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ORL

Publié le 01 nov 2015Lecture 12 min

Les dysfonctions des cordes vocales

V. WOISARD, ORL phoniatre, unité de la voix et de la déglutition, service ORL, hôpital Larrey, CHU de Toulouse

Le syndrome de dysfonctionnement des cordes vocales est une dénomination utilisée parmi d’autres pour décrire un mouvement paradoxal d’adduction des cordes vocales au moment de l’inspiration (MAPCV). En effet, ce syndrome, décrit de manière sporadique depuis 1974, fait l’objet de publication de séries dans le domaine de la pneumologie sous ce nom. Le terme de dysfonction des cordes vocales ne renvoie pas un cadre nosologique consensuel.

Le syndrome s’inscrit dans le cadre des dysfonctionnements laryngés respiratoires et il est associé à une diversité de dénominations recoupant plus ou moins les mêmes tableaux cliniques : « dyskinésie laryngée épisodique » (Ramirez et coll.,1986), « mouvement paradoxal des cordes vocales  » (Rogers et Stell, 1978), « faux asthme » (Downing et coll., 1982), « dysfonctionnement des cordes vocales » (Newman et coll., 1995), « laryngospasme paroxystique épisodique » (Gallivan et coll., 1996), « obstruction fonctionnelle des voies respiratoires » (Appelblatt et Baker, 1981), « larynx irritable » (Morrison et coll., 1999)... En dehors, des dysfonctionnements laryngées respiratoires, les dysfonctions des cordes vocales sont également très fréquentes lors de la phonation. Par exemple, les dysphonies par tensions musculaires laryngées sont une des manifestations des dysphonies dites dysfonctionnelles. Ainsi, le larynx peut présenter des dysfonctionnements survenant exclusivement ou prédominant sur une des fonctions auxquelles il participe.   L'association de nombreux symptômes Le cadre nosologique est d’autant plus difficile à authentifier que de nombreuses associations de symptômes sont observées. Lorsque l’on retient comme éléments clés de l’histoire clinique (Andrianopoulos et coll., 2000), l’incapacité à respirer pendant la phase inspiratoire et l’observation d’une adduction paradoxale des cordes vocales en dehors d’une pathologie laryngée ou neurologique spécifique, les symptômes associés à la dyspnée inspiratoire sont : – dans plus de 50 % des cas, un stridor, une sensation d’étouffement, une détresse respiratoire, une toux et une aphonie épisodique et aiguë ; – dans plus de 35 % des cas, une dysphagie, une sensation de gorge serrée, un reflux gastroœsophagien ; – et dans environ 20 % des cas, un enrouement, des maux de tête, un hemmage, des laryngospasmes ou une fatigue. Les comorbidités ou les pathologies coexistantes recensées sont alors principalement l’asthme (66 %) et un contexte infectieux viral (63 %), mais aussi un reflux gastro-œsophagien (37 %) ou d’autres problèmes gastro-intestinaux (33 %), des allergies (29 %) et/ou des troubles psychologiques ou psychiatriques (22 %). Murry et coll. (2010) dans une analyse rétrospective de 38 patients inclus sur la visualisation à l’examen nasofibroscopique d’un mouvement d’adduction paradoxal des cordes vocales décrit des résultats similaires. Ces symptômes étaient associés au niveau laryngé à l’observation d’un œdème de la margelle postérieure dans tous les cas, une parésie d’une corde vocale dans 18 % des cas, une atrophie cordale dans 10 % des cas et à 1 cas de dysphonie par tension musculaire. Dans ce contexte et en l’absence de prise en charge thérapeutique spécifique, la recherche d’une base théorique et de modèle permettant de conceptualiser les relations entre les différents syndromes a donné naissance à plusieurs hypothèses.   Des propositions de modélisations • Morrison et coll. (1999) ont proposé par analogie avec le concept de l’intestin ou du côlon irritable (Bonaz, 2003 ; Sinagra et coll., 2012), l’hypothèse du « larynx irritable» (LI). L’intestin ou le côlon irritable représente 25 % des motifs de consultation en gastroentérologie. Sa cause n’est pas encore complètement élucidée : elle est reconnue comme plurifactorielle, avec la participation de facteurs de stress et environnementaux. Sa prise en charge répond au modèle biopsychosocial du fait de l’association dans sa genèse de la modulation du stress lié aux interactions cerveau-tube digestif et de l’état émotionnel avec ses facteurs psychologiques. Cela a donné naissance à une approche thérapeutique orientée vers des traitements psychopharmacologiques et des thérapies psychosociales, les deux ayant pour but de réduire la perception du stress. Ce concept appliqué au larynx relie la toux chronique, la dysphagie, le globus, le mouvement paradoxal d’adduction des cordes vocales au moment de l’inspiration (MAPCV) et la dysphonie en un ensemble de symptômes secondaires à un larynx hyperfonctionnel. Cette « hyperactivité » serait réactionnelle à des changements au niveau du système nerveux central associant une hyperexitabilité des circuits sensorimoteurs et une diminution des possibilités de régulation par les neurones centraux. Morrison et coll. (1999) ont proposé un modèle dans lequel les changements de plasticité cérébrale au niveau des réseaux du tronc cérébral contrôlant le larynx, peuvent être déclenchés par différentes causes telles que le reflux gastro-œsophagien, les troubles psychologiques, l’utilisation de mauvaise posture ou des affections virales (figure 1).   