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Audiologie

Publié le 14 oct 2008Lecture 14 min

La gestion du bruit chez le personnel navigant

M. BALLESTER, Médecin agréé par la Direction générale de l’aviation civile

Les types de bruit en aéronautique Les lésions de l’appareil auditif dues aux bruits entrent dans le cadre des otopathies pressionnelles traumatiques : otopathies dysbariques, blast auriculaire (ondes de choc fortes), traumatismes sonores aigus (bruits transitoires par ondes de choc faibles), surdité professionnelle dont la surdité de l’aviateur est une forme particulière (bruits continus ou mixtes par ondes de choc faibles). Les bruits impulsionnels ou transitoires ont une durée inférieure à la seconde. Les bruits continus sont des impulsions de pression acoustique de durée supérieure à une seconde. Les bruits mixtes associent bruits continus et impulsionnels : ce sont les plus fréquents en aéronautique (figure 1). Ceux que l'on rencontre dans les aéronefs peuvent atteindre des niveaux très élevés (110 à 120 dB) pendant des durées d'exposition importantes. Ils entraînent un effet de masque perturbant la perception des signaux et la communication parlée, une fatigue auditive et, dans certains cas, une perte auditive. Les bruits transitoires brefs résultent souvent de l’utilisation des armes dans l’aéronautique militaire. Les lésions qu’ils occasionnent relèvent du traumatisme sonore aigu ou du blast. Globalement, les niveaux de bruit en vol peuvent atteindre des niveaux très élevés (tableau). À proximité des avions ou des hélicoptères (mode parking ou taxi), les bruits auxquels est soumis le personnel navigant ou celui chargé de la mise en oeuvre des aéronefs sont encore plus élevés : Super-Frelon (figure 2) : 104 dB à 15 mètres, Airbus A300 : 96 dB à 450 m – 102 dB à l’approche… Les bruits aérodynamiques contribuent aussi au bruit total mais ils n’ont pas fait l’objet d’études précises. En revanche, les bruits de radiocommunication ont fait l’objet de travaux chez les pilotes d’hélicoptère : leur part dans la surdité du personnel navigant est faible. Enfin, il faut évoquer la surdité baro-traumato-sonore de l’aviateur : aux effets du bruit s’ajoutent les microbarotraumatismes à répétition du fait des changements fréquents, parfois rapides, d’altitude dans certains modes de pilotage.     Figure 1. Les bruits auxquels sont exposés les navigants sont variés. Ici, bruits émis par le Fennec, turbulences portes ouvertes, bruits d’armes (photos MB). La susceptibilité individuelle joue un grand rôle : la presbyacousie et toutes les surdités neurosensorielles sont des facteurs de fragilité. Chez les membres du personnel navigant, la durée d’exposition aux bruits continus joue un rôle crucial. Le nombre d’heures de vol reflète cette exposition, de façon souvent indirecte, puisque c’est davantage le temps passé à proximité de l’aéronef qu’à l’intérieur qui est déterminant.   Tableau. Bruits au poste de pilotage et en cabine. Typed’avion/hélicoptère Poste de pilotage (dB)  Cabine de passagers (dB)   Fokker 71   71 à 73 (à l’arrière) DC 10  71   72 à 78 dB (à l’arrière)  Transall  92 à 98   90 à 104 dB  Mirage  103   Alphajet   103     Puma  99    105 dB (ou soute)  Alouette III   97 à 102    ULM  110        L’intensité est le second paramètre, avec une cote de danger à 85dB. Les bruits impulsifs surajoutés sont un facteur aggravant. Certains moteurs sont plus nocifs du fait du spectre de bruit émis, les sons purs et les fréquences aiguës étant plus dangereux que les sons complexes et les fréquences graves.   Figure 2. Le bruit intense émis par les hélicoptères (Puma et Alouette III) nécessite la protection des pilotes et des personnels mettant en oeuvre les aéronefs ou en exercice. Ici à bord du portehélicoptères Jeanne-d’Arc (photos MB).   Ainsi, les turbines des Alouette II ou les réacteurs des CM 170 comportent un spectre riche en fréquences aiguës. L’étude des postes de travail montre que le risque à bord d’un avion est plus important à certains postes: les niveaux de bruit sont plus importants dans la soute (susceptible de transporter des passagers) d’un avion ou d’un hélicoptère que dans la cabine de pilotage (figure 3).   