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ORL

Publié le 10 jan 2017Lecture 13 min

Principes de rééducation d’une paralysie faciale périphérique

D. PICARD*, J. SILVAIN*, E. LANNADÈRE*, I. BERNAT**, F. TANKÉRÉ**, G. LAMAS**, P. GATIGNOL*,***, *orthophonistes, **ORL, ***docteur en neurosciences, service ORL et otoneurologie, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris

La paralysie faciale périphérique impacte significativement la qualité de vie des patients. Les répercussions, physiques et psychologiques, entravent quotidiennement leur communication verbale et non verbale. Les rééducateurs habilités à prendre en charge la paralysie faciale sont des professionnels paramédicaux qui travaillent sur prescription médicale. Rares sont pourtant les patients orientés vers des rééducateurs après leur consultation médicale. Pour quelles raisons ? Cette rééducation est-elle méconnue ? Est-elle forcément nécessaire ?

Le bilan Effectuer un bilan médical et rééducatif normé est la condition sine qua non d’une rééducation optimale. L’analyse détaillée des perturbations et des capacités préservées de chaque patient (signes subjectifs et objectifs) permet d’établir un diagnostic de sévérité et de mettre en place les exercices et les massages adaptés. Des modifications de traitement suivront l’évolution de la récupération. • L’examen clinique, étape essentielle du bilan, permet de rechercher une asymétrie pathologique au repos et d’apprécier la motricité automatique et émotionnelle en situation écologique. Enfin, la motricité volontaire est appréciée. Le grading de House-Brackmann s’est imposé comme la classification de référence pour les paralysies faciales périphériques (PFP) depuis 1985, mais demeure insuffisante pour un rééducateur. • Le bilan en préthérapie se compose d’une évaluation de la motricité bucco-linguo-faciale MBLF(1), Sunnybrook(2), d’une mesure de la pression bilabiale (à l’aide d’un peson) et d’une évaluation de l’articulation et de la déglutition(3). Les objectifs du traitement visent à répondre aux besoins du patient, à promouvoir une récupération fonctionnelle, et à prévenir ou limiter les séquelles de la PFP (tableau 1). Les résultats de l’électromyographie faciale doivent toujours être interprétés en fonction du contexte clinique, en particulier de la durée entre la date de l’examen et celle du début de la paralysie. Le rééducateur, sensibilisé à la physiopathologie de la lésion nerveuse, restera donc vigilant à ce contexte clinique (tableau 3).     Les modalités de prise en charge La précocité de la rééducation est un facteur pronostic de récupération(3). Dans l’idéal, elle débute précocement dans les 15 jours de survenue de la paralysie faciale (quel que soit le grade initial). La rééducation quotidienne se poursuit intensément pendant 18 mois en moyenne(3). Elle est individuelle et personnalisée en fonction du degré de l’atteinte, de l’étendue des troubles, du potentiel de récupération et de la motivation du patient.   La prise en charge initiale   • Paralysie faciale idiopathique flasque Dans un premier temps, le thérapeute aborde l’anatomie et la physiologie de la face. Il informera le patient des conduites à tenir (massages et exercices) et à proscrire. La protection oculaire est une priorité, en particulier la nuit. Il est indispensable d’expliquer au patient comment alourdir sa paupière et la maintenir fermée, en y superposant plusieurs couches horizontales de micropore. Un traitement à base de larmes artificielles, de collyres et de pommades ophtalmiques lubrifiantes à la vitamine A est vivement recommandé. Les injections de toxine botulique dans le muscle releveur de la paupière supérieure ou des techniques chirurgicales (mise en place d’une plaque d’or, blépharoplastie, canthoplastie latérale) assureront un ptosis thérapeutique. Quant à la tarsorraphie, souvent retrouvée dans la littérature, elle présente un handicap esthétique(13).   • Les massages Les massages sont les éléments fondamentaux de la rééducation (figures 1 et 2). De plus, ils préviennent les contractures lors du travail des insertions musculaires. Le patient doit pouvoir reproduire ses propres massages quotidiennement, 10 à 15 minutes (encadré).   • Les massages externes sont réalisés des deux côtés du visage pour détendre le côté paralysé et réduire l’hypertonie issue de la surmobilisation du côté sain. Les massages respectent le sens des fibres : du centre du visage vers la périphérie, de haut en bas (du front à la houppe du menton). Les trois zones du visage sont travaillées: la zone front-oeil, nez-joues et bouche-menton-cou. À l’aide d’une crème neutre et fluide, les différents mouvements seront effectués 3 à 5 fois de suite, lentement, avec une pression assez forte. • Les massages internes, effectués avec la pince pouce-index, se composent de 7 mouvements successifs répétés 3 à 5 fois: un mouvement horizontal, puis des arcs de cercle progressivement rétrécis jusqu’à la commissure de la lèvre et 4 mouvements linéaires.     