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Asthme

Publié le 12 mar 2020Lecture 13 min

Asthme et obésité

François LAVAUD*, Guy DUTAU** - *CHU de Reims, **CHU de Toulouse

L’asthme et l’obésité définie par un index de masse corporelle (IMC) supérieur à 30 kg/m2 sont deux situations pathologiques parmi les plus fréquentes. Il peut alors paraître difficile de faire une relation d’association ou de causalité, mais de nombreux arguments plaident en faveur d’un rôle délétère de l’obésité sur l’asthme, en relation avec des phénomènes mécaniques et inflammatoires. Par ailleurs, l’asthme de l’obèse est un asthme difficile, ce qui lui confère un phénotype parfaitement individualisé.

Épidémiologie De très nombreuses études prospectives ou de cohortes ont montré une augmentation de l’incidence de l’asthme chez les obèses. Ainsi, un IMC maternel élevé est associé avec un risque plus élevé de sifflements et de toux chez le nouveau-né et une métaanalyse de 14 études a montré que l’obésité de la mère ou une prise de poids trop importante pendant la grossesse étaient associés à une augmentation significative du risque d’asthme chez l’enfant (10 800 grossesses randomisées). Chez l’enfant en âge préscolaire, un IMC élevé entraîne plus de sifflements et/ou une augmentation des taux de NO exhalé. Chez l’enfant asthmatique de poids correct devenant obèse à l’âge adulte le VEMS/CV est dégradé par rapport aux témoins dans un rapport de 3 % pour chaque majoration de l’IMC de 10 kg/m2, sans modification de la CV. Enfin une récente étude de 2017 portant sur des femmes âgées de 40 à 65 ans et de hommes de plus de 65 ans objective que l’obésité est associée à des déclarations spontanées d’asthme plus fréquentes et à une dégradation plus importante de la fonctionrespiratoire. Pour faire court, « plus on est gros, plus on risque d’être asthmatique ». Il semble cependant que tous les obèses n’aient pas le même risque d’asthme et le même profil évolutif, avec des différences entre enfants et adultes obèses et selon le sexe. Quoi qu’il en soit, l’asthme de l’obèse est en général un asthme difficile (à contrôler) ou un asthme sévère, avec des symptômes quotidiens, un absentéisme plus fréquent et une consommation plus importante de bronchodilatateurs de secours. L’asthme de l’obèse se définit comme un asthme à volumes pulmonaires diminués, volontiers de début tardif avec des symptômes plus fréquents et plus bruyants, des exacerbations plus fréquentes et une moins bonne réponse aux traitements conventionnels, notamment les corticostéroïdes inhalés, du fait d’un processus inflammatoire habituellement non éosinophilique. Il concerne plus souvent la femme, l’atopie est peu fréquente et l’hyperréactivité bronchique est modérée. Un autre phénotype peut être caractérisé par un asthme aggravé par l’obésité. Dans ce cas l’asthme est plus précoce, volontiers atopique et éosinophilique (figure 1). Figure 1. Différentes éventualités cliniques, physiopathologiques et thérapeutiques de l’asthme sévère de l’obèse. D’après Tashiro H et al. Allergol Int 2019. Effets de l'obésité sur la fonction respiratoire L’impact principal de l’obésité sur la fonction respiratoire repose sur une réduction de la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) avec une relation inverse entre IMC et CRF. Ceci est lié à des modifications de l’élasticité de la paroi thoracique. Les forces rétractiles du parenchyme pulmonaire sur les voies aériennes sont diminuées aux bas volumes de ventilation et sur une CRF réduite le muscle lisse bronchique se contracte davantage lorsqu’il est stimulé par le tonus parasympathique. Par ailleurs les obèses respirent spontanément avec un volume courant plus bas et une fréquence respiratoire élevée. Cette ventilation à bas volumes courants entraîne une plus faible mobilité du muscle lisse bronchique aboutissant à sa rigidité. Il s’ensuit une contraction musculaire de base plus importante, un raccourcissement des fibres musculaires et un rétrécissement des voies aériennes. Le volume de fermeture (volume d’air demeurant dans les poumons lorsque les petites voies aériennes commencent à se fermer lors d’une expiration maximale) est augmenté chez l’obèse et dans l’obésité morbide le volume courant est proche du volume de fermeture. La fermeture des petites voies aériennes s’observe alors en respiration de repos, surtout en