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ORL

Publié le 11 déc 2023Lecture 11 min

La névralgie trigéminale ou l’électrisation faciale

Xavier DUBERNARD, Institut otoneurochirurgical, service d’ORL, CHU Robert-Debré, Reims

La névralgie trigéminale ou névralgie de Trousseau fait probablement partie des pires douleurs « naturelles » que puisse ressentir un être humain. Son diagnostic clinique nécessite un bilan spécifique qui permettra d’identifier sa cause et donc de soulager rapidement le patient. Pourtant, cette pathologie et son origine, le plus souvent conflictuelle, restent insuffisamment connues du corps médical. On estime qu’il faut attendre en moyenne 7 à 8 ans avant un diagnostic et une prise en charge adéquate. Ce délai est surprenant lorsque l’on connaît l’incidence de la névralgie trigéminale (12 à 20 cas pour 100 000 habitants) qui est équivalente à celle du cholestéatome (10 cas pour 100 000 habitants). Il est donc nécessaire pour le clinicien de connaître cette pathologie qu’il risque assurément de rencontrer au cours de sa pratique professionnelle.

UNE DOULEUR CARACTÉRISTIQUE(1-3)   Chaque lecteur qui parcourra cet article aura sûrement déjà expérimenté la douleur électrique ressentie en cas de compression brutale du nerf ulnaire lors d’un choc postéro-interne du coude par le coin d’une porte ou d’un meuble. C’est cette douleur décuplée que ressentent les patients atteints d’une crise de névralgie trigéminale. Épidémiologiquement, la névralgie trigéminale prédomine chez la femme. Localisée essentiellement à droite, elle apparaît en général après 60 ans. La douleur se diffuse sur le territoire du nerf trijumeau, en particulier sur les zones V2 , V3 et V2V3 . Elle peut se comparer à une électrisation faciale. Le patient ressent un choc électrique unilatéral, brutal, d’emblée maximal, évoluant par crises imprévisibles et non périodiques d’une durée de quelques secondes à quelques minutes. Le nombre de crises est en général de 5 à 10 maximum par vingtquatre heures. Il existe des périodes de rémission d’une durée variable selon les patients (de plusieurs semaines à plusieurs mois). Cette douleur s’accompagne d’une « zone gâchette ». Il s’agit d’une zone cutanée du visage ou de la muqueuse de la cavité buccale qui, à la manière d’un interrupteur, déclenche la névralgie dès lors qu’elle est sensitivement stimulée (mastication, effleurement, élocution). Cette zone gâchette est en général située sur l’aile du nez, sur la lèvre supérieure, sur la joue, sur le rebord gingival maxillaire ou mandibulaire. Elle conduit le malade dans le meilleur des cas à des conduites d’éviction comme la limitation de la déglutition, du sourire, de l’alimentation, de l’élocution, du rasage de la barbe. Dans le pire des cas, le patient peut subir une édentation multiple d’une hémiarcade dentaire par son dentiste dans l’optique erronée de traiter un problème dentaire. Cette intervention sera inévitablement suivie d’un échec, le malade ne pouvant pas être soulagé. Le diagnostic sera plus difficile à porter secondairement, car des douleurs de désafférentation nerveuse peuvent s’additionner à la douleur de névralgie originelle. Même si la douleur de la névralgie trigéminale reste très caractéristique, l’interrogatoire devra éliminer les diagnostics différentiels(3). L’algie vasculaire de la face se distingue par les caractéristiques de la douleur déclenchée qui se veut unilatérale à ce type de broiement. Saisonnière, cette douleur est plutôt nocturne, parfois déclenchée par la consommation d’alcool et associée à des signes sympathiques faciaux comme le larmoiement, la rhinorrhée claire ou la rougeur hémifaciale et conjonctivale. La migraine reste quant à elle définie par des critères neurologiques spécifiques. Elle se différencie plus particulièrement de la névralgie trigéminale par son caractère pulsatile, non électrique, sa localisation orbito-temporale et sa durée prolongée (4 à 72 heures). La céphalée de tension est une douleur plutôt postérieure, nuchale, bilatérale, sans zone gâchette. Le SUNCT est une douleur orbito-temporale unilatérale