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ORL

Publié le 18 oct 2018Lecture 10 min

Les paralysies laryngées unilatérales postopératoires

Antoine GIOVANNI, Alexia MATTEI, Service ORL, CHU de la Conception, Marseille

La question d’une possible récupération de la motricité de la corde vocale est souvent centrale dans les discussions concernant la prise en charge des patients dans la phase initiale de la période postopératoire. De ce fait, la règle est souvent abusivement simplifiée avec proposition d’une rééducation orthophonique pendant plusieurs mois, puis chirurgie seulement en l’absence de récupération après ce délai. Il existe cependant une série de cas particuliers rencontrés en clinique qui nécessitent une approche plus personnalisée et surtout plus rapide d’autant que la question du mécanisme de la lésion du nerf pendant l’intervention est rarement renseignée de façon explicite.

La prise en charge des paralysies laryngées unilatérales peut faire référence à la recommandation de la SFORL(1) : « En l’absence de troubles de la déglutition mettant en jeu le pronostic vital, la rééducation orthophonique est la solution thérapeutique de première intention. La chirurgie est indiquée lorsque le résultat fonctionnel apparaît insuffisant au patient après un certain temps de rééducation. Les données scientifiques ne permettent pas de fixer ce délai. La chirurgie peut être indiquée rapidement en cas de dysphonie sévère ou de troubles de la déglutition en cas de section chirurgicale connue ou de lésion irréversible du nerf ». On voit que la référence est déjà plus nuancée puisqu’interviennent des notions comme les troubles de la déglutition et la notion de dysphonies sévères. Il n’est en particulier pas simple de refuser pendant 6 à 9 mois une approche chirurgicale qui permettrait au patient un retour rapide au travail ou qui diminuerait l’importance des fausses routes. Une des questions actuelles est donc : est-il possible de proposer une option chirurgicale alors que le pronostic de la récupération nerveuse n’est pas définitivement établi ? Existe-t-il une méthode fiable permettant de pronostiquer la récupération nerveuse ?   Pour la recommandation de la SFORL(1) concernant l’intérêt pronostique de l’électromyogramme (EMG) « on peut dégager un intérêt pronostique concernant la récupération nerveuse mais celle-ci n’est pas le gage de la récupération de la mobilité cordale. L’EMG peut aider à prendre une décision thérapeutique rationnelle ». Cependant la validité scientifique de l’EMG laryngé comme élément pronostique ou de monitorage n’est pas établie scientifiquement(2,3). Selon nous, l’EMG laryngé reste en réalité assez aléatoire du point de vue pronostique et de toute façon d’accès assez difficile pour la plupart des équipes. En pratique, sauf cas particuliers, il n’est guère possible de se reposer sur cette méthode pour prendre une décision thérapeutique. Quelle attitude adopter après une opération ? Le patient a été opéré pour une chirurgie passant à proximité du nerf et présentant un danger potentiel. Au soir de l’intervention, la voix est sensiblement normale. Il faut savoir que certaines immobilités de la corde vocale n’entraînent quasiment aucune dysphonie post-opératoire et que leur diagnostic peut être omis. Il importe donc de penser à cette immobilité et de pratiquer systématiquement un examen des cordes vocales comme une fibroscopie ORL. L’œdème postopératoire peut en effet combler la fuite glottique liée à la PLU et la dysphonie n’apparaîtra que dans les jours ou les semaines suivantes. Surtout le risque d’immobilité risque d’être méconnu et en cas d’intervention controlatérale (cas des chirurgies thyroïdiennes ou carotidiennes) une éventuelle paralysie postopératoire controlatérale correspondra alors à une diplégie avec des circonstances catastrophiques sur la respiration. Que faire après une opération pour chirurgie lourde ? Le patient a été opéré pour une chirurgie lourde (type chirurgie thoracique, par exemple), le statut peropératoire du nerf récurrent n’est pas précisé mais il présente des fausses routes à la déglutition et une voix quasi absente dans la période postopératoire immédiate. Avant même d’avoir pu faire le point sur la mobilité des cordes vocales, il convient d’éviter l’alimentation orale car le risque de pneumopathie est grand, aggravé par l’état pulmonaire précaire et une toux généralement inefficace. Au total, le pronostic vital peut être engagé dans ces situations et il peut être nécessaire de mettre en place une trachéotomie avec un ballonnet. Pendant l’interruption de l’alimentation orale, on peut mettre en place une sonde naso-gastrique puis envisager