Figure 1. Modélisation du « larynx irritable » proposée par Morrison et coll. (1999). La zone du système nerveux central contrôlant le larynx est dans un état de base hypertonique, hyper-réactif mais non déclenché. Des facteurs agissant par le biais du tonus musculaire global vont moduler la réactivité du système et des facteurs irritants vont alors intervenir comme déclencheurs.   • Andrianopoulos et coll. (2000) formulent l’hypothèse que le MAPCV serait un autre sous ensemble à côté du larynx irritable. D’autres auteurs (Blager, 2000 ; Vertigan et coll., 2006) n’intègrent pas les tensions musculaires laryngées dans le même ensemble, la dysphonie n’étant pas authentifiée comme une plainte significativement présente chez les patients présentant un MAPCV. Bien que des différences significatives infracliniques aient été suggérées par des travaux sur les paramètres vocaux (Yelken K et coll., 2010). Enfin, en intégrant leur approche sur la toux à ces discussions, Vertigan et Gibson (2011) évoquent une forme de neuropathie sensorielle, rejoignant partiellement le modèle de Morrison et coll. (1999), avec l’hypothèse d’une sensibilisation centrale du réflexe de toux. Chez les athlètes, la survenue d’un tel syndrome revêt un caractère particulier devant la fréquente association à un bronchospasme, authentifié dans environ 55 % des cas, induit par l’effort (Newman et coll., 1995 ; Rundell et Spiering, 2003). L’hypothèse émise par Wilson et Wilson (2006) est l’exagération pathologique du mécanisme de compensation observée dans les bronchospames : le rétrécissement de la glotte. Cette exagération serait à l’origine du MAPCV, ce qui irait bien dans le sens d’une dérégulation des systèmes de contrôle des réseaux laryngés dans la fonction respiratoire. Ainsi, la notion d’une dérégulation du contrôle des réflexes laryngés est acceptée comme modèle explicatif. Cependant, la complexité de la physiologie laryngée, dépendante de la fonction impliquée, ne permet pas une généralisation telle qu’elle est décrite dans le concept du « larynx irritable ». Il n’y a donc pas encore de modélisation permettant de poser un cadre et d’expliquer les relations entre les différentes situations cliniques observées en pratique clinique. Nous traiterons ici le principal dysfonctionnement laryngé pouvant survenir de manière isolée lors de la ventilation : le MAPCV. Ce syndrome est caractérisé par un rapprochement des cordes vocales survenant paradoxalement au moment de la respiration, prédominant sur l’inspiration, mais pouvant se prolonger sur l’expiration.   Les symptômes du MAPCV La manifestation clinique principale est une dyspnée aiguë à prédominance inspiratoire évoluant sous la forme de crises récidivantes. Le caractère inspiratoire de la dyspnée est fondamental pour pouvoir évoquer le diagnostic. En général d’apparition brutale, elle est parfois associée à un facteur déclenchant, le plus souvent l’effort physique. La durée de la crise est variable. Plus elle est brève et intense, plus elle orientera vers un spasme. Elle dure en général une trentaine de minutes à quelques heures. Elle est rarement chronique, mais quasi permanente pendant plusieurs mois. Elle est, dans la majorité des cas périodique, les épisodes survenant de manière irrégulière, avec une prédominance diurne. La dyspnée peut s’accompagner d’un stridor. Une dysphonie (aiguë ou chronique) n’est pas systématiquement associée comme le montre l’étude de Mirasola et coll. (2008). Ces auteurs ne mettent pas en évidence d’impact significatif du MAPCV sur les scores d’un questionnaire de qualité de vie relatif aux problèmes vocaux.   Le diagnostic Le diagnostic est assuré au mieux par l‘examen du pharyngolarynx chez un patient en crise permettant la visualisation du mouvement paradoxal. En dehors des crises, la sensibilité à cet examen sera majorée par des manœuvres de provocation (respiration forcée et/ou rapide, répétition de phonèmes, efforts à glotte fermée répétés rapidement, etc.). L’observation d’un mouvement d’adduction paradoxal à l’inspiration permettra alors de poser le diagnostic (Andrianopoulos et coll., 2000) (figure 2).   Figure 2. Examen laryngé au cours d’une crise. A, B et C : ouverture laryngée normale par abduction des cordes vocales. A : lors de la reprise inspiratoire à la parole. B : lors de la toux. C : sur les reniflements. D, E : lors de la respiration au repos ou à l’effort. D : à l’inspiration, les cordes vocales sont en adduction complète et étirées. E : à l’expiration, les cordes vocales s’entrouvrent. F : en phonation, l’adduction est complète mais avec une glotte de forme différente. Les cartilages sont en plus légèrement basculés en avant et en dedans pour permettre un rapprochement entre les apophyses vocales. Les cordes vocales sont moins étirées (dans le sens antéro-postérieur).   