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ORL

Publié le 07 mai 2020Lecture 9 min

L’acouphène pulsatile - Partie I

Emmanuel HOUDART, Service de neuroradiologie, hôpital Lariboisière, Paris

L’acouphène pulsatile diffère en tout point de l’acouphène continu. Du fait de sa moindre fréquence, il est souvent méconnu des praticiens alors qu’il est très souvent curable. Le souhait de cet article est de présenter notre expérience de plus de vingt ans dans la prise en charge clinique, radiologique et thérapeutique de ce symptôme aux causes diverses. Cette première partie décrira les grandes règles d’exploration de ce type particulier d’acouphène et la cause la plus fréquente qui est la sténose du sinus latéral.

L’acouphène est un motif fréquent de consultation ORL. Dans l’immense majorité des cas, l’acouphène est de type « continu » c’est-à-dire que le son entendu est de tonalité linéaire, à type de sifflement ou de bourdonnement. Cette caractéristique du son est si prédominante que le praticien omet souvent de la faire préciser au patient, tout acouphène étant supposé continu et, de façon implicite, inguérissable. Ceci explique sans doute la méconnaissance fréquente de l’acouphène pulsatile (AP) qui se définit comme un son perçu de façon synchrone aux battements cardiaques. Sa méconnaissance est très préjudiciable pour le patient car, d’une part, son retentissement fonctionnel est bien supérieur à celui d’un acouphène continu et que, d’autre part, il peut être guéri dans la majorité des cas. La plupart des AP relevant d’un traitement endovasculaire, le lecteur ne s’étonnera pas que cette mise au point soit rédigée par un neuroradiologue interventionnel. Physiopathologie de l'AP  Un AP est la perception normale par la cochlée d’un flux pulsatile de voisinage. Les cellules ciliées sont stimulées par un son pulsatile qui leur est transmis par l’os temporal (tout comme elles le sont par les vibrations du diapason transmises par voie osseuse). Comprendre l’AP suppose de savoir que tous les « fluides » intracrâniens sont pulsatiles : le sang artériel bien sûr, mais aussi le sang veineux et le liquide céphalo-rachidien (LCR). En effet, l’à-coup systolique artériel est transmis à la masse cérébrale qui le transmet à son tour aux sinus veineux duraux et au LCR. Le sang artériel, mais aussi veineux, et le LCR peuvent donc potentiellement être à l’origine d’un AP. Deux mécanismes peuvent conduire à l’apparition d’un AP. Le premier est l’apparition de turbulences dans un vaisseau situé à proximité de l’oreille interne. Des turbulences apparaissent lorsqu’un compartiment vasculaire reçoit un flux accéléré. Ceci se rencontre en aval d’une sténose artérielle ou veineuse ou en aval de communications artério-veineuses. Le second mécanisme est la perte de l’enveloppe osseuse qui isole normalement l’oreille interne d’un fluide intracrânien. Les causes répertoriées d’AP sont très nombreuses, mais elles peuvent toutes s’expliquer par ces deux mécanismes. Démarche clinique dans l'AP Le rôle, essentiel, de l’ORL consulté pour un acouphène est de dépister celui qui est de type pulsatile. L’écoute du patient est parfois très informative et des phrases telles que « j’entends battre mon cœur dans mon oreille » ou « j’entends le bruit d’un vaisseau » ou encore « j’entends comme le bruit d’un Doppler » sont caractéristiques. Qu’elles aient été ou non prononcées par le patient, le praticien devrait lors de toute première consultation pour acouphène imiter le son ressenti. Il faut proposer au patient deux types de sons : l’un linéaire et l’autre rythmé par la fréquence cardiaque. Ce procédé d’imitation (qui embarrasse parfois le praticien) est déterminant, car c’est le seul qui permette sans ambiguïté de déterminer la typologie de l’acouphène. Une fois reconnu le caractère pulsatile de l’acouphène, le mieux est sans doute d’adresser le patient en