soit une gastrostomie, soit une alimentation parentérale sur voie centrale selon les habitudes des équipes. Lorsque le diagnostic est confirmé par l’examen en nasofibroscopie au lit du patient, une rééducation orthophonique doit être si possible initiée immédiatement pour éviter les fausses routes à la déglutition de la salive. Le bilan de la déglutition nécessite une nasofibroscopie avec des tentatives d’ingestion d’aliments de différentes textures pour essayer d’établir quelle texture est possible pour le patient. Il doit être réalisé au plus tôt et le médecin ORL est généralement le mieux placé pour cet examen. Dans certaines équipes une vidéofluoroscopie de la déglutition peut être proposée, notamment pour faire la part des troubles associés à la paralysie laryngée (troubles du recul de la langue, de l’ouverture du SSO, etc.). Dans ces situations sévères, la solution de la médialisation « en semi-urgence » est parfois évoquée. Que faire face aux fausses routes Il existe des fausses routes directes à la salive contre-indiquant la reprise alimentaire. Ces situations concernent les patients chez qui les fausses routes par inhalation sont clairement corrélées à l’immobilité laryngée unilatérale et ne sont pas améliorées par la rééducation orthophonique (figure 1). Dans ces situations relativement instables avec un patient souvent en mauvais état général, avec des fausses routes et une toux difficilement contrôlable à la déglutition de la salive, il est préférable de proposer une médialisation par injection sous anesthésie générale. Le choix de la substance à injecter a fait l’objet d’une abondante littérature et la situation n’est pas figée(4). Il existe les partisans des injections de substance résorbables comme la graisse ou l’acide hyaluronique. Malgré les différentes astuces techniques disponibles, il s’agit de techniques n’offrant qu’une solution transitoire. D’autre part, l’acide hyaluronique n’est pas disponible dans tous les établissements et certains patients doivent le payer de leur poche. Inversement, d’autres praticiens sont partisans d’injecter de l’hydro xyapatite qui est une substance plus lentement résorbable en 18 mois environ (figure 2). Figure 1. Aspect de paralysie laryngée unilatérale en ouverture chez un homme de 56 ans opéré d’une chirurgie œsophagienne deux mois auparavant.  Figure 2. Aspect endoscopique d’une injection de Radiesse® (hydroxyapatite). On observe cependant des cas où le produit se maintient plus durablement dans la corde vocale. De ce fait, il convient d’être particulièrement prudent car un passage du produit dans l’espace de Reinke (passage facilité par l’atrophie musculaire) risque d’entraîner une dysphonie définitive. Enfin, il n’existe guère plus d’indications pour le silicone et ses dérivés (Vox Implants, Téflon, etc.). Il existe une solution alternative qui n’est disponible que dans certains centres très spécialisés et qui n’est pas encore parfaitement codifiée. Il s’agit de l’injection d’une substance dans la corde vocale sous anesthésie locale, avec contrôle en nasofibroscopie. Une telle solution est probablement destinée à se diffuser plus largement avec les fibroscopes ORL à canal opérateur, mais elle reste encore confidentielle en France. Que proposer à un patient avec une dysphonie sévère et quelques fausses routes ? Le patient est en très bon état général et a récupéré son autonomie. Il est capable notamment de contrôler sa toux. Il souhaite une récupération rapide pour reprendre une vie sociale. Dans ces situations avec une corde vocale paralysée très écartée de la ligne médiane et donc de la corde vocale saine, la rééducation orthophonique est rarement efficace, même avec des techniques de manipulations laryngées. Il existe comme toujours quelques cas d’amélioration rapide sous rééducation, mais la physiologie n’est pas claire et il n’est pas démontré qu’il ne s’agisse pas d’une amélioration spontanée liée à une récupération spontanée partielle. Lorsque le patient fait beaucoup d’efforts pour essayer d’accoler « quand même » ses cordes vocales, il n’est pas rare de voir s’installer un comportement de forçage vocal qui est plutôt contreproductif et qu’il faudra prendre en charge ultérieurement. Il est donc préférable de prendre une décision rapidement avant que le patient ne s’épuise. D’autre part, le retour à une vie normale, professionnelle notamment, nécessite une proposition thérapeutique dans les quelques semaines qui suivent la consultation avant d’avoir la certitude que la corde vocale ne retrouvera jamais sa mobilité, certitude qui n’est guère acquise avant la fin de la première année. Dans ces situations, il est possible de proposer, soit une médialisation endoscopique soit surtout une médialisation chirurgicale par voie externe et en particulier la pose d’un implant de Montgomery(5)(figures 3 et 4). Figure 3. Implant de Montgomery.  