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Allergologie

Publié le 08 juin 2017Lecture 10 min

Allergènes moléculaires des venins d’hyménoptères

François LAVAUD, Reims

Les constituants des venins d’hyménoptères sont nombreux et comprennent des substances toxiques, des amines et des protéines dont le pouvoir allergisant est variable. Les allergènes peuvent être spécifiques d’espèces ou partagés et présenter des homologies de structure importantes qui les font reconnaître de la même façon par le système immunitaire du patient sensibilisé. Le diagnostic et le traitement des réactions anaphylactiques justifient que l’hyménoptère soit clairement identifié. L’apport des allergènes moléculaires a permis d’avancer, mais toutes les situations cliniques ne sont pas résolues.

Outils diagnostiques disponibles Histoire clinique Le diagnostic des allergies aux venins d’hyménoptères repose sur une symptomatologie clinique compatible avec une réaction allergique, confirmée par la preuve de la sensibilisation aux allergènes du venin. En France, les tests de provocation, tests de repiqûre, ne sont pas recommandés et réalisés. L’histoire clinique est éminemment variable allant de la réaction locale étendue au grand choc anaphylactique où le risque vital est engagé. Les réactions locales étendues ne justifient pas de bilan complémentaire à la recherche d’une sensibilisation, et de toute façon, elles ne déboucheront pas vers un traitement spécifique, immunothérapie allergénique (ITA) ou trousse d’urgence. En revanche, les réactions systémiques ou généralisées nécessitent des investigations allergologiques à la fois pour prouver la nature allergique IgE-dépendante des symptômes et pour incriminer l’hyménoptère responsable. En effet, l’insecte est rarement clairement identifié par le patient, hormis s’il est apiculteur ou parfaitement informé. Il est également rarement capturé pour reconnaissance et les planches dont dispose l’allergologue n’offre pas une garantie totale sur cette identification Tests cutanés Le bilan réalisé idéalement 6 semaines après l’accident, pourra se faire par tests cutanés en prick ou idéalement par voie intradermique et à concentration croissante. Le test cutané reste le gold standard car il est plus spécifique et plus sensible que les tests in vitro, mais sa réalisation nécessite un encadrement allergologique spécifique. La pratique en est longue, surtout s’il faut tester plusieurs venins. Le test cutané a une valeur diagnostique et il sert également à suivre le profil de réactivité du patient au cours d’une ITA. Les limites en sont le risque de réactions anaphylactiques lors de la réalisation et il n’élimine pas les réactions croisées entre venins. IgE spécifiques La preuve d’une sensibilisation peut aussi se faire par dosage d’IgE spécifiques pour les extraits de venins. On dispose de l’Immuno-CAP pour les venins d’abeilles, de guêpes Vespula, de guêpes Polistes dominulus et spp., de bourdons, de frelons Vespa crabro, ainsi que Dolichovespula maculata et Dolichovespula arenaria, deux espèces non rencontrées en France(2). La limite diagnostique des dosages d’IgE pour les composants naturels de venin repose essentiellement sur leur manque de spécificité. En effet, de nombreux allergènes sont présents dans les venins et un patient sensibilisé uniquement au venin d’abeille peut présenter des taux d’IgE spécifiques élevés pour la guêpe Vespula par réaction croisée, et inversemment. Ces dosages n’ont donc pas de valeur discriminative absolue et ne permettent pas en cas de positivité d’incriminer à coup sûr l’insecte responsable et d’orienter le schéma d’ITA si celle-ci est indiquée. Un autre risque de faux positif tient à la présence de déterminants antigéniques carbohydrates (CCD) qui réagissent sans pertinence clinique avec les IgE. Les CCD sont présents dans de nombreuses sources d’allergènes (venins, pollens, aliments, latex), et il est proposé de les doser en cas de polysensibilisation apparente ne concordant pas avec la clinique. Allergènes moléculaires Les venins d’hyménoptères ont donc très rapidement bénéficié du génie génétique et de l’analyse par composants allergéniques pour la mise à disposition d’allergènes recombinants utilisables essentiellement pour les techniques in vitro (tableau). Venin d’abeille Le venin le plus étudié est le venin d’abeille Apis mellifera qui a bénéficié d’analyses protéomiques et génomiques. Les allergènes les mieux caractérisés sont la phospholipase A2 (Api m 1), la hyaluronidase (Api m 2) et la mélitine (Api m 4). Ces allergènes moléculaires sont présents en quantité moyenne à élevée dans le venin d’abeille. Depuis quelques