associée à une dysautonomie (injection conjonctivale ou autres) qui se manifeste plus fréquemment que la névralgie trigéminale (jusqu’à 200 fois par jour). Enfin, la douleur dentaire se déclenche par des variations de température (chaud-froid) ou par la percussion élective de la ou des dents causales. Il n’existe pas de zone gâchette. Une sensation de dent longue peut aussi se retrouver. La douleur sinusienne maxillaire se manifeste par une pesanteur faciale unilatérale parfois pulsatile augmentée à l’antéflexion. S’exprimant dans un contexte septique, une hyperthermie est possible. Des signes d’accompagnement sont souvent retrouvés comme l’obstruction nasale ou la rhinorrhée purulente. L’ensemble des critères diagnostiques de la névralgie trigéminale (figure 1 & tableau 1) et ses diagnostics différentiels ont été définis par l’ICHD-3 (The International Classification of Headache Disorders 3 rd edition)(4). Figure 1. Démarche diagnostique et thérapeutique face à une névralgie trigéminale.   UN EXAMEN OTONEUROLOGIQUE   Cliniquement, le praticien devra réaliser un examen ORL et neurologique exhaustif. L’examen ORL s’attachera à réaliser une otoscopie, un bilan auditif par acoumétrie a minima (recherche d’une asymétrie auditive) et un bilan vestibulaire par vidéo nystagmoscopie (recherche de nystagmus spontanés, positionnels). Un examen de la cavité orale, des arcades dentaires et du relief sinusien avec exploration du méat moyen à la nasofibroscopie pour rechercher un écoulement purulent seront réalisés. L’examen neurologique s’attachera à explorer le nerf trijumeau par la recherche d’une hypoesthésie partielle ou complète de l’hémiface, de l’abolition du réflexe cornéen, de la contracture musculaire temporale et du masséter. Il sera complété par un examen de toutes les paires crâniennes, de l’oculomotricité, par un bilan cérébelleux et sensitivomoteur des membres supérieurs et inférieurs. Les données de l’examen clinique permettent de classer les douleurs trigéminales en deux catégories. Lorsque le bilan clinique est normal, la névralgie trigéminale sera qualifiée de classique(3). Elle est en général liée à un conflit vasculo-nerveux. Dans le cas où des déficits neurologiques sont diagnostiqués (asymétrie audio-vestibulaire, hypoesthésie de la face, paralysie faciale périphérique, signe d’hypertension intracrânienne…), la névralgie sera qualifiée de secondaire. Son origine peut être liée à une pathologie de la base latérale du crâne c’est-à-dire une pathologie otoneurochirurgicale ou neurologique.   UN EXAMEN ROI : L’IRM INJECTÉE DE L’ANGLE PONTO-CÉRÉBELLEUX   Afin de préciser l’origine de la douleur et son caractère classique ou secondaire, une IRM de l’angle ponto-cérébelleux devra être prescrite. Cet examen devra être réalisé sur une machine 3 Tesla pour plus de précision. Elle sera injectée de gadolinium et à défaut réalisée en séquence TOF s’il existe une insuffisance rénale sévère. Il faudra y additionner des séquences FLAIR et T2 haute résolution en coupes fines (5 millimètres) ainsi qu’une séquence T2*(3). Le but de cet examen est d’identifier les causes secondaires comme les tumeurs de l’angle ponto-cérébelleux qu’elles soient vasculaires (malformation artério-veineuse), nerveuses (schwannome cochléo-vestibulaire compressif sur le nerf trijumeau ou issu du nerf trijumeau lui-même), graisseuse (lipome) ou épidermique (cholestéatome congénital de l’angle ponto-cérébelleux). Il faudra aussi rechercher la présence rare, mais toujours possible d’anévrismes ou de kystes arachnoïdiens compressifs sur le nerf trijumeau. L’examen attentif du tronc cérébral en particulier à l’émergence du pied du nerf trijumeau sera aussi nécessaire pour rechercher d’éventuelles plaques de démyélinisation (sclérose en plaques) ou traces d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques ou hémorragiques. En l’absence de causes secondaires, il faudra détailler le trajet du nerf trijumeau de son émergence à sa pénétration dans le cavum de Meckel. Sa relation avec les veines de proximité et l’artère cérébelleuse supérieure sera analysée. Issue