position debout. Il a du reste été suggéré que l’ouverture et la fermeture répétitive des petites voies aériennes avaient pour conséquence une rupture des liaisons des alvéoles aux bronchioles et une perte de solidarité entre les voies aériennes et les forces rétractiles du parenchyme. Le résultat est une majoration de la limitation de la ventilation pulmonaire. En spirométrie, le VEMS et la CVF diminuent également de façon parallèle à l’augmentation de l’IMC et l’asthmatique obèse a des valeurs du VEMS de base beaucoup plus basses que ne le voudrait son degré d’inflammation bronchique. Bien que l’obésité ne soit pas associée systématiquement à une plus grande obstruction bronchique, il est admis qu’elle est un risque de plus grande hyperréactivité bronchique (HRB). Mais il n’a pas été montré s’il existait une synergie entre asthme et obésité sur la majoration de l’HRB. Cependant, chez l’asthmatique obèse, la bronchodilatation observée après inspiration profonde est moindre que si ces morbidités sont isolées. Cette dysfonction mécanique est associée chez l’asthmatique à des signes d’inflammation bronchique. L’inflammation bronchique de l'asthmatique obèse L’obésité est reconnue comme un état inflammatoire de bas grade. On a objectivé des relations entre asthme et obésité via une inflammation systémique. Pour certains, l’obésité peut être considérée comme un état proinflammatoire. En effet le tissu adipeux est un lieu important de production de cytokines, notamment d’IL-6, de TNF alpha et de CRP. Le TNFalpha est augmenté dans l’asthme sévère non contrôlé, il stimule la production de cytokines de type Th2 comme l’IL-4 et l’IL-5 dans l’épithélium bronchique et il est impliqué dans le recrutement de neutrophiles et d’éosinophiles. Quant à l’IL-4, on connaît son rôle dans la régulation de la synthèse des IgE, l’IL-5 possédant des pouvoirs chémoattractifs pour les éosinophiles et des propriétés d’activateur de croissance et de sécrétion d’immunoglobulines. Ainsi, il est possible que la voie TNFalpha soit le dénominateur commun à l’obésité et à l’asthme avec contribution à l’HRB. Cependant, ceci n’est pas admis par tous et la plupart des travaux n’ont pu démontrer une relation entre obésité etmajoration de l’inflammation des voies aériennes. De même, sur ce modèle, la voie Th2 et le rôle des éosinophiles sont privilégiés, mais chez l’obèse le niveau de NO exhalé et le taux d’éosinophiles de l’expectoration induite ne sont pas augmentés, ce qui paraît contradictoire. On s’oriente donc maintenant vers la prédominance d’un mécanisme non éosinophilique dans l’asthme de l’obèse. D’autres mécanismes physiopathologiques peuvent alors être en cause et, en particulier, on insiste sur le rôle des adipokines. Le tissu adipeux sécrète de nombreux médiateurs à effet métabolique, les adipokines. Parmi elles, la leptine dont la sécrétion est directement en rapport avec la masse de tissu adipeux a un rôle primordial. L’hypoxie de l’adipocyte, liée à une néovascularisation déficiente du tissu adipeux, est le plus puissant stimulus connu de l’initiation de l’inflammation du tissu adipeux et à la libération de leptine. La leptine est un stimulant métabolique et un freinateur de l’appétit. Elle stimule aussi la production d’IL-6 et de TNFalpha par le tissu adipeux avec un rétrocontrôle positif, le TNFalpha stimulant la production de leptine. Mais c’est surtout un médiateur stimulant la voie des Th1 avec production d’IL-2 et d’interféron gamma, ce qui suggère que si la leptine joue un rôle dans l’asthme ce n’est pas par un mécanisme Th2 dépendant. De plus la leptine possède d’autres effets pro-inflammatoires avec stimulation de la production par les macrophages de cytokines dépendantes des liposaccharides. Elle accélère également l’angiogenèse et le remodelage des voies aériennes via le vascular endothelial growth factor (VEGF). Ainsi il est probable que la leptine joue un rôle important dans les mécanismes de l’asthme de l’obèse avec mise en évidence de taux élevés de leptine corrélés à la présence d’un asthme, mais seulement chez les femmes. Une autre adipokine, l’adiponectine, est inversement sécrétée en fonction de l’IMC, son taux diminuant avec l’importance de l’obésité et réaugmentant avec la perte de poids. Elle a des actions anti-inflammatoires avec inhibition de la production d’IL-6 et de TNFalpha et induction d’IL-10 et