années, d’autres allergènes moins abondants mais pouvant expliquer des sensibilisations à l’abeille non apparentes par les techniques habituelles, ont été identifiés. Ce sont la phosphatase acide (Api m 3), une dipeptidyl peptidase-4 (Api m 5), la vitellogénine (Api m 12) et l’icaripine, spécifique de l’abeille (Api m 10) qui est riche en CCD. Très récemment, il a été démontré qu’il en existait au moins 9 isoformes transcriptionnelles réactives avec les IgE et présentes dans le venin. De moindre importance allergénique, un inhibiteur des protéases (Api m 6), une protéase (Api m 7), une estérase (Api m 8), une peptidase (Api m 9), une diestérase (Api m 9) et deux protéines majeures de la gelée royale (isoformes, Api m 11) ont pu être isolées. Parmi ces allergènes sont considérés comme majeurs car réagissant avec le sérum de plus de 50 % des patients sensibilisés : Api m 1, Api m 2, Api m 3, Api m 5 et Api m 10. Il est estimé que le dosage des IgE spécifiques pour ces 5 allergènes majeurs additionnés du dosage pour Api m 4 permet de détecter 95 % des patients allergiques à l’abeille. Mais le tableau peut être plus complexe et on estime qu’au moins 113 protéines et peptides sont présents dans le venin d’abeille, ce qui peut expliquer certaines situations individuelles, d’autant plus que la composition en protéines du venin est variable selon l’insecte et son environnement. Guêpe Vespula L’identification des composants allergéniques est moins avancée pour la guêpe Vespula. On a mis en évidence une phospholipase A 1 (Ves v 1), une hyaluronidase (Ves v 2.0101) et l’antigène 5 (Ves v 5). Récemment, un isoforme de la hyaluronidase a été identifié (Ves v 2.0201), porteur d’une mutation dans le site actif de l’enzyme. On dénombre également une dipeptidyl peptidase-4 (Ves V 3) croisant avec Api m 5, de même qu’une vitellogénine (Ves v 6) croisant avec Api m 12. Venin de bourdon Il ressemble au venin d’abeille. On connaît le séquençage de deux allergènes majeurs, la phospholipase A2 (Bom p 1) et une protéase (Bom p 4). Les phospholipases A2 de l’abeille et du bourdon possèdent de très larges identités, ce qui explique les réactions croisées entre les deux venins, alors qu’il n’existe aucune identité avec la phospholipase A1 de la guêpe. Venins de frelons et de guêpes Polistes Le venin de frelons et de guêpes Polistes est proche de celui de la guêpe Vespula et contient des phospholipases A1, des hyaluronidases et des antigènes 5 possédant tous des communautés importantes de séquençage en acides aminés. Sensibilité des allergènes recombinants commercialisés Actuellement, les recombinants disponibles pour un diagnostic in vitro de routine concernent les allergènes majeurs Api m 1, Api m 2, Api m 5 et Api m 10 pour l’abeille et Ves v 1 et Ves v 5 pour la guêpe Vespula. Le recombinant Pol d 5 concernant la guêpe européenne est également commercialisé. Il a été montré dans différents échantillons de populations que Ves v 1 et Ves v 5 permettaient de porter le diagnostic dans, respectivement, 92 et 96 % des patients allergiques à la guêpe Vespula. A contrario, la sensibilité d’Api m 1 est plus faible et ne permet le diagnostic que dans 58 à 80 % des patients allergiques à l’abeille. En effet, près de 3 patients allergiques à l’abeille sur 4 sont réactifs à plus d’un allergène majeur, et la population de patients rassemble 39 profils de réactivité différents. Il a donc été proposé pour l’abeille d’associer les dosages d’IgE spécifiques pour Api m 1, Api m 2, Api m 3, Api m 4, Api m 5 et Api m 10. On y gagne en sensibilité (95 %), mais le coût est majoré et l’association non conforme à la nomenclature française des actes de biologie. Problèmes des sensibilisations multiples Sensibilisations abeille-guêpe En pratique clinique, plus de 50 % des patients présentent une double positivité des tests cutanés et/ou des dosages d’IgE spécifiques pour les extraits de venin natifs de guêpe et d’abeille. Il peut s’agir d’une véritable double sensibilisation ou d’une réaction croisée. La présence de CCD dans les venins d’hyménoptères peut expliquer certains dosages d’IgE faussement positifs. Les allergènes recombinants sont dépourvus de CCD, et leur dosage peut dans ce cas redresser le diagnostic. Leur dosage intervient donc, dans un second temps, pour des patients apparemment sensibilisés sans pertinence clinique et réagissant à un composé riche en CCD comme le MUX F. Une autre cause d’erreurs repose sur l’existence de réactions croisées pour des venins possédant des allergènes communs ou très proches. Pour les abeilles et les guêpes, les hyaluronidases croisent entre elles (Api m 2 et Ves v 2), ainsi que les dipeptidyl