voie cutanée, beaucoup plus importante que ce que pensent les patients, et les médecins, en général (4,5). Des adduits à l’ADN (produits de réaction entre un produit chimique et l’ADN) sont ainsi retrouvés dans la peau 24 heures après une application unique de bitume ou de coal tar (6). Les HAP sont métabolisés par les isoenzymes du cytochrome P450, présentes dans le foie mais également les voies aériennes, ce qui conduit souvent à la formation de composés époxydes, cancérogènes, comme dans le cas du benzo(a)pyrène. L’intensité de l’exposition des opérateurs dépend de la température de mise en oeuvre, puisqu’une température supérieure accroît l’émission des HAP par le bitume. Elle dépend également du confinement éventuel de la zone d’intervention, un travail en milieu confiné comme dans un parking accroissant notablement l’exposition. Elle dépend enfin des moyens de protection utilisés, comme les masques ou les gants. Il faut toutefois reconnaître que les masques sont rarement utilisés, notamment en raison de leur inconfort dans ces travaux en ambiance chaude, et que les gants sont plus destinés à éviter les brûlures qu’à protéger contre les produits chimiques dans ces métiers. L’évaluation des expositions aux HAP passe par des mesures atmosphériques des phases gazeuses et particulaires et à la mesure dans les urines de métabolites, tels que le 1-hydoxypyrène.   Les effets sur les voies aériennes de l’exposition aux bitumes sont aigus et chroniques Effets aigus En exposition aiguë, les HAP sont globalement peu toxiques. L’irritation des muqueuses conjonctivales et des voies aériennes supérieures a été rapportée dans de nombreuses études (3). Elle est liée aux hydrocarbures, aromatiques mais également aliphatiques, émis par le bitume. Elle peut se doubler d’une irritation cutanée, non liée à une brûlure induite par le bitume en lui-même, chauffé entre 130 et 230 °C rappelons-le, mais liée à l’effet solvant des hydrocarbures. Une photosensibilisation liée à certains HAP est parfois observée.   Effets chroniques Des effets chroniques, en particulier cancérogènes, sont à redouter. La cancérogénicité chez l’homme des HAP est connue depuis plus de 200 ans, puisque la description du cancer du scrotum des ramoneurs, lié aux HAP présents dans la suie, fut réalisée par Sir Percival Pott en 1776. L’exposition aux fumées générées par le bitume entraîne des atteintes de l’ADN, comme l’ont montré de nombreuses études recherchant la présence d’adduits à l’ADN, d’échanges de chromatides soeurs ou de tests de mutagénicité urinaire (3). Un grand nombre d’études épidémiologiques ont porté sur les travailleurs du bitume. Elles ont été confrontées au problème du type d’exposition. En effet, les dérivés de la houille génèrent une exposition beaucoup plus importante aux HAP cancérogènes que les dérivés du pétrole. Ainsi, le brai de houille et le goudron de houille comportent respectivement 10 000 et 7 500 fois plus de benzo(a)pyrène que le bitume de pétrole. Le poumon est la principale cible des HAP, et ceci se retrouve dans les études portant sur le bitume et les goudrons. Une méta-analyse incluant 20 études épidémiologiques portant sur les travailleurs du revêtement routier et de l’étanchéité des toitures avait été réalisée par T. Partanen et P. Boffetta en 1994 (7). Elle montrait un excès de risque significatif de cancer du poumon pour les étancheurs (RR = 1,78 ; IC95% : 1,5-2,1) mais pas pour les travailleurs du revêtement routier (RR = 0,90 ; IC95% : 0,8-1,0). Au niveau ORL, l’exposition au benzo(a)pyrène de hamsters entraîne un excès de tumeur des cavités nasales, du pharynx et du larynx (8). Les études chez l’homme sont moins concluantes. Toutefois, 4 études castémoins publiées au cours des 10 dernières années ont observé des excès significatifs de cancer du larynx chez les sujets exposés professionnellement aux HAP, avec des odds ratio (OR) compris entre 1,3 et 5,2 (9-12). Ces études ne concernaient toutefois pas uniquement les expositions induites par l’utilisation du bitume. L’étude suédoise observait également un excès significatif de cancer de l’oesophage, après ajustement sur la consommation d’alcool et de tabac, avec un OR de 1,9 (IC95% : 1,1-3,2) (11). Concernant les organes autres que les voies aériennes, les cancers de vessie liés aux HAP, bien que décrits dans les populations fortement exposées aux HAP, comme en cokerie ou dans des fonderies d’aluminium, ne semblent pas plus fréquents chez les sujets exposés aux bitumes (3). La métaanalyse de T. Partanen et P. Boffetta, déjà citée, retrouvait un excès de risque de cancer de l’estomac chez les étancheurs (RR = 1,7 ; IC95% : 1,1-2,5) et de cancer de la peau pour les travailleurs du revêtement routier (RR = 2,2 ; IC95% : 1,2-3,7) (6). On peut d’ailleurs remarquer que l’exposition aux HAP semble accentuer l’effet cancérogène des UVA sur la peau (13). Enfin, en dehors des effets cancérogènes, on peut noter qu’un excès de risque de BPCO a été évoqué, bien qu’il reste discuté (14).   