La prise en charge approfondie   • La Neuromuscular Retraining (NMR) Décrite par H.J. Diels(7), la Neuromuscular Retraining s’est révélée très bénéfique. Cette rééducation fonctionnelle propose un programme personnalisé qui permet le développement du contrôle cortical des mimiques faciales, mais aussi la réhabilitation du sourire dans les situations de communication de la vie quotidienne. Le feedback visuel fourni par le miroir améliore la perception de l’information sensitive et renforce le rétrocontrôle des schèmes moteurs du mouvement attendu, ce qui favorise la réorganisation cérébrale dans le cortex sensorimoteur. En regardant son reflet dans le miroir, le patient doit réellement se réapproprier les gestes. Il devient capable d’ajuster la réalisation de ses mouvements et d’obtenir une meilleure symétrie du visage en comparant ses deux hémifaces.  • La Mime Therapy C’est une technique de réhabilitation hollandaise créée par le mime J. Bonk et l’ORL P. Devriese, afin de traiter les séquelles de la PFP et de symétriser le visage aussi bien au repos qu’en mouvements. Des essais randomisés ont permis de prouver l’efficacité de la méthode(10). Il s’agit d’une rééducation quotidienne qui combine des automassages faciaux, des exercices de relaxation et de praxies des deux hémifaces. Comme pour la NMR, les petits mouvements contrôlés et lents sont préconisés. L’articulation et les autres fonctions oromyo-faciales sont également travaillées (tableau 2).   • Les différents stades de la rééducation Il est important de ne pas omettre des stades afin d’éviter tout risque de séquelles. La durée de chaque étape est variable (tableau 2).   • Le travail musculaire analytique À l’instar des massages, le programme des praxies est réalisé chaque jour à domicile. Des séries de 10 à 20 mouvements sont mises à jour régulièrement. Mieux vaut préférer la précision du mouvement à la quantité, dans la mesure où la charge électrique de la fibre est de courte durée. Travailler devant son miroir est fondamental pour vérifier, ajuster et contrôler corticalement le mouvement. Cette prise en charge nécessite un effort d’assiduité de la part des patients. La symétrie du visage est assurée par la progression suivante : – réalisation du mouvement simultanément des deux côtés ; – exécution du mouvement alternativement en respectant la symétrie du visage: le travail est particulièrement soigné au niveau des lèvres ; – dissociation et intégration des mimiques émotionnelles.   La prise en charge séquellaire Quatorze pour cent des patients paralysés présentent des séquelles minimes et 16.% des séquelles graves. Ces séquelles, spasmes et syncinésies, peuvent apparaître du 5e au 10e mois, modifiant ainsi les stratégies rééducatives. Les hypertonies sont malheureusement fréquentes chez des patients consultant tardivement ou après une thérapie par stimulations électriques. Il n’est en aucun cas trop tard pour réadapter un visage.   • Les syncinésies Les syncinésies sont des contractions involontaires d’un groupe musculaire, lors de mouvements volontaires du visage, impliquant un autre groupe musculaire. Elles résultent d’un défaut de transmission éphaptique. Le plus fréquemment, on observe une élévation de la commissure labiale lors de l’occlusion palpébrale ou une occlusion palpébrale lors de la protrusion des lèvres. Elles sont extrêmement gênantes pour le patient, d’autant plus qu’elles majorent les déformations esthétiques du visage. Les massages s’axeront sur les étirements des tissus musculaires raccourcis secondairement par des modèles anormaux de mouvements. Inhiber les muscles qui travaillent en synchronie, en effectuant un mouvement antagoniste permet de limiter la syncinésie. Le patient apprend à repérer la syncinésie grâce au miroir. Dès qu’elle apparaît, il doit maintenir le mouvement volontaire jusqu’à ce que la syncinésie cesse. Puis il relâche le mouvement initial en mettant le regard opposé à la paralysie.   • L’hémispasme L’hémispasme est une contraction spasmodique, involontaire, intermittente et irrégulière des muscles de l’hémiface paralysée. Il se manifeste progressivement dans les cas de paralysies sévères. La force bilabiale très nettement supérieure à la norme (> 400 Newtons au dynamomètre) est caractéristique de cette spasticité. Le « toucher thérapeutique » révèle les contractures (tension rigide sur quelques centimètres). La thermothérapie, au stade de séquelles, détend les muscles et prépare leur étirement. Il conviendra de faire «palper» et de comparer l’épaisseur des deux joues (figure 3). Les massages, davantage ciblés en endobuccal, ont pour but de défaire les adhésions des tissus fibreux et de réduire l’épaisseur de la joue. En utilisant la pince pouce-index, on soulève et étire la partie musculaire spastique en arc-de-cercle. On libère ainsi les insertions motrices en égrainant et en cassant la fibre rigidifiée. Un risque de saignement muqueux existe. Les patients devront être avertis de la douleur issue de ces massages internes qui s’atténuera au fur et à mesure de la pratique. Les massages seront proposés pendant minimum 3 mois. En cas d’échec, le recours à des injections de toxine botulique pourra être vivement conseillé. Une photographie vue du dessus est pertinente pour juger objectivement de la régression du spasme (impression d’oedème sur la pommette) (figure 3). • La toxine botulique Elle agit sur les plaques neuromusculaires et les faisceaux musculaires en paralysant les nerfs moteurs et en provoquant une paralysie flasque. La HAS recommande l’injection de toxine botulique au niveau de la face et des paupières dans le cadre d’un traitement des séquelles des PFP. La toxine, dont les effets sont positifs, n’est envisagée que dans 3 conditions : - la protection cornéenne par injection dans le releveur de la paupière supérieure ; - le traitement du spasme et des syncinésies ; - la symétrisation du visage par injection du côté sain (rare)(14).   