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Otologie

Publié le 14 mar 2018Lecture 10 min

Les surdités unilatérales et asymétriques

Denis GALLAS, Groupe hospitalier du Sud de l’Oise Senlis-Creil

La surdité unilatérale a été longtemps considérée comme n’entraînant pas de handicap, et il a d’ailleurs fallu attendre 2002 pour que la Sécurité sociale en France prenne en charge le second appareil en cas de surdité bilatérale.

La surdité unilatérale se définit comme une hypoacousie unilatérale, permanente et irréversible, de plus de 70 dB sur 3 fréquences consécutives entre 500, 1 000, 2 000 et 4 000 hertz, avec une audition controlatérale normale (seuils auditifs < 30 dB), avec une différence entre les deux oreilles de plus de 40 dB. La surdité asymétrique se définit comme une hypoacousie bilatérale, permanente et irréversible, de plus de 70 dB sur 3 fréquences consécutives entre 500, 1 000, 2 000 et 4 000 hertz sur la pire oreille, avec une surdité controlatérale comprise entre 30 et 55 dB, et une différence entre les deux oreilles de plus de 15 dB. La prévalence en est variable dans la population en fonction de l’âge. Le dépistage néonatal de la surdité rendu obligatoire depuis novembre 2014 retrouve environ 1 surdité pour 1 000 naissances, 70 % d’entre elles bilatérales et 30 % unilatérales. Avant ce dépistage, dans les années 1990, ces surdités unilatérales étaient diagnostiquées en moyenne vers l’âge de 5 ans, actuellement elles le sont vers l’âge de 6 mois. Un second pic de diagnostic se fait vers l’âge de 5 ans lors du dépistage scolaire de dernière année de maternelle, avec un contingent de surdités unilatérales permanentes ou non, apparues après la naissance (surdités évolutives, bouchons de cérumen, otites séro-muqueuses, séquelles d’otites, etc.). Causes de surdités unilatérales Les causes de surdités unilatérales sont nombreuses et leur retentissement variable. Dans plus de 50 % des cas, l’étiologie est inconnue à ce jour. • Surdités prénatales Ainsi, 15 % des surdités unilatérales sont des surdités prénatales : – génétiques : 2,5 à 10 % des surdités unilatérales (85 % des surdités bilatérales) sans mutation spécifique reconnue pour les surdités unilatérales ; – infectieuses : rougeole, rubéole et oreillons transmis in utero. La vaccination ROR en France tend à faire disparaître cette étiologie, ce qui n’est pas le cas dans les pays ou la vaccination n’est pas réalisée. Le CMV est actuellement la principale cause associant lésions labyrinthiques (auditives et vestibulaires) et lésions neurologiques dont la gravité est associée à la précocité  et à la charge virale de l’infection. Ainsi, 90 % des nouveaux-nés contaminés sont asymptomatiques à la naissance, mais 20 % d’entre eux développeront des séquelles progressives ; – malformatives dans 45 % des cas de surdité unilatérale congénitale, avec une fréquence élevée d’agénésie du nerf cochléaire, qui peut entraîner une surdité stable sévère à profonde et doit faire rechercher une pathologie ophtalmologique présente deux fois sur trois. • Surdités postnatales Au total, 85 % des surdités unilatérales sont des surdités postnatales : – infectieuses : labyrinthites virales (CMV++) ou bactériennes, méningites (80 % de pneumocoque), otites chroniques cholestéatomateuses ou non ; – traumatiques : fractures du rocher, commotions labyrinthiques, traumatismes sonores ; – tumorales : schwannome de l’acoustique ; – surdité brusque : de physiopathologie inconnue, touchant un Français sur 3 000, le plus souvent après 40 ans ; – la maladie de Menière. Pourquoi la surdité unilatérale est-elle un handicap ? À la différence de l’audition monaurale, l’audition binaurale permet la stéréophonie, qui est rendue possible par la perception des sources sonores par les deux oreilles séparées par le volume de la tête. La tête joue un effet d’ombre, qui entraîne la perception du son, avec une différence de temps inter-auriculaire (différence de longueur entre la source sonore et chaque oreille) et une différence d’intensité inter-auriculaire (atténuation du son par la tête suivant la localisation de la source sonore et par chaque oreille). La stéréophonie permet de localiser spatialement dans les 3 dimensions l’origine de la source sonore, particulièrement en milieu bruyant, et d’en apprécier la distance. Elle permet de ce fait une meilleure discrimination par le système nerveux central auditif de la parole dans le bruit, augmentant le rapport signal/bruit de 3 à 15 dB, variable suivant les individus. La binauralité entraîne une amélioration du seuil de détection auditif (sonie) par sommation binaurale de 3 dB au seuil de détection auditif (audiométrie tonale) et de 6 dB à un niveau supraliminaire confortable (audiométrie vocale). L’effet masque de la tête se fait principalement dans les fréquences aiguës, importantes pour la compréhension dans le bruit. En plus, l’audition monaurale est handicapante dans de nombreuses situations de la vie courante par limitation de la moitié du champ auditif ou lorsqu’il y a plusieurs sources simultanées de chaque côté de l’individu (réunions, restaurant, etc.). Les conséquences associées sont la diplacousie (dysharmonique par perception par les 2 oreilles d’un même son sous forme de hauteur différente, en écho par  perception par les 2 oreilles d’un même son séparé par un intervalle de temps), acouphènes, troubles de la posture et de l’équilibre avec fatigue (l’individu essaie de compenser par la vue et les mouvements de tête et du tronc, avec tensions musculaires en fin de journée), et altération de la qualité de vie par diminution des interactions sociales. Plusieurs études ont montré que les enfants ayant une asymétrie auditive avaient des performances scolaires moindres, un retard de langage (qui s’améliore mais de manière incomplète dans le temps) sans altération du QI, un taux de redoublement accru, et une augmentation des troubles comportementaux et des troubles de l’attention. Que peut-on proposer à un patient atteint de surdité unilatérale ou asymétrique ? Nous passerons rapidement sur l’abstention thérapeutique du côté de la pire oreille avec con servation du statu quo, qui s’avère toutefois la solution de très loin la plus fréquemment retenue par les patients, qui se sont « habitués » à cette situation ou ne veulent pas de solution audio-prothétique ou chirurgicale. Bien évidemment, nous rapprocherons de cette situation l’appareillage monophonique de la meilleure oreille en cas de surdité bilatérale asymétrique. Chez l’enfant scolarisé, le placement à l’école au premier rang du côté de la bonne oreille est souhaitable et la surveillance otologique (otites moyennes ou séreuses, bouchons de cérumen, etc.) et les bilans orthophoniques réguliers. La solution audio-prothétique : appareillage CROS ou biCROS Le système CROS (Controlateral Routing Of Signal) consiste à transférer le signal auditif de l’oreille sourde vers la bonne oreille. Cela nécessite un microphone du coté sourd non appareillable, dont le signal électrique est transmis sur un appareil auditif sur la bonne oreille (à embout ouvert sans amplification si oreille normale, avec amplification si nécessaire sur la meilleure oreille = système BiCROS [bilatéral CROS]). à noter l’existence de la possibilité d’un système TriCROS si la surdité est asymétrique avec récupération partielle et amplification d’informations auditives possibles de la pire oreille (généralement par restes auditifs sur les fréquences graves). Historiquement existant depuis 1964, avec transmission par fil électrique, actuellement transmission sans fil par Wifi. Cette solution audio-prothétique n’améliore pas la sommation des informations, mais améliore partiellement l’effet d’ombre de la tête et très partiellement le démasquage binaural. Elle n’améliore pas la localisation de la source sonore mais en permet la latéralisation. Elle n’a aucune action sur les éventuels acouphènes invalidants de la pire oreille. Elle n’est pas préconisée chez l’enfant avant l’âge du collège, du fait du risque de parasitage du bruit du côté de la pire oreille sur l’oreille saine. Elle a l’avantage de ne pas nécessiter d’intervention chirurgicale. Malheureusement, l’émetteur n’est pas pris en charge par la Sécurité sociale (ce qui n’ouvre surtout aucun droit à remboursement par les organismes complémentaires), étant considéré comme un accessoire (2 200 à 2 800 euros). Par expérience personnelle, les patients portent surtout cette solution de manière intermittente dans la journée, en situation de gêne maximale (téléopératrice avec casque sur la bonne oreille et surdité complète controlatérale pour lui permettre d’entendre ses collègues, étudiants en cours, restaurant, réunion, etc.). Les prothèses à ancrage osseux La transmission du signal auditif se fait par un processeur externe qui transforme le son en vibrations transmises par conduction osseuse par voie transcrânienne, en shuntant la transmission aérienne. Elle nécessite une intervention chirurgicale de pose d’implant biocompatible : – vis en titane qui doit s’ostéointégrer dans la corticale osseuse mastoïdienne (pas avant l’âge de 5 ans) avec pilier transcutané sur lequel se clipse le processeur externe : BAHA (Bone Anchored Hearing Aid) Cochlear et Ponto Oticon ; – soit par la pose d’un implant osseux avec aimant sous-cutané mastoïdien auquel le processeur externe est maintenu par aimantage transcutané : BAHA Attract Cochlear et Sophono ; – soit un vibrateur actif