consultation dans un service de neuroradiologie interventionnelle spécialisé dans l’exploration et le traitement de ce symptôme. Notre démarche clinique en consultation comporte de façon systématique deux manœuvres : l’auscultation et la compression manuelle des vaisseaux cervicaux. L’auscultation doit porter sur l’ensemble du crâne, sur les régions cervicales et précordiales. Elle recherche un souffle qui, s’il est présent, est coté de 1/6 à 6/6 en précisant la région où il est perçu de façon maximale. Soulignons d’emblée que la négativité de l’auscultation ne signifie pas que le patient simule, car la plupart des AP ne s’accompagnent pas de souffle audible. La compression manuelle et sélective des vaisseaux cervicaux est de très grande valeur lorsque le patient perçoit son AP lors de la consultation. Elle recherche une interruption du bruit par la compression successive de la veine jugulaire interne puis de la carotide commune du côté de l’acouphène. En fonction du résultat de la compression, nous classons les AP en trois groupes : veineux, artériel, ou neutre. Deux grandes règles cliniques doivent être connues dans un contexte d’AP : tout souffle crânien témoigne de l’existence de turbulences vasculaires et tout AP interrompu par la compression manuelle d’un vaisseau du cou traduit son origine vasculaire. Bilan radiologique d'un AP L’IRM cérébrale est la première exploration à effectuer, mais elle n’est pertinente que si deux séquences ont été réalisées : un grand 3DTOF (time of flight) non injecté coupant du trou occipital au vertex et destiné à explorer les artères méningées de l’ensemble du crâne et un T1 gadolinium en écho de gradient destiné à explorer le contenu des sinus duraux. Ces deux séquences permettent de diagnostiquer 80 % des causes d’AP. Si cette IRM « orientée acouphène pulsatile » n’apporte pas de diagnostic, elle est complétée par un scanner de l’os temporal en coupes fines associé à un angioscanner des troncs supra-aortiques. La confrontation de l’IRM et du scanner temporal est d’ailleurs parfois indispensable pour établir le diagnostic. Quant à l’angiographie cérébrale conventionnelle qui était autrefois l’exploration de référence dans l’acouphène pulsatile, elle n’est plus réalisée maintenant que de façon exceptionnelle à visée diagnostique. Les accouphènes pulsatiles veineux Ce sont de loin les plus fréquents. Un AP est dit veineux lorsque, perçu par le patient lors de la consultation, il est interrompu par la compression de la veine jugulaire interne homolatérale et au contraire amplifié par la compression de la veine jugulaire contro latérale. Les patients qui souffrent d’AP veineux ont souvent découvert d’eux-mêmes que leur bruit s’interrompait par la compression de la région cervicale homolatérale, ce qui les conduit parfois à s’endormir la nuit en insérant un oreiller ou un livre sous la mâchoire du côté de l’AP. Ce signe de « la cale cervicale » est très souvent rapporté et oriente d’emblée vers l’origine veineuse de l’AP. La cause du bruit siège primitivement dans une veine passant à proximité de l’oreille interne : il s’agit dans la majorité des cas d’une pathologie du sinus latéral. La compression jugulaire interrompt l’écoulement du sang veineux dans le sinus latéral homo latéral porteur de l’anomalie et le redistribue dans le sinus controlatéral, supprimant ainsi le bruit alors que la compression jugulaire controlatérale produit l’effet inverse et augmente donc l’intensité de l’AP. L’auscultation du crâne ne perçoit pas de souffle dans la plupart des AP veineux. Les causes veineuses sont visibles sur la séquence T1 gadolinium écho de gradient. La cause principale d’AP veineux (qui est aussi la première cause d’AP) est la sténose des sinus latéraux. Il s’agit d’une pathologie essentiellement féminine qui atteint la femme généralement entre 20 et 40 ans. Elle est favorisée par le surpoids. Les