Figure 3. Le bruit intense régnant dans la soute d’un Transall transportant des passagers rend impératif le port de protections auditives type casque antibruit pendant toute la durée du vol (photo MB). La surdité professionnelle Elle s’installe insidieusement. Initialement, le pilote peut ressentir un stade de fatigue auditive au début de l’exposition au bruit avec baisse de l’audition parfois associée à des acouphènes. Il consulte rarement à ce stade car les signes disparaissent de façon faussement rassurante lors du repos auditif, pour réapparaître lors de la reprise de l’activité. Suit une période de latence, caractérisée par la disparition des signes fonctionnels, pouvant atteindre 20 ans. Puis apparaît une période de gêne sociale et professionnelle, pendant laquelle les acouphènes peuvent réapparaître de façon plus permanente. Enfin, la surdité manifeste est le stade ultime. La surdité de l’aviateur est pratiquement toujours découverte lors de la surveillance systématique périodique des personnels navigants. L’audiogramme tonal retrouve une surdité de type perceptif. L’audiométrie vocale recherche des troubles de l’intelligibilité de la parole. Elle doit être réalisée dans le silence et dans le bruit, attestant de la gêne sociale et professionnelle : elle présente donc un intérêt fondamental au plan de l’aptitude et de l’expertise révisionnelle. Les tests, répondant à des normes précises, s’effectuent en tenant compte d’éventuels facteurs d’atténuation dus aux équipements de tête : écouteurs, coquilles, casques intégraux… Les conséquences professionnelles concernent le potentiel opérationnel des équipages et la sécurité des vols. Surdité et hypoacousie sont d’autant plus gênantes dans le bruit. Une ambiance sonore bruyante entraîne une baisse du potentiel opérationnel des personnels, avec une augmentation du risque d’accident du travail ou d’accident aérien. Les troubles de l’intelligibilité de la parole et de la localisation des sources sonores peuvent avoir des conséquences graves dans des milieux où les processus de communication sont vitaux. Des erreurs d’interprétation de messages verbaux ou de signaux d’alarme sonores peuvent en découler. La surdité d’origine professionnelle ouvre droit à réparation dans le cadre du code des pensions militaires d’invalidité pour les personnels militaires. Pour les civils, la surdité professionnelle, dont celle de l’aviateur, est réparée au titre des tableaux 42 et 46 des affections professionnelles provoquées par les bruits. En fin de carrière aéronautique, dans la classe d’âge de 55 ans, 4 à 5% des pilotes présentent une perte d’audition supérieure au minimum indemnisable. En milieu civil, l’évaluation de l’incidence de la surdité traumato-sonore en milieu aéronautique est difficile en l’absence de statistiques suffisantes.   QUELQUES FACTEURS FAVORISANTLES LÉSIONS DE L’OREILLE   Niveau de crête du bruit : le seuil de la douleur se situe à 130 dB(A).   Spectre du bruit : les fréquences aiguës sont plus nocives que les graves, de même que les sons purs.   Si l’intervalle entre 2 détonations est trop court (< 100 ms), le réflexe stapédien n’a pas le temps de se mettre en oeuvre.   Répétition des expositions aux bruits impulsifs sans intervalle de repos.   Phénomène d’écho.   Facteurs extraprofessionnels : pratique du tir, tabagisme, vie citadine. Prévention     Figure 4. Le programme européen Silencer vise à abaisser de 10dB les bruits émis par les avions d’ici 2020. Ici, études en soufflerie sur réacteur d’Airbus (photo Snecma). Les études épidémiologiques montrent qu’en prenant une population de référence constituée de contrôleurs militaires de la navigation aérienne, la perte d’audition en valeur médiane pondérée sur 4000Hz dans la classe d’âge 45 ans et pour un niveau de bruit de 95 dB(A), atteint 13 dB(A) dans le groupe témoin, 29dB(A) chez les pilotes de chasse et 45 dB(A) chez les travailleurs de l’industrie aéronautique… Chez des personnels exposés à des niveaux sonores n’excédant pas 85dB(A), une élévation nette des seuils auditifs sur 3, 4 et 6 kHz est observée au-delà de 15 ans d’exposition régulière. Le risque de surdité professionnelle augmente avec l’âge, le vieillissement de l’audition vient ajouter ses effets à ceux de l’exposition sonore. L’effet lésionnel du bruit peut être comparé à un vieillissement accéléré de l’audition. La prévention est donc essentielle et doit se faire d’amont en aval : en amont lors de la sélection des personnels, puis en aval toute la carrière durant. L’instruction des personnels quant aux méfaits du bruit, de l’absence de port des protections auditives, ainsi que le retentissement en termes d’aptitude font aussi partie des actions de prévention.  