mastoïdien activé par un processeur externe qui code le son par voie transcutanée (Bonebridge MedEl). Le premier expose à des complications cutanées autour de la fixture qui nécessitent des soins d’hygiène réguliers (15 à 20 % des cas). Le second expose à une perte d’énergie lors du passage transcutané des vibrations. Le troisième est plus discret et serait meilleur sur les fréquences aiguës. Il ne semble pas y avoir de différences de résultats entre ces trois solutions pour cette indication. Le processeur peut être main tenu par un bandeau de serrage externe contre la mastoïde chez le jeune enfant avant 5 ans (corticale mastoïdienne trop « molle ») ou plus tard à visée d’évaluation d’efficacité avant intervention, en conditions réelles (mais atténuation de 15 dB). À noter la récente mise sur le marché d’un processeur Adhear MedEl qui sera fixé à la peau mastoïdienne par des patchs cutanés à changer régulièrement, ne nécessitant pas d’intervention chirurgicale, mais qui restera à évaluer. Il est en attente d’un éventuel remboursement après inscription à la LPP. Il paraît légitime de proposer une prothèse à ancrage osseux, après refus ou résultats limités avec un appareillage en CROS, et après une période d’essai avec bandeau. Une récente revue de la littérature publiée en 2017 évalue le risque de refus entre 32 et 70 % après une période d’essai en bandeau de plusieurs semaines. Les trois principales raisons invoquées en France sont le coût (3 500 à 4 000 euros pour le processeur, 9 000 euros pour le Bonebridge et plus en l’intervention chirurgicale), la nécessité d’un acte chirurgical et le préjudice esthétique. Le taux d’utilisation sur le long terme est faible et il n’existe pas de critère pré-opératoire prédictif d’un bon résultat. Il n’existe pas d’étude d’impact. La situation évoluera peut-être avec la récente alternative non chirurgicale (Adhear). Les prothèses à ancrage osseux n’ont aucune action sur les éventuels acouphènes invalidants de la pire oreille. L’implantation cochléaire À la différence des deux précédentes solutions qui transmettent le signal sonore sur la meilleure oreille, l’implant cochléaire vise à rétablir une audition sur la pire oreille et est donc la seule solution susceptible d’agir sur un acouphène invalidant. Le signal sonore est capté par un microphone, traité par un processeur vocal en contour d’oreille qui le code ; le codage est envoyé à l’antenne externe, qui le transmet à un récepteur sous-cutané implanté chirurgicalement puis convoyé vers un porte-électrodes (implantés chirurgicalement) introduit dans la cochlée par la fenêtre ronde, pour stimuler électriquement les fibres nerveuses cochléaires en shuntant les cellules ciliées. La stimulation électrique unilatérale transmise par l’implant nécessite une longue rééducation car différente de la stimulation naturelle de la meilleure oreille, avec laquelle elle va venir en compétition. Concernant les acouphènes invalidants, les premières études d’implantation unilatérale remontent à 2008. Ainsi, 95 % des implantés unilatéraux ont une amélioration de l’acouphène invalidant, avec suppression dans 34 % des cas, de manière durable. Le mécanisme ne passe pas par une réorganisation corticale après implantation, car la rémanence de cet effet ne dure pas plus d’une minute après coupure du processeur. Via l’implant cochléaire, le son est conduit jusqu’au nerf auditif qui le transmet au cerveau. L’implantation cochléaire améliore la localisation, la sommation, l’effet d’ombre de la tête. C’est la seule alternative pour améliorer les acouphènes invalidants de la pire oreille. Elle ne rétablit pas pour autant une audition binaurale stricto sensu. L’indication de l’implantation cochléaire pour surdité unilatérale ou asymétrique n’est pas prise en charge par la Sécurité sociale actuellement (coût de l’implant 22 000 euros + intervention). Outre l’intervention chirurgicale, elle nécessite de sélectionner les patients qui seront susceptibles d’effectuer la rééducation et les réglages du côté implanté de manière prolongée, en évitant les contextes dépressifs, après essai et échec de réhabilitation audioprothétique type CROS. De la connaissance de ces différentes solutions découlera la meilleure proposition de réhabilitation au patient, en tenant compte de son cahier des charges (vie professionnelle et personnelle, acouphène invalidant ou non…), des facteurs économiques liés à l’éventuelle prise en charge de l’assurance maladie obligatoire et des organismes complémentaires, au préjudice esthétique ressenti, à la nécessité ou non d’un acte chirurgical. D'après la conférence modérée par A. Nehme au congrès mondial d'ORL IFOS, Paris 2017

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