Prévention Comme toujours en milieu professionnel, la réduction des risques passe par la suppression du danger ou la suppression ou réduction des expositions. En dehors du domaine des peintures, la suppression du danger est malaisée car peu de produits de substitution existent pour les revêtements routiers et de toiture. La réduction des expositions est en oeuvre depuis les années 70, avec le remplacement des goudrons et des brais par les bitumes, moins émetteurs de HAP. Les expositions au benzo(a)pyrène ont ainsi notablement diminué depuis les années 70-80 dans l’industrie de l’étanchéité des toitures, ainsi, bien qu’à un degré moindre, que dans celle du revêtement routier. Lors des travaux en milieu confiné, une ventilation des locaux doit être mise en oeuvre. Le port de vêtements de protection (combinaison, gants et parfois masque) est par ailleurs recommandé, quel que soit le lieu de travail. L’information des salariés sur les risques et les moyens de protection doit compléter ces dispositions. Il ne faut enfin pas oublier que des expositions ponctuelles importantes restent possibles, en particulier lors de l’intervention sur des matériaux anciens à base de goudron ou de brai. La prévention médicale passe par l’examen clinique ou les investigations radiologiques chez les sujets exposés. Celle-ci doit d’ailleurs se poursuivre après l’arrêt de l’exposition, les temps de latence des cancers étant prolongés. Elle repose alors sur l’ORL, le pneumologue et le médecin généraliste.   Réparation Le tableau 16 des maladies professionnelles permet l’indemnisation des tumeurs primitives du poumon, de la peau et de la vessie provoquées par les goudrons, huiles et brais de houille et les suies de combustion du charbon, dans une liste limitative de travaux, avec une durée minimum d’exposition de 10 ans et un délai de prise en charge de 20 ans (peau) à 30 ans (poumon et vessie). Il faut toutefois signaler que ce tableau ne concerne pas les expositions aux HAP issus du bitume, dont l’indemnisation ne peut être envisagée, comme pour les cancers des voies aériennes supérieures, qu'au titre de l’alinéa 4 de l’article L. 461-1 du code de Sécurité sociale. Cette possibilité, réservée aux patients atteints d’une incapacité permanente partielle d’au moins 25 %, est conditionnée à l’existence d’un lien dit direct et essentiel entre la profession exercée par le patient et sa pathologie. Ceci est apprécié par le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Les travaux impliquant l'emploi de goudron, puis de bitume depuis les années 70-80, exposent à un risque de cancer désormais bien établi. L'organe cible principal est le poumon, mais les voies aériennes supérieures ne sont pas épargnées. Les progrès en termes de prévention ont permis de limiter les expositions aux HAP dans le secteur du revêtement routier et des travaux d'étanchéité des toitures, mais le risque persiste. Les efforts en termes de prévention technique et de surveillance médicale ne doivent pas se relâcher, tant pour éviter des cancers dans les années qui viennent que pour dépister actuellement des cancers liés aux expositions passées. Les pneumologues et les ORL ont toute leur place dans le dépistage, d'autant plus qu'il s'adresse en général à des populations qui ne sont plus suivies par les médecins du travail. En cas de détection d'un cancer, le médecin doit se poser la question de la relation éventuelle avec la profession du patient et il doit pouvoir le conseiller dans les démarches visant à une déclaration en maladie professionnelle. Les consultations de pathologie professionnelle, présentes dans la grande majorité des CHU, sont là pour l'aider.  

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