Cas particulier de la grossesse Phénomène méconnu, les femmes enceintes ont 3,3 fois plus de risques de présenter une PFP idiopathique. Les patientes sont principalement touchées lors du 3e trimestre ou en postpartum. Une prise en charge orthophonique précoce est nécessaire pour éviter les séquelles dont les conséquences multiples touchent à la fois la mère et l’enfant mais également leur communication au sein de la dyade. De plus, les répercussions psychologiques de la PFP peuvent entraîner des troubles de la relation mère-enfant (d’après P. Gatignol et coll.).   Rééducation après chirurgie réparatrice Lorsqu’une PFP est complète, définitive et que le nerf n’est pas réparable, une chirurgie réhabilitatrice de la face, dite palliative, est indiquée. Elle n’est envisagée qu’au terme d’un parcours décisionnel réfléchi (figure 4).   • La réhabilitation après anastomose hypoglosso-faciale (AHF) D’après P. Gatignol et co ll . (2011)(3), une rééducation précoce (J + 1 après chirurgie) de la langue puis de la face optimise la réinnervation, tout en minimisant les séquelles liées à la section de l’hypoglosse. La rééducation précoce est toujours préférable mais les patients vus tardivement peuvent voir très nettement s’améliorer leur motilité linguale et leur motricité faciale. Obtenir des déplacements de l’apex sagittaux, verticaux et horizontaux nécessite un travail praxique quotidien. Les trois premiers mois sont exclusivement basés sur ce travail lingual et la détente de l’hémiface saine. Puis la coordination avec appui lingual derrière les incisives permettra l’occlusion palpébrale et la mobilisation de la commission lors du sourire. Les massages, similaires à la situation des PFP flasques, auront également une place capitale dans la réhabilitation. Les résultats (symétrisation et sourire) apparaissent vers 4 mois lors d’une AHF précoce (< 12 mois)(3).   • La myoplastie d’allongement du temporal (MAT) La récupération du sourire indépendamment des mouvements mandibulaires est l’objectif principal de la MAT. Le muscle temporal, en perdant sa fonction masticatrice (qui n’implique dorénavant que les muscles masséters et les ptérygoïdiens), assure la fonction de releveur de la lèvre supérieure. Comme le sourire est déclenché par un muscle masticateur et non un muscle d’expression faciale, la mimique spontanée s’avère dans un premier temps impossible. Cette motricité spontanée nécessitera une rééducation spécifique intense (répétition d’exercices 4 fois/j). La prise en charge rééducative du sourire, composante majeure des codes sociaux de communication, se présente selon deux axes : - la restauration du mouvement labial via la contraction du muscle temporal transféré ; - l’intégration de la motilité retrouvée à la fonction sourire, qui est intègre au niveau cortical. La répétition des mouvements en situation favorisera la réorganisation cérébrale et a fortiori la spontanéité du mouvement. Le changement de fonction suit 3 étapes : - le sourire mandibulaire (4 semaines environ): une mobilisation mandibulaire est nécessaire pour qu’une contraction du temporal transféré provoque une élévation commissurale ; - le sourire temporal volontaire : la contraction temporale volontaire est obtenue indépendamment des déplacements mandibulaires. Le sourire doit devenir aussi symétrique que possible ; - le sourire temporal spontané (vers 4 mois) : on vise un sourire spontané indépendant d’une mobilisation mandibulaire. Le patient doit perdre ses attitudes d’évitement du sourire et présenter une bonne appétence à la communication. À ce niveau de la rééducation, la contraction temporale doit assurer, dès lors, un sourire au sens littéral du terme (mimique d’expression), mais aussi une articulation et une vidange salivaire de meilleure qualité(15,3). Cette rééducation spécifique implique la plasticité cérébrale pour obtenir un sourire spontané au bout de 3 à 4 mois, reflétant l’intégration par le système nerveux central du muscle temporal désormais affecté aux fonctions labiales.   Conclusion Le manque d’informations sur la pathologie, les trop nombreuses erreurs diagnostiques, l’inégalité des professionnels face aux formations initiales et continues, les techniques de rééducations aberrantes, font que les patients errent afin de trouver .a) un thérapeute et b) une prise en charge adéquate. Outre le traitement médical prodigué en première intention, une rééducation spécifique est préconisée. Celle-ci peut être effectuée aussi bien par des orthophonistes que par des kinésithérapeutes qui partagent équitablement ce champ de compétences.

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