de l’antagoniste du récepteur à l’IL-1. Elle atténue donc l’inflammation liée à l’inhalation de l’allergène chez la souris. Chez la femme préménopausée, elle aurait un rôle protecteur envers le développement d’un asthme. Stress oxydatif, obésité et asthme Le stress oxydatif aggrave l’inflammation des bronches et suscite la synthèse de cytokines proinflammatoires ou il altère des mécanismes enzymatiques deprotection de la muqueuse bronchique. Chez l’asthmatique, le stress oxydatif est plus important et l’obésité est aussi associée à une augmentation du stress oxydatif. Ces conditions s’ajoutent plus particulièrement chez l’adulte porteur d’un asthme d’apparition tardive. Plusieurs mécanismes ont été évoqués dont la réduction de la biodisponibilité de l’arginine, substrat de la production de NO. Le NO est un bronchodilatateur endogène et sa moindre synthèse pourrait expliquer la sévérité des asthmes de l’obèse et leur résistance aux traitements conventionnels. Chez l’asthmatique léger à modéré, il a été notamment montré qu’il existait une corrélation entre l’IMC et le 8-isoprostane exhalé, qui est un marqueur du stress oxydatif, mais pas avec les taux de 8-isoprostane plasmatique. Par ailleurs, ces résultats différents selon le sexe et le rôle du stress oxydatif chez l’asthmatique obèse restent controversés. De sorte il paraît plausible que le stress oxydatif ne soit pas un phénomène causal de l’asthme chez l’obèse mais plutôt un modulateur de sa sévérité. Il altère par ailleurs la réponse aux médicaments. La résistance aux corticoïdes inhalés peut en être une conséquence et plusieurs études ont montré que ces médicaments étaient moins efficaces chez l’asthmatique obèse par rapport à des patients non obèses ayant le même profil de maladie asthmatique. Ceci a pour conséquence un moins bon contrôle de l’asthme. Les effets anti-inflammatoires des corticoïdes paraissent perturbés chez l’obèse et par exemple, les propriétés de la dexaméthasone à induire le MKP-1, un gène de réponse aux corticoïdes, est réduite dans le sérum et les sécrétions bronchiques des asthmatiques obèses. L’action de la dexaméthasone sur la synthèse de TNFalpha par les cellules mononucléées du sang et du lavage broncho-alvéolaire est également diminuée. Une autre explication possible pour la résistance aux stéroïdes est une baisse des taux de vitamine D qui sont inversement proportionnels à l’IMC. Des taux bas de vitamine D sont associés à un asthme plus sévère et à une plus grande résistance aux corticostéroïdes. Cependant la supplémentation en vitamine D n’est pas plus efficace chez l’asthmatique obèse en termes de contrôle de l’asthme. Génétique, épigénétique et génomique Peu d’études ont apporté des résultats concluants sur des locisusceptibles de favoriser l’apparition d’un asthme chez l’enfant obèse. Chez l’adulte une inversion 16p11.2 est associée à une plus grande fréquence de l’asthme chez l’obèse. Cette inversion retrouvée chez 10 % des Africains et 50 % des Européens est associée à une expression plus grande de protéines associées à l’obésité dont l’apolipoprotéine et la SH2B1 qui inhibe l’interféron de type 1 et l’IL-27. Cette inversion expliquerait près de 40 % des risques de développer conjointement obésité et asthme. D’autres gènes dont le gène pour les récepteurs bêta2-adrénergiques (ADRB2), le gène pour le TNF et le gène pour la lymphotoxine  ont été associés à la fois dans l’asthme et l’obésité chez l’enfant. Cependant les études sont peu nombreuses et peu concluantes, ce qui souligne le manque d’arguments pour évoquer une susceptibilité génétique dans l’asthme de l’obèse. De plus, compte tenu des différences ethniques observées dans la prévalence de l’asthme de l’obèse en pédiatrie, des études demeurent nécessaires pour identifier des polymorphismes génétiques ancestraux pouvant expliquer la très grande fréquence de cette pathologie chez les Américains d’origine hispanique ou africaine. Les facteurs épigénétiques sont mieux appréhendés et il est connu que la nutrition intra-utérine peut influencer le risque d’obésité chez le nouveau-né via des perturbations des systèmes de régulation endocrine et programmer le développement du tissu adipeux. L’association entre le poids de naissance et le développement d’obésité et d’asthme suggère fortement que la nutrition prénatale joue un rôle dans le développement de ces deux