peptidases (Api m 5 et Ves v 3) et les vitellogénines (Api m 12 et Ves v 6). En revanche, la phospholipase A2 est spécifique de l’abeille de même que la mélitine et l’icaripine, alors que l’antigène 5 n’est présent que dans le venin des guêpes. Il a donc été proposé de doser les IgE pour Api m 1 et Ves v 5 en seconde intention lors d’une double sensibilisation lorsque l’insecte n’a pas été identifié. Les profils de réactivité permettent d’identifier les patients monosensibilisés qui ne bénéficieront que d’une seule ITA ciblée par rapport aux véritables doubles sensibilisés qui seront orientés vers une double ITA, abeille et guêpe Vespula. Sensibilsation Vespula-Polistes Le problème est plus délicat et, à ce jour, non encore résolu pour les doubles sensibilisations Vespula-Polistes. On dispose certes des recombinants Ves v 5 et Pol d 5, mais de nombreuses études montent que leur communauté de séquence est importante et le dosage n’est pas discriminant. Il en est de même pour Ves v 1 et Pol d 1. Pour certains auteurs, le niveau de réactivité pour un antigène 5 par rapport à l’autre serait un marqueur utile, mais sans qu’une démonstration évidente puisse être établie. À ce jour, d’autres examens ont pu être proposés (techniques d’inhibition ou tests d’activation des basophiles), mais ils restent délicats à réaliser et, en cas de doute et en milieu exposé, une double ITA est retenue si la clinique le justifie. Sensibilisation non détectable Le clinicien peut se trouver confronté à une histoire clinique évocatrice d’une allergie au venin d’hyménoptères alors que le bilan demeure négatif. Pour la pratique des tests cutanés, il a été proposé de monter les doses de venin injecté par voie intradermique jusqu’à 1 μg mais on se rapproche des seuils de réaction cutanée normale. La situation est plus fréquente pour les dosages d’IgE spécifiques pour les extraits de venins. Une étude sur plus de 300 patients ayant présenté une réaction systémique après piqûre de Vespula n’a retrouvé que 83,4 % d’Immuno-CAP Vespula conventionnels positifs. Si on dose les IgE pour Ves v 1 et Ves v 5, la positivité atteint 96 %. Cette étude a permis de vérifier que Ves v 5 était sous représentée dans les extraits de venins de Vespula disponibles en Immuno-CAP et les nouveaux extraits sont à présent mieux calibrés sur leur teneur en Ves v 5. De même, les extraits de venins d’abeille disponibles pour ITA peuvent bénéficier d’un ajustement de leur composition à l’aide des recombinants. La sous-représentation, voire l’absence d’allergènes majeurs tels Api m 3 et Api m 10 a été évoquée dans des extraits allergéniques, liée aux procédés de fabrication, et justifiant des ajustements prenant en compte le dosage des allergènes majeurs. Prédiction de l’efficacité de l’ITA La décision de l’arrêt d’une ITA au venin est souvent problématique en l’absence de notion bien documentée de nouvelle piqûre bien supportée. La durée de l’ITA est habituellement de 5 ans, puis son arrêt dépend essentiellement du contexte clinique et reste un pari en l’absence de marqueur fiable de disparition de l’IgE-réactivité. Les échecs d’ITA concernent surtout l’abeille : peut-être par sous-représentation de certains allergènes dans l’extrait de venin et en raison de sa complexité. Le dosage d’IgG4 pour les recombinants du venin d’abeille peut être un marqueur sinon d’efficacité mais au moins du profil de réactivité pour l’extrait de venin utilisé et peut inciter à une adaptation du schéma thérapeutique. Ainsi, dans un panel de patients désensibilisés à l’abeille, on a pu observer une forte induction d’IgG4 pour les allergènes Api m 1 et Api m 4 alors qu’elle restait basse pour Api m 3 et Api m 10. Ces faits sont à rapprocher des constatations de mono-sensibilisations à Api m 3 et/ou Api m 10 affectant 4,8 % des patients allergiques à l’abeille. On peut alors s’interroger sur le choix d’un extrait de venin mieux ciblé pour ce type de patients. Conclusion Le dosage des IgE spécifiques envers les allergènes moléculaires des venins d’hyménoptères est indéniablement un outil diagnostique utile mais qui garde ses limites. Ce dosage n’a pas sa place lorsque l’histoire clinique est claire et que la sensibilisation à l’insecte responsable est prouvée. En revanche, le dosage permet de débrouiller en 2e, voire 3e intention, les apparentes poly-sensibilisations mais, à ce jour, uniquement entre abeille et guêpe. La mise à disposition d’allergènes plus spécifiques ou de dosages multiples devrait permettre de gérer ces situations, et peut-être de prédire de l’induction d’une tolérance immunitaire sous traitement.

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