du tronc basilaire, cette artère peut rentrer en contact avec le nerf trijumeau et créer à la manière d’un combat de boxe un point d’irritation. Il se forme alors une démyélinisation qui induit la formation de décharges ectopiques et une éphapse. À chaque cycle cardiaque, l’artère imprime une pression croissante sur le nerf créant alors un conflit vasculonerveux. Radiologiquement on doit constater la déformation et l’amincissement du nerf trijumeau par l’artère (figure 2) sur au moins 2 des 3 plans radiologiques d’un scanner (axial, coronal, sagittal). Le conflit se situe presque systématiquement dans la zone médiane du nerf ou au pied de celui-ci(5). Figure 2. IRM de l’angle ponto-cérébelleux en séquence  T2 fin. L’image à gauche est l’image native. Au sein de l’image située à droite, le cadre vert représente le nerf trijumeau sain et le cadre rouge représente le nerf trijumeau déformé à son pied par l’artère cérébelleuse supérieure.   UNE PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE ADAPTÉE (tableau 1)   La névralgie secondaire Dans le cas d’une atteinte secondaire, le traitement de la névralgie repose sur le traitement de la pathologie causale. Si un schwannome cochléo-vestibulaire compressif sur le nerf trijumeau est retrouvé, une prise en charge chirurgicale sera privilégiée. Si un schwannome trigéminal est diagnostiqué, une surveillance, une chirurgie ou une radiothérapie seront proposées. En cas de kystes arachnoïdiens compressifs, un effondrement chirurgical sera envisagé. Tout anévrisme compressif découvert sera exclu à l’aide d’un traitement radio interventionnel ou chirurgical. Dans le cas d’une malformation artério-veineuse, de la radiochirurgie sera nécessaire. Il faut préciser que la carbamazépine peut s’associer à ces traitements spécifiques si une douleur neurologique persistante ou résiduelle reste active.   La névralgie classique Dans le cas d’une névralgie trigéminale classique liée à un conflit vasculo-nerveux, la prise en charge repose sur 3 étapes. Chacune de ces étapes est proposée au patient qui choisira de façon éclairée, en accord avec son médecin, celle qui lui est la plus adaptée. Si le handicap du malade est très limité ou si le patient ne souhaite aucune autre prise en charge que des informations diagnostiques, la surveillance annuelle est de rigueur. Cette surveillance se justifie pour éviter de laisser le malade dans la « solitude de la douleur » qui parfois le conduit à réaliser une tentative de suicide à cause du caractère effroyable de la douleur. Si le malade demande une prise en charge, le traitement médical est la première étape à envisager. De la carbamazépine(6) nonLP 200 mg doit être débutée sous la forme d’une titration afin de calmer rapidement la douleur ressentie. Cette titration nécessite une augmentation croissante de la posologie, 100 mg par 100 mg toutes les 48 à 72 h jusqu’à la sédation de la douleur. Une fois disparue, la dose identifiée doit être poursuivie pendant un mois minimum. Puis une décroissance de 100 mg par 100 mg est entreprise tous les 48 à 72 h jusqu’à la réapparition de la douleur. Dans cette situation, la dose minimale efficace correspond à la dernière posologie augmentée de 100 mg. Une fois ce traitement pris, il doit être poursuivi en permanence par le patient y compris en l’absence de douleur : il s’agit d’un traitement de fond. Il n’existe aucune limite d’âge ni de posologie. Il doit être contre-indiqué en cas de grossesse et de troubles du rythme cardiaque ou de prise de lithium. Ce traitement entraîne une somnolence. Ce facteur doit être connu du malade afin qu’il puisse avoir une vigilance accrue au cours de la conduite automobile. De plus un bilan biologique (NFS, plaquette, urée, créatinine, ASAT, ALAT, gamma GT, phosphatase alcaline) et un ECG doivent être réalisés avant la première prise, à un mois puis tous les 3 mois afin de prévenir l’apparition d’une allergie ou d’une agranulocytose. Il est à noter que d’autres traitements médicaux peuvent être essayés, mais leur efficacité est plus aléatoire et certains n’ont pas d’AMM dans la prise en charge