Sélection : lors des visites d’admission des personnels, le médecin recherche un état pathologique antérieur, détermine la valeur fonctionnelle de l’audition et recherche une susceptibilité aux bruits. Par la suite, les examens de suivi comportent périodiquement otoscopie et audiogramme. Les visites révisionnelles, que les personnels soient civils ou militaires, répondent à des normes précises dont les objectifs sont de maintenir le potentiel opérationnel des équipages, d’assurer la sécurité des vols, la sélection en cours de carrière et de dépister l’installation d’une hypoacousie.  Instruction : les effets des bruits doivent être expliqués. Les personnels doivent bénéficier d’une instruction sur les moyens de protection individuels, leur utilité et la façon de les porter.      Réduction du bruit à la source: elle relève du domaine de l’ingénieur. La plupart des avions de ligne ont des niveaux de bruit inférieurs à la cote d’alerte. Ce n’est pas le cas dans l’aviation de tourisme. Le Conseil pour la recherche aéronautique en Europe à pour objectif de diminuer de 10 dB le bruit des avions à l’horizon 2020. Le programme européen Silencer, débuté en avril 2001, a validé certaines technologies permettant d’ores et déjà de réduire de 5 dB le bruit généré par un avion. Les moteurs pourraient bénéficier de nouveaux compresseurs et de nouvelles soufflantes ne compromettant pas leurs performances (figure 4). Une nacelle à géométrie inversée, déjà testée sur Airbus A320, redirige vers le haut une partie du bruit du moteur. Certaines technologies sont actives : les aubes du stator des compresseurs sont équipées de haut-parleurs piézo-électriques générant des fréquences capables de «casser » le bruit engendré par l’écoulement turbulent de l’air. Les moyens de protection individuels Figure 5. Bouchons classiques en mousse et bouchons non linéaires (d’après1). Comme il est souvent impossible aussi bien de réduire le bruit à la source que de s'éloigner de la source de bruit, le port de protecteurs auditifs reste la seule solution possible. Un bon protecteur étant d'abord celui qui est porté, ces dispositifs doivent être faciles d'utilisation. Les bouchons d'oreilles (figure 5) Les bouchons « classiques » dits passifs sont les EAR en mousse jaune et les Howard Leight en mousse rose. L’inconvénient est l’isolement des sujets de leur environnement. Les bouchons à atténuation non linéaire comportent un orifice dans le corps et dans l’axe du bouchon, réduisant l’atténuation du bouchon aux fréquences basses et moyennes. Ils rendent possibles la communication parlée, la détection et la localisation des sources sonores dans des conditions très proches de celles d’un sujet non protégé. Ils n’atténuent que faiblement les bruits de niveau modéré et ne sont produits qu'en une seule taille. Des bouchons sur mesure permettent une protection mieux adaptée à chacun, moyennant un coût non négligeable. Figure 6. Casque antibruit passif utilisable en serre-tête (a) et casque actif Noise Buster® (b) (d’après1). Les serre-tête à coquilles passives (figure 6a) Les coquilles passives avec serre-tête sont efficaces sur les fréquences aiguës et moyennes, faciles d’emploi et bien adaptées à un usage intermittent. Elles peuvent être utilisées seules ou en double protection auditive avec les bouchons classiques pour protéger l’oreille contre les bruits continus ou impulsionnels. Leur efficacité est limitée par la conduction osseuse et par les couplages entre les protecteurs, restant inférieure à la somme des atténuations de chaque protecteur. L'atténuation acoustique active (figure 6b) Dans le cas d'une exposition à des bruits continus intenses et riches en fréquences basses et moyennes, et surtout lorsque les personnels doivent échanger des informations par un système de phonie, des techniques d'atténuation active du bruit sont nécessaires. Elles sont complémentaires des procédés passifs : leur efficacité est maximale aux basses fréquences, les protecteurs passifs étant surtout efficaces aux hautes fréquences. Elles atténuent un bruit en produisant simultanément un signal acoustique de même amplitude en opposition de phase avec le bruit. Ceci peut conduire à une amélioration du rapport signal/bruit et de l'intelligibilité de la parole. Cette atténuation active s'ajoute à