sténoses sont toujours bilatérales, mais l’acouphène n’est habituellement perçu que d’un seul côté, le plus souvent du côté du sinus latéral dominant. Les sténoses siègent toujours à la jonction entre le sinus transverse et le sinus sigmoïde. Elles sont de deux types morphologiques dits intrinsèques ou extrinsèques. La sténose intrinsèque correspond à l’hypertrophie d’une granulation sousarachnoïdienne qui fait saillie dans la lumière du sinus. Elle apparaît comme une masse arrondie en hyposignal T1 située à l’intérieur du sinus dont la lumière normale est blanche en raison du gadolinium (figure 1). La sténose extrinsèque correspond à une sténose longue et effilée du sinus sans obstacle endoluminal. Ces sténoses sinusiennes peuvent se révéler par un AP isolé, mais elles peuvent aussi entraîner des signes d’hypertension intracrânienne chronique. Le tableau clinique associe des céphalées quotidiennes, une fatigue chronique puis des troubles visuels à type de flou visuel et, à un stade plus évolué, des éclipses visuelles c’est-à-dire des épisodes brusques de perte de la vision des deux yeux. L’examen du fond d’œil retrouve un œdème papillaire et la ponction lombaire ramène un LCR de composition normale, mais dont la pression excède 20 cm d’eau. Ce tableau a longtemps été qualifié d’hypertension intracrânienne « idiopathique », car les sténoses sinusiennes n’étaient pas reconnues avant l’avènement de l’angio- scanner et l’angio-IRM. Figure 1. IRM T1 gadolinium montrant l’hypertrophie d’une granulation sous-arachnoïdienne du sinus latéral gauche (flèche blanche). Cette élévation de la pression intracrânienne s’explique par l’élévation de la pression en amont de la sténose, au sein du sinus sagittal supérieur. Ce sinus est normalement le siège de résorption du LCR contenu dans les espaces sous-arachnoïdiens. Une élévation de la pression veineuse à ce niveau entraîne une gêne de la résorption du LCR et l’élévation de sa pression qui retentit finalement sur la pression intracrânienne. Des voies de suppléances au drainage du LCR s’installent de façon chronique, notamment dans la gaine des nerfs crâniens. On peut ainsi retrouver sur la séquence coronale en T2 une dilatation de la gaine des nerfs optiques. Ce circuit du LCR tend aussi à « infiltrer » la selle turcique qui se dilate et se remplit de LCR conduisant à l’image de selle turcique vide (figure 2). Figure 2. IRM pondérée en T2 en coupe sagittale montrant une selle turcique vide. Notez l’élargissement de la selle contenant du LCR en excès (flèche blanche). Les sténoses sinusiennes sont maintenant traitables par implantation d’un stent dans le sinus latéral en regard de la sténose (figure 3). Le stent redonne au sinus son calibre d’origine et, en supprimant l’accélération du sang induite par le rétrécissement, il supprime les turbulences qui en découlaient, guérissant par là l’AP. Dans tous les cas, le stent n’est implanté qu’après avoir mesuré les pressions au sein du sinus latéral en amont et en aval de la sténose : un gradient de pression supérieur à 6 mmHg est toujours nécessaire pour envisager la mise en place du stent. Dans notre expérience portant sur plus de 150 stenting du sinus latéral, nous n’avons aucune complication neurologique centrale à déplorer après cette intervention. Figure 3. Radiographie du crâne après implantation d’un stent au niveau du sinus latéral (flèche). Points forts L’acouphène pulsatile se distingue en tout point de l’acouphène continu. Le caractère pulsatile, c’est-à-dire synchrone, des battements cardiaques doit être recherché chez tout patient consultant pour acouphène. Le bilan clinique et radiologique doit être effectué dans un centre rodé à l’exploration de ce symptôme. Les causes les plus fréquentes sont vasculaires, la sténose du sinus latéral étant actuellement la plus fréquente. 

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