conditions même si le mécanisme diffère. Ainsi un poids de naissance bas (et aussi à l’inverse un poids de naissance élevé) est associé à un développement tardif de graisse abdominale et un IMC élevé à l’âge adulte. Même si un bas poids de naissance ne paraît pas être un facteur d’asthme à l’âge de 6 ans, cette condition est associée à un déficit de la fonction respiratoire à l’âge adulte, alors que d’autres études ont montré que de petits poumons étaient un facteur de risque d’asthme et d’épisodes de sifflements. Les prébiotiques et les probiotiques ont été discutés dans ce contexte de l’épigénétique mais ne sont pas encore validés. Asthme, obésité et microbiome On insiste actuellement sur des modifications diététiques qui affecteraient le microbiome intestinal de l’obèse asthmatique avec altération de la maturation du système immunitaire. Le microbiome bronchique est altéré chez l’obèse et l’IMC est corrélé à sa modification et à des taux plus bas d’éosinophiles pulmonaires. Les régimes alimentaires favorisant l’obésité sont classiquement riches en graisses et pauvres en fibres solubles, ce qui est associé à des changements du microbiome intestinal et des taux sériques d’acides gras à chaîne courte, sont diminuées dans l’intestin de l’obèse et dans le poumon de l’asthmatique. Un régime pauvre en fibres diminue les taux de propionate d’acide gras à chaîne courte, ce qui est associé à une inflammation bronchique d’origine allergique plus importante dans un modèle souris. À l’inverse l’augmentation de ces acides gras réduit les possibilités des cellules dendritiques à promouvoir des réponses immunitaires de type Th2 et l’inflammation bronchique liée aux allergènes. Dans d’autres études chez la souris un régime riche en fibres augmente les taux d’acétate, ce qui inhibe le développement de l’inflammation allergique par effets sur la déacétylase-9 et la fonction Treg. Pour certains auteurs enfin, l’administration précoce d’antibiotiques dans les premières semaines de vie est associée à des modifications du microbiome intestinal, à l’apparition d’un asthme et d’une obésité. Interventions sur le mode de vie et la perte de poids Les stratégies pharmacologiques ne sont pas différentes des recommandations internationales chez l’asthmatique obèse. Les interventions sur la perte de poids, qu’elles soient nutritionnelles ou chirurgicales, ont montré une efficacité variable sur le contrôle de l’asthme et la santé respiratoire de ces patients. Ainsi la réduction de l’IMC obtenue 1 an après chirurgie bariatrique entraîne une amélioration significative des scores de contrôle de l’asthme ACQ et ACT. Chez l’enfant une étude randomisée a montré une amélioration significative du contrôle de l’asthme en cas de restriction calorique de court terme par rapport à un groupe témoin. Enfin une récente étude a confirmé qu’une perte de poids d’au moins 10 % chez des adultes obèses asthmatiques non contrôlés était associée à l’amélioration du score ACQ et à une amélioration clinique. L’intervention était basée sur une perte de poids par régime et activité physique régulière. Ces faits sont confirmés par une métaanalyse de type Cochrane qui souligne cependant l’hétérogénéité des études et des divergences selon la population étudiée. Le profil évolutif de la pathologie peut diverger selon l’âge, le sexe, le type d’asthme (allergique ou non), le taux d’IgE, le sexe, voire l’ethnie. Figure 2. Relations entre obésité et asthme - Rôle de l’inflammation systémique. D’après Marko M et al. Adv Dermatol Allergol 2018. Conclusion • L’asthme de l’obèse est une entité fréquente mais complexe, faisant intervenir plusieurs phénomènes physiopathologiques, mécaniques, immunologiques, génétiques et environnementaux. • Quoi qu’il en soit, ce phénotype est caractérisé par des symptômes difficiles à contrôler, ce qui en fait le plus souvent un asthme sévère et rebelle aux traitements pharmacologiques conventionnels, dont les corticoïdes inhalés. • La prise en charge nécessite un contrôle de la surcharge pondérale et une intervention précoce à ce niveau chez l’enfant. • Il faut aussi prendre en compte les facteurs environnementaux et socio-économiques et privilégier la reprise d’une activité physique, cette prise en charge globale justifiant parfaitement un encadrement par l’éducation thérapeutique.

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