La dynamique laryngée est normale dans les autres situations fonctionnelles du larynx (phonation, toux, etc.). En dehors de la crise, ce même examen permettra dans tous les cas d’éliminer une cause organique ORL. De la même manière, un examen pneumologique permettra de préciser l’association ou non à une pathologie pulmonaire. Des explorations fonctionnelles préciseront notamment la présence d’une hyper-réactivité bronchique (test à la méthacholine) et d’un asthme. Les courbes débit-volume en crise révèlent une amputation de la courbe inspiratoire qui devient plate. Une sensibilisation de ce test par les mêmes exercices que ceux décrits avec la nasofibroscopie, peut être réalisée apportant des arguments en faveur du diagnostic (Woisard, 1998).   Les hypothèses étiologiques Le MAPCV peut être isolé ou associé à d’autres pathologies, laissant ouvertes les discussions concernant les mécanismes physiopathologiques et les étiologies de ce syndrome. Isolé, le tableau clinique typique survient chez un adulte jeune, voire un adolescent, avec une nette prédominance féminine. Des facteurs psychologiques sont souvent associés. Les traitements médicaux sont inefficaces. Associé à une autre pathologie, il en modifie le tableau clinique en renforçant la dyspnée dans sa composante inspiratoire. Les pathologies auxquelles il est souvent associé sont : – les autres causes de dyspnée d’origine pneumologique ou laryngée avec, au premier plan, l’asthme pour le versant pneumologique et les diminutions de mobilité laryngée pour l’ORL ; – les pathologies neurologiques avec hypotonie du carrefour aérodigestif ou avec des mouvements anormaux (pour ces formes frontières, il s’agit alors plutôt d’un diagnostic différentiel) ; – les crises d’angoisse. Les mécanismes physiopathologiques restent indéterminés avec l’association probable de plusieurs facteurs : – mécaniques : les perturbations aérodynamiques, avec l’augmentation du débit d’air inspiratoire favorisent sur le plan physique le rapprochement des plis vocaux ; – psychologiques : le profil psychologique des patients révèle fréquemment une fragilité d’ordre névrotique, avec dans certains cas une pathologie psychiatrique patente ; – neurologiques : avec des formes frontières par rapport aux pathologies des mouvements anormaux. De nombreuses études sur MAPCV et asthme font également état de la forte association avec le reflux gastro-œsophagien et les rhinites. Cette association est également retrouvée chez les patients présentant un asthme léger (Parsons et coll., 2010). Dans ce contexte, une adduction des cordes vocales à l’inspiration a été observée en vidéolaryngoscopie chez 60 % des personnes présentant un asthme léger à modéré, bien que peu d’entre eux décrivent un stridor ou une dysphonie. La présence du MAPCV est donc souvent non décelé parmi les symptômes de l’asthme, alors que sa prise en charge pourrait réduire les traitements de celuici. De fait, les patients avec asthme associé rapportent plus de symptômes pouvant être en rapport avec la majoration des traitements liés à l’absence de reconnaissance et de prise en charge adapté du MAPCV (Benninger et coll., 2011).   La prise en charge Les traitements médicaux se sont révélés jusqu’ à présent inefficaces. La littérature fait état de traitement symptomatique majeur comme le recours à la trachéotomie devant l’importance de la dyspnée (Maillard et coll., 2000 ; Altman et coll., 2000). Dans les formes isolées, ce type de traitement doit pouvoir être évité car il n’y a pas de risque vital. En phase aiguë, la gestion de l’angoisse imminente de mort en rapport avec la sensation d’asphyxie est primordiale. Cette étape de réassurance devra être accompagnée : – du contrôle de tous les facteurs susceptibles d’être une épine irritative ; – de l’élimination de tout médicament qui pourrait majorer l’anxiété. Si la situation reste critique, la toxine botulique est parfois utilisée pour réduire le stridor et la dyspnée. Les doses utilisées sont similaires à celles des dystonies laryngées. En phase subaiguë ou chronique, les programmes de prise en charge spécifiques décrits dans la littérature relève des thérapies comportementales (Gallivan et coll., 1996 ; Andrianopoulos et coll., 2000 ; Buddiga, 2003). Elles ont pour objectif d’aider le patient à identifier le comportement qui doit être modifié et à développer de nouvelles stratégies pour ne pas reproduire le comportement inspiratoire inadapté. Ils sont tous basés sur l’apprentissage de techniques de relaxation laryngée et sur des exercices de gestion de la respiration au repos, lors des efforts, puis en situation de parole. Il s’agit de traitements de fond, réalisés plutôt en dehors des crises, selon un planning bien défini avec le patient. Ces techniques sont en cours de diffusion en France, surtout au niveau des orthophonistes mais aussi des kinésithérapeutes.

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