de la névralgie trigéminale. Dans le cas d’un épuisement thérapeutique, d’une contre-indication à la carbamazépine ou d’une allergie, ce traitement ne peut être poursuivi. La première solution à proposer aux malades est chirurgicale : la décompression microvasculaire. Inventée par Gardner (1959) puis diffusée par Jannetta (1969), il s’agit du seul traitement curatif de la névralgie trigéminale classique. Cette chirurgie nécessite un plateau technique complet chirurgical et anesthésique afin d’ouvrir l’angle ponto-cérébelleux en toute sécurité. Il a pour but de libérer le nerf de la pression mécanique qu’il supporte. Une voie rétro-sigmoïde est nécessaire afin de limiter les séquelles fonctionnelles de la voie d’abord. Dans notre expérience rémoise, cette chirurgie se fait toujours en double équipe, un ORL et un neurochirurgien, afin d’apporter le plus de sécurité possible au malade. Une incision arciforme est alors réalisée derrière l’oreille à distance du sinus sigmoïde. Une craniotomie est nécessaire. La dure-mère est ouverte puis le chirurgien pénètre sous microscope dans l’angle ponto-cérébelleux. Une fois la libération des différents mésos et de l’arachnoïde réalisés, le nerf trijumeau est identifié. Des optiques permettent de déporter l’œil au plus près du site conflictuel (figure 3). L’artère conflictuelle est identifiée. Elle sera déplacée à distance du nerf afin de résoudre définitivement le conflit. En général, l’artère retrouvée est bifide (figure 3). Figure 3. Vue endoscopique avant/après décompression microvasculaire d’un angle ponto-cérébelleux gauche pour névralgie trigéminale. a : nerf cochléo-vestibulaire (VIII) ; b : nerf trijumeau avant décompression, on remarquera son aspect déformé et étalé avant sa libération (limite en pointillés noirs)  ; b’  : nerf trijumeau décomprimé, sa largeur est plus fine que b  ; c  : artère cérébelleuse supérieure conflictuelle située en avant du nerf trijumeau et déformant celui-ci  ; c’  : artère cérébelleuse supérieure dédoublée, décomprimée en arrière du nerf trijumeau. À ce stade le conflit mécanique est résolu. L’artère sera encollée à la tente du cervelet  ; d  : face postérieure du rocher.   Elle sera fixée sur la tente du cervelet à l’aide de colle biologique afin de créer un bouchon fibreux cicatriciel l’empêchant de revenir en position conflictuelle. Dans les rares cas où la situation précédente est impossible à réaliser, une pièce de Téflon sera interposée entre le nerf et l’artère. Cette solution est également privilégiée en cas de conflit veineux. Le taux de succès de cette intervention est très important : de l’ordre de 92 % à 10 ans(1). Elle est d’autant plus simple et efficace que le patient est âgé(2). L’atrophie corticale permet en effet de mieux s’exposer et donc de mieux traiter le patient. Il n’existe donc aucune limite d’âge à cette intervention, seul l’âge physiologique compte. Le taux de décès est dans notre expérience nul et le taux de complication grave est de 2,3 %(1). En cas de contre-indication anesthésique ou si le patient le souhaite, des techniques lésionnelles peuvent être envisagées. Ces traitements sont considérés comme palliatifs, car aucun d’entre eux ne permet de régler le problème mécanique à l’origine de la douleur. Le principe repose sur la création d’une lésion nerveuse en aval du conflit par compression (ballonisation) ou par radiochirurgie (90 grays en une séance). Le nerf ne transmet plus d’informations erronées. La douleur diminue et peut même disparaître transitoirement. L’efficacité de ces traitements est en effet limitée dans le temps et la douleur finit toujours par resurgir après plusieurs mois, car le conflit est toujours mécaniquement actif (seulement 45 % d’efficacité à 10 ans en cas de radiochirurgie(7)). De plus, la lésion créée sur le nerf peut engendrer des déficits sensoriels comme une hypoesthésie de l’hémiface. Ce déficit augmente le risque de kératite et de dysesthésies pour le patient(3). Ce traitement n’est donc en aucun cas à privilégier en cas de névralgie classique.

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