l'atténuation passive du protecteur et en est complémentaire puisque les protecteurs passifs sont peu efficaces aux basses fréquences. La plupart sont actuellement commercialisés sous forme de serre-tête, ce qui est assez peu ergonomique pour des ports de longue durée. Dans de nombreuses conditions d'exposition à des bruits continus intenses — pilotes d'avions et d'hélicoptères —, l'atténuation active est la seule technique permettant d'obtenir une protection suffisante de l'audition tout en améliorant l'intelligibilité des communications. Les protecteurs à atténuation active permettent une diminution de la gêne et de la fatigue psychosomatique des personnels et améliorent leurs performances. Les serre-tête à atténuation active sont opérationnels mais offrent des performances limitées. Leur encombrement et leur poids peuvent les rendre incompatibles avec d'autres équipements de tête et/ou avec certaines contraintes opérationnelles. Les bouchons d'oreilles à atténuation active représentent une solution d'avenir tant dans le milieu civil que militaire : légèreté, compatibilité avec les autres équipements de tête, performances. Ils devraient encore améliorer l'intelligibilité des communications. Quels qu’ils soient, les moyens de protection doivent être compatibles avec le maintien des normes de sécurité et du potentiel opérationnel des pilotes et des personnels embarqués (figure 7).   Figure 7. Quels qu’ils soient, les moyens de protection auditive doivent permettre aux pilotes et aux passagers de conserver leur potentiel opérationnel tout en maintenant la sécurité. Cela passe essentiellement par le maintien des moyens de communication (photos MB). Hypoacousie et aptitude Une hypoacousie mineure imposera un bilan étiologique poussé. Une hypoacousie hors normes fera évaluer le retentissement fonctionnel. Les seuils auditifs doivent être compatibles avec la sécurité des vols. En visite d’admission, l’inaptitude est prononcée si ces seuils sont dépassés. En visite révisionnelle, la question porte sur l’intelligibilité : les messages radio seront-ils compris ? Le spécialiste ORL devra déterminer si la pathologie est évolutive, et décider de l’opportunité d’explorations complémentaires. Les autres risques doivent aussi être évalués : survenue de vertiges, aggravation de la surdité, décompensation de la pathologie en vol dans le cadre par exemple d’une maladie de Menière, d’une otospongiose, d’une fracture du rocher. Il faut aussi savoir si le vol peut aggraver la pathologie : on doit ici prendre en compte l’exposition au bruit et aux variations pressionnelles, ainsi que le type d’aéronef. Les surdités de transmission peuvent s’opérer. Elles engendrent une inaptitude postopératoire minimale de 6 mois, délai au-delà duquel une demande de dérogation est possible. Les surdités de perception relèvent le plus souvent d’un appareillage auditif. Les dérogations, lorsqu’elles sont accordées, peuvent être assorties de mesures restrictives (modalités du suivi, port d’un appareillage ou d’un casque, nécessité d’un second pilote à bord, etc.). Quelques conclusions Au total, la conservation des capacités opérationnelles des personnels navigants passe par la prise de conscience personnelle qu’ils doivent protéger leur audition. La surveillance clinique et audiométrique régulière permet de dépister les premiers stigmates d’une hypoacousie. Le bruit peut amener le médecin à prononcer l’inaptitude définitive au vol conformément aux normes réglementaires. Certaines situations sont aussi insidieuses que l’installation de l’hypoacousie : ainsi, ne pas se protéger lorsque l’aéronef est en mode taxi ou au parking moteurs tournant, ou lorsque les aéronefs sont en cours de mise en oeuvre, entraînera une agression acoustique, le plus souvent modérée. Néanmoins, celles-ci sont cumulatives et peu récupérables. Les personnels navigants, s’ils veulent préserver leur santé et leur aptitude, doivent être sensibilisés aux méfaits du bruit dans le cadre de leur profession, mais aussi dans celui de leurs activités extraprofessionnelles… Les programmes type Silencer visent à préserver notre environnement sonore mais ne seront jamais à même de rendre un aéronef silencieux pour ceux qui travaillent à proximité (figure 8).   Figure 8. Seuls des aéronefs à l’arrêt permettent de s’exempter du port de protections auditives… (photo MB).

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