Figure 4. Aspect du larynx du patient de la figure 1, après mise en place d’un implant de Montgomery. La médialisation endoscopique n’est pas différente de celle que nous avons proposée précédemment. Le choix d’une substance résorbable peut être fait de manière à ne pas compromettre une récupération ultérieure éventuelle. Cependant, en cas de bon résultat immédiat, il faudra prévoir ultérieurement un geste plus pérenne. Ce type de choix n’est pas accepté par tous les patients et devra être explicité de façon détaillée, mais il est possible aussi au prix d’une rançon cicatricielle minime de proposer un geste à la fois pérenne et réversible (implant de Montgomery). La technique est extrêmement simple et reproductible grâce à l’utilisation d’un matériel ancillaire parfaitement adapté. L’intervention est menée le plus souvent sous anesthésie locale pure avec une simple perfusion d’antalgiques. Il est parfois nécessaire d’associer un calmant léger. Le patient est donc éveillé et peut sonoriser pendant les essais des différentes tailles de prothèse, ce qui permet de choisir la prothèse la plus adaptée à la configuration glottique du sujet. Comme la plupart des équipes, nous ne monitorons le résultat qu’à l’oreille et nous ne réalisons pas de nasofibroscopie peropératoire toujours difficile à mettre en place et pénible pour le patient. D’autres techniques sont possibles comme l’utilisation d’un fragment de Gore Tex ou d’un implant sculpté extemporanément dans un bloc de silicone médical. Ces techniques sont plus complexes et moins confortables pour le chirurgien. Il existe encore d’autres méthodes plus anecdotiques et peu diffusées en Europe. Que peut-on proposer face à une dysphonie relativement légère qui ne gêne pas le patient dans sa vie sociale ? Il s’agit d’une situation relativement fréquente avec des patients qui présentent effectivement une immobilité laryngée unilatérale mais dont la gêne est modérée soit parce que leurs exigences vocales sont modestes (patients retraités, isolés, etc.), soit parce qu’ils ne ressentent pas la nécessité de poursuivre un traitement. Chez eux, la question de la poursuite de la rééducation se pose. Il n’existe pas de règle établie ni de « barême » en la matière, mais il semble licite de proposer au patient un suivi orthophonique peut être plus espacé que dans la phase aiguë (une séance tous les 15/21 jours, par exemple). L’évolution vers la récupération n’est bien sûr en rien affectée par l’absence ou la présence de la rééducation et cette évolution est parfois trompeuse. Certains patients ont une dégradation progressive de la voix du fait d’une amyotrophie progressive des fibres atteintes (il s’agit d’une atteinte nerveuse « périphérique »). D’autres, au con - traire, ont une récupération partielle du tonus liée à une ré innervation spontanée partielle qui ne parvient pas à redonner la motricité mais améliore sensiblement la voix, et en particulier la tenue vocalique. Dans tous les cas, on devra garder à l’esprit que la médialisation de la corde paralysée est une option que l’on peut offrir au patient mais que le choix dépend toujours de la gêne fonctionnelle telle que le patient la ressent. La rééducation orthophonique reste un élément essentiel de la prise en charge du patient et de sa guidance. Quelle est la place des réinnervations laryngées des paralysies laryngées unilatérales aujourd'hui ? Dans les paralysies unilatérales, la réinnervation n’a pas pour but principal de remobiliser le pli vocal mais de prévenir l’atrophie des muscles laryngés qui stabilisent l’aryténoïde(6). La technique la plus fréquemment décrite est la suture nerveuse de l’anse cervicale avec le nerf récurrent qui doit donc être retrouvé et sectionné. Elle est donc particulièrement indiquée en cas de section nerveuse connue, notamment chez des sujets jeunes dont l’espérance de vie est longue et les capacités de cicatrisation excellentes. L’inconvénient principal est le délai entre l’intervention et l’amélioration de la qualité de la voix (temps de la repousse axonale soit environ 4 mois). Pour permettre une amélioration vocale immédiate, en attendant le délai de régénération, il est possible de compléter le geste avec une médialisation par injection d’un produit résorbable. La place de ces techniques dans l’arsenal thérapeutique est encore à évaluer, mais il sera nécessaire dans l’avenir